Pour la première fois, des titres e-sportifs – c’est-à-dire des compétitions de jeux vidéo – sont au programme des Asian Games, la deuxième plus grosse compétition multisport au monde. Six jeux sont à l’affiche lors de la deuxième semaine de ces Jeux asiatiques, du 26 août au 1er septembre 2018. Une reconnaissance officielle pour un phénomène qui, bien qu’existant depuis plus de 20 ans, a connu une véritable explosion ces dernières années. L’expression aussi d’enjeux marketing et économiques immenses.
Ils sont six. Six jeux vidéo, dont deux sur téléphone portable, à représenter l’e-sport aux Asian Games 2018 de Jakarta et Palembang, en Indonésie. Six titres dont la présence peut pour le moins surprendre : que viennent faire des jeux, aussi compétitifs soient-ils, dans une compétition sportive internationale ?
Pourtant, non seulement les jeux sont là, mais ils sont bien partis pour rester. Si, cet été, l’e-sport n’est présent qu’en sport de démonstration – c’est-à-dire que les vainqueurs n’apporteront pas de points au classement général des nations des Jeux asiatiques –, dès 2022 l’e-sport va intégrer à part entière ces Jeux d’Asie. Et donc contribuer au rayonnement sportif régional de tel ou tel pays.
Cette petite révolution marque la reconnaissance de l’explosion du phénomène e-sport. Encore récemment réservé à la Corée du Sud – où les compétitions professionnelles de jeux vidéo sont vivaces depuis les années 1990 – et à quelques passionnés, l’e-sport s’est imposé depuis le milieu des années 2010 en Europe, en Amérique du Nord et sur une grande partie du continent asiatique.
Avec la démocratisation d’Internet et des jeux multijoueurs en ligne, mais aussi avec l’émergence d’une nouvelle génération de fans et de joueurs pour qui l’idée de vivre de la pratique du jeu vidéo n’est plus une absurdité, l’e-sport a su se tailler une place de choix dans le cœur d’une nouvelle génération.
L’e-sport, un marché qui explose
Des compétitions encore confidentielles il y a dix ans, en dehors de la Corée du Sud, sont aujourd’hui suivies par des dizaines de millions de personnes sur Internet, remplissent des stades entiers et permettent aux meilleurs joueurs de gagner des millions de dollars. Ce nouveau marché croît à très grande vitesse : il a généré 665 millions de dollars de revenus en 2017 et devrait frôler le milliard de dollars en 2018, d’après Newzoo, agence marketing spécialisée dans le jeu vidéo.
Plus alléchant encore pour les sponsors, les 250 millions de personnes dans le monde qui regardent déjà des compétitions e-sportives dans le monde sont majoritairement des jeunes de 18 à 34 ans, d’après les études d’Alternate et Interpret, LLC, des consultants en marketing. Ce qui signifie qu’ils sont non seulement (de plus en plus) nombreux, mais aussi et surtout qu’ils appartiennent à la tranche d’âge la plus difficile à toucher pour les annonceurs. Les marques se sont bien évidemment engouffrées dans la brèche, avides de toucher un public jeune, qui ne regarde plus forcément la télévision et lui préfère le streaming et la consommation de vidéos en ligne.
L’influence d’Alibaba
Ce n’est donc pas un hasard si le Comité olympique d’Asie (COA), qui organise les jeux asiatiques s’est associé à Alisports, une filiale du géant chinois du commerce en ligne Alibaba pour intégrer l’e-sport à son programme. D’autant moins que cette filiale est également partenaire du Comité international olympique depuis 2018 et pousse en faveur d’une présence de l’e-sport aux Jeux olympiques.
L’entreprise, avec le soutien du COA, a sélectionné le jeu d’arène League of Legends et le jeu mobile Arena of Valor pour la catégorie jeux par équipes de la compétition. StarCraft II, Hearthstone, Pro Evolution Soccer 2018 et Clash Royale (un autre jeu mobile) forment eux la catégorie des jeux individuels.
Un choix qui s’est fait en fonction de critères « d’intégrité, d’éthique et de fair play », à en croire Kenneth Fok, le président de la fédération asiatique des sports électroniques. Il est tout de même intéressant de noter que ces jeux sont soit représentatifs de l’industrie asiatique du jeu vidéo, soit particulièrement populaires en Chine et en Corée du Sud, les deux pays où l’e-sport est le plus développé.
Ainsi, le japonais Pro Evolution Soccer a été préféré à son concurrent américain FIFA, pourtant bien plus populaire dans le monde. Quant à League of Legends et Arena of Valor, ils appartiennent tous deux à Tencent, géant chinois des nouvelles technologies.
Faire plaisir aux Millenials et se placer au cœur du jeu
Au moment même où tant Tencent – par divers investissements dans le jeu vidéo américain et européen – qu’Alibaba cherchent à développer leur activité en dehors de la Chine, l’intégration de l’e-sport au sein de compétitions sportives plus traditionnelles est un enjeu stratégique. Elle permet à Alibaba de renforcer son image auprès d’un public jeune, qui peut y voir une reconnaissance de ses loisirs et surtout de positionner l’entreprise comme un interlocuteur central pour accéder à un marché potentiellement très lucratif.
Les Asian Games, de leur côté, profitent de l’occasion pour attirer sur leur compétition le regard d’une population, notamment celle née après 2000, dont l’intérêt pour les olympiades est moins fort que celui de ses aînés. Quitte à froisser les tenants de tournois purement athlétiques. Mais, au vu des retours attendus, le jeu en vaut bien la flamme (olympique) !