(Ecofin Hebdo) – Alors que l’ensemble des équipes africaines sont sorties de la Coupe du Monde de football qui se joue actuellement en Russie, on ne peut s’empêcher d’être surpris par de fortes clameurs qui surgissent des villes africaines. Même s’il est constant que l’Afrique subsaharienne aime le football et ses stars, pour les millions de téléspectateurs de la région qui restent scotchés à leurs petits écrans, au delà du plaisir sportif, se joue bien souvent le sort d’un pari qui s’est effectué la veille ou le jour même de la rencontre.
Lundi 2 juillet 2018, une clameur s’élève dans un des quartiers populaires de la ville de Douala, la capitale économique du Cameroun. Ce sont des supporters qui célèbrent la victoire du Brésil qui vient d’éliminer le Mexique, lui-même tombeur de l’Allemagne, le tenant du titre, dès le premier match.
Pays de football, qui a participé cinq fois la phase finale de cette compétition, on adore le football au Cameroun. Aussi, la star de la Seleçao, l’avant-centre Neymar, y est l’idole de nombreux jeunes.
« Je suis trop content, le Brésil vient de me faire gagner 15 000 FCFA (près de 30 $) », confie le jeune Serge, qui sort heureux d’un snack-bar.
Mais lorsqu’on se rapproche de ces supporters des équipes du mondial de 2018, on enregistre des réactions assez originales. « Je suis trop content, le Brésil vient de me faire gagner 15 000 FCFA (près de 30 $) », confie le jeune Serge, qui sort heureux d’un snack-bar. Comment cela est-t-il possible ? Ce dernier nous confie que dans la journée, il a parié 1000 FCFA à 1 contre 15, que le pays de la samba prendrait le meilleur sur son rival, le Mexique. Son compagnon avait fait le pari contraire et espère qu’il recevra une boisson de la victoire en guise de compensation.
Quand le plaisir du sport, se mélange à l’utilité du gain
Le pari sportif est effectivement devenu une véritable activité pour des millions de jeunes d’Afrique subsaharienne. Au Cameroun, les bookmakers locaux ont diversifié les options. On peut parier sur le nombre de buts, le score final et encore d’autres possibilités.
Le phénomène est aussi visible dans des pays comme le Kenya, l’Ouganda, le Nigéria, l’Afrique du Sud ou encore la Côte d’Ivoire, où les maisons de paris sportifs attirent des populations qui, autrefois fréquentaient les fameux PMU et leurs courses de chevaux. En effet, paradoxalement, l’Afrique subsaharienne, selon des indicateurs de l’indice pour le développement humain, est une région qui concentre un peu plus de 40% des populations vivant en dessous du seuil de pauvreté. Et pourtant, elle est aussi le terrain de croissance de l’industrie du jeu de hasard et, plus récemment, du pari sportif.
Selon des statistiques produites par des organismes nigérians, le pays compte environ 60 millions de parieurs réguliers, âgés entre 18 et 40 ans, qui jouent en moyenne 1,8 milliard de nairas par jour (5 millions $)
Les chiffres sont assez révélateurs. Selon une étude publiée au premier semestre 2017 par GeoPool, une firme qui réalise des enquêtes d’activités sur des plateformes technologiques, le Kenya est le pays qui concentre le plus fort pourcentage des jeunes qui s’adonnent aux paris sportifs. On retrouve dans ce classement des pays comme la Tanzanie ou encore le Ghana.
Selon des statistiques produites par des organismes nigérians, le pays compte environ 60 millions de parieurs réguliers, âgés entre 18 et 40 ans, qui jouent en moyenne 1,8 milliard de nairas par jour (5 millions $).
Dans une étude publiée en 2014, la firme d’audit et de consulting PwC anticipait que les bénéfices issus du pari sportif, rien qu’en Afrique du Sud, atteindraient les 5 milliards de rands en 2018, soit environ 36 millions $.
Quatre raisons expliquent ce développement
1) Forte population de jeunes sans emploi ou sous-employés : plus de 200 millions de personnes en Afrique ont entre 15 et 24 ans et un grand nombre d’entre elles n’ont pas d’emploi. Certains pays africains ont un taux de chômage qui atteint 25% et un niveau de sous-emploi qui frôle les 90%. En outre, on estime que la population d’Afrique deviendra deux fois plus importante d’ici 2050 et que le continent aura la plus grande population de jeunes au monde. Le secteur des paris sportifs donne à ces jeunes l’espoir de gagner en profitant de leurs événements sportifs favoris.
2) Un grand amour pour les sports : les Africains sont fous de sport. Bien que le football ait le plus grand nombre de fans, le cricket a aussi son lot de fans. Bref, tout ce qui permet de parier et de gagner de l’argent est le bienvenu. Au Zimbabwe, en Afrique du Sud et au Kenya, le rugby jouit également d’une grande popularité. Les ligues européennes de football en général et les ligues espagnole, anglaise, italienne et française en particulier ont des fans africains par millions.
3) Une régulation assez faible sur les paris sportifs, et tournée vers la collecte des recettes : les sociétés de paris sportifs, européennes et américaines, se développent rapidement en Afrique en raison des lois indulgentes sur les paris sportifs dans la plupart des pays africains. En fait, on note que l’Afrique du Sud est le seul pays à avoir correctement réglementé son marché des jeux de hasard. Dans la plupart des pays africains, les lois sur les jeux sont nouvelles et l’industrie naissante n’est pas encore bien réglementée. Une exception est faite dans des pays majoritairement musulmans, en raison de l’interdiction religieuse.
4) Popularité croissante des plateformes mobile : l’utilisation des appareils mobiles est en hausse en Afrique. De plus en plus d’Africains découvrent les joies des paris sportifs en ligne. Les opérateurs africains de services de paris sportifs se sont associés avec les principaux opérateurs de téléphonie mobile pour relier les services d’argent mobile tels que M-Pesa, Orange Money et Airtel Money, à leurs produits de paris sportifs. En conséquence, les Africains apprécient les paris sportifs, non seulement sur leurs ordinateurs de bureau, mais aussi sur leurs smartphones et tablettes.
Un phénomène diversement apprécié
Cette expansion trouve des sentiments divers. Les supporters du secteur n’acceptent d’y voir que les effets positifs pour le continent. Ils énumèrent un certain nombre d’avantages liés au jeu, y compris l’augmentation des possibilités d’emploi, l’argent facile pour des personnes à faible revenu, les recettes fiscales pour le gouvernement et la croissance économique générale.
Cette vision positive est soutenue par de nombreux jeunes qui, parfois, deviennent des « millionnaires » dans leurs monnaies locales. Leurs gains sont souvent célébrés par les sociétés de jeux qui les utilisent comme des agents publicitaires et les montrent en exemple dans des quartiers défavorisés.
Cette vue positive est soutenue par de nombreux jeunes qui, parfois, deviennent des « millionnaires » dans leurs monnaies locales. Leurs gains sont souvent célébrés par les sociétés de jeux qui les utilisent comme des agents publicitaires.
Ce dont on parle le moins, c’est l’effet dévastateur des paris sur beaucoup de ceux qui y participent, dont plus de la moitié ont moins de 35 ans. De nombreux jeunes sont parfois obligés d’emprunter de l’argent pour aller jouer. Et lorsque les paris ne sont pas gagnants, comme c’est le cas pour 70% d’entre eux, les joueurs se trouvent parfois en situation désespérante qui les expose à la criminalité.
Si les paris sportifs procurent un certain volume de recettes aux Etats, les sociétés qui les exploitent sont souvent très discrètes sur l’origine de leurs capitaux de départ. Dans certains cas, les identités des vrais actionnaires ne sont pas connues. Ce qui ouvre la voie à des soupçons de blanchiment d’argent, avec des moyens de contrôle limités.
De nombreux jeunes sont parfois obligés d’emprunter de l’argent pour aller jouer. Et lorsque les paris ne sont pas gagnants, comme c’est le cas pour 70% d’entre eux, les joueurs se trouvent parfois en situation désespérante qui les expose à la criminalité.
Ce risque est particulièrement aggravé, pour des maisons de paris clandestins, qui prolifèrent dans des zones situées loin des centres de décision. Dans plusieurs pays africains, on a aussi relevé le nombre croissant de jeunes qui deviennent psychologiquement dépendants de ces paris sportifs, parfois avec la complicité passive des parents.
Idriss Linge