« Le temps n’effacera donc jamais en Côte d’Ivoire les traces d’un grand homme comme Giscard D’Estaing »
Le Président Valéry Giscard d’Estaing vient de mourir, ce 2 décembre 2020, à Au- thon (France), il fut un grand ami de la Côte d’ivoire et du Président Félix Houphouët Boigny. Il effectua, du 11 au 15 janvier 1978, une visite officielle en Côte d’ivoire. Le Président Houphouët-Boigny avait relevé que c’était « la première fois qu’un Président de la République Française consacre tant de journées à visiter notre pays et c’est la première fois que nous l’accueillons à Yamoussoukro, mon village natal ».
Le Président Giscard : « Je croyais rendre visite à un peuple ami et fait été reçu au sein d’une famille. Cette visite qualifiée d’exceptionnelle par tous les commentateurs, fut l’occasion d’exalter la qualité des liens privilégiés qui unissent nos deux pays. Ainsi que la réalité de la solidité de ces liens ».
Les liens personnels entre te Président Houphouët Boigny et le Président Giscard d’Estaing s’expliquent que tous les deux ont travaillé dans la sphère Gaulliste mais n’ont pas été en même temps Ministres au sein du Gouvernement de De Gaulle.
Le Président Houphouët-Boigny avait fait la connaissance du Président Giscard grâce à deux de ses anciens collègues du Gouvernement sous De Gaulle: Antoine Pinay, Ministre des Finances et des Affaires Economiques, et qui avait sous sa coupe Giscard d’Estaing comme Secrétaire d’Etat aux Finances en 1959 ; Michel Debré qui le nomma, le 18 janvier 1962 Ministre des Finances et des Affaires Economiques en remplacement de Wilfried Baumgartner.
Les amis de nos amis sont nos amis selon l’adage populaire. Aussi la visite du Président Giscard d’Estaing au Président Houphouët-Boigny fut telle des retrouvailles de deux amis connaisseurs de tous les méandres de la politique française ainsi que de tous les acteurs politiques de la 4ème République Française.
Le Président Houphouët Boigny, féru de l’histoire de France, avait acquis, grâce à son décorateur DAL Sasso, un magnifique tableau portrait de Madame Catherine Fléonore Bernard, maîtresse royale du Roi Louis XV. Cette célèbre dame de la cour de Louis XV avait une place de choix dans l’arbre généalogique de la famille Giscard d’Estaing. Ce tableau trône sur le mur principal du salon de la résidence du Président Houphouët-Boigny, rue Masseran et entouré par des tapis d’Aubusson.
Cette visite fut matérialisée par la décision du Président Houphouët-Boigny d’attribuer le nom de son illustre hôte à la plus importante artère de notre capitale économique de 8 km de long et 100 mètres de large et qui relie l’aéroport Félix Houphouët Boigny au pont Félix Houphouët-Boigny. Ce geste significatif traduit l’importance et la qualité des relations entre nos deux pays.
Le temps n’effacera donc jamais en Côte d’ivoire les traces d’un grand homme comme Giscard D’Estaing et la vertu brille même parmi les morts selon le Philosophe Grec, EURIPIDE. Le nom de Giscard D’Estaing brillera toujours dans nos esprits lors des grandes cérémonies qui ont toujours lieu sur ce célèbre boulevard qui porte son nom.
Amis communs, visions et valeurs partagées par les deux Chefs d’Etat, l’avenir ne pouvait qu’être radieux entre nos deux pays. C’est sans compter les aléas « de l’affaire Bokassa » qui assombrit, pendant un laps de temps, les relations Houphouët- Boigny Giscard D’Estaing.
Après le coup d’Etat qui avait renversé l’Empereur Bokassa, le Président Français, Giscard D’Estaing, avait, au Sommet France/Afrique de mai 1979 à Kigali, soumis à ses homologues Africains, une résolution condamnant les atrocités de Bokassa. Le Président Houphouët- Boigny, sceptique, avait, avec la complicité de ses amis, demandé qu’on fasse la lumière sur les accusations que la presse française et l’opinion internationale avaient véhiculées sur le cas Bokassa. Il demanda la création d’une Commission d’Enquête Africaine pour étudier le vrai du faux dans le drame.
Valéry Giscard d’Estaing. Centrafricain. Le Président Houphouët-Boigny finança intégralement cette commission de 18 membres qui séjourna à Bangut pendant deux semaines et une semaine à Londres. 200 exemplaires du rapport de cette commission furent remis au Président à Genève et chaque Ministre des Affaires Etrangères des différents membres de la francophonie vint chercher une copie du rapport et recueillir le sentiment du Président sur les conclusions du rapport et s’enquérir des actions probables à mener selon les leçons tirées de ce rapport.
J’avais lu 7 fois les conclusions de ce rapport de 51 pages au Président qui voulait bien s’imprégner de la quintessence de ce document afin de donner des directives à ses homologues.
Après 30 minutes de réflexion, le Président demanda à tous ses homologues de ne pas publier ce rapport mais qu’il enverrait son Ministre des Affaires Etrangères remettre en main propre ce document à Bokassa qui est le principal concerné. Pour lui donc, il appartenait à Bokassa de tirer les conclusions de ce rapport car, dit-il, tout Chef d’Etat a trois Juges : Dieu, sa conscience et son peuple.
Le Président, dès le départ, sur cette affaire Bokassa, avait, par ses contacts en France et ailleurs, eu l’intime conviction que beaucoup de manipulations couvaient sous ce drame Centrafricain. Le Président avait appelé Bokassa pour lui poser quelques questions, notamment où il était précisément le jour des incidents qui avaient causé les morts des enfants dont le nombre variait toujours en fonction des interlocuteurs. Bokassa jura au Président qu’il n’était même pas à Bangui le jour des incidents.
Après vérification, l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire en République Centrafricaine, S.E. Agnini Bilé, confirma les dires de l’Empereur Bokassa avec photos à l’appui.
Conformément aux recommandations du Président à ses pairs, aucun Chef d’Etat ayant reçu le rapport de la Commission d’Enquête Africaine ne le publia, sauf un seul : Le Président Senghor du Sénégal Selon les informations reçues de Paris par Monsieur Roger Perriard, Conseiller des Affaires Présidentielles à notre Ambassade, époux de la célèbre Journaliste Jacqueline Baudrier, Directeur de Radio France, ce serait le Président Giscard D’Estaing qui aurait encouragé fortement Je Président Senghor à faire une grande conférence de presse pour se démarquer de la position de ses collègues qui voulaient protéger Bokassa face à une violation inacceptable des droits de l’homme, et pis, des droits d’enfants massacrés par l’ogre Bokassa. Une telle opération lui donnera une aura particulière et accélérait «de facto» son entrée méritée à l’Académie Française, vœu te plus cher du poète renommé qu’est le Président Senghor. Un avion spécial fut affrété pour convoyer au Sénégal, les hommes de média, journalistes, photographes des grandes revues françaises et européennes. Cette conférence de presse fut organisée comme un grand show au cours duquel le Président Senghor se présente comme un défenseur inconditionnel des droits de l’homme. Que ces droits soient, violés en Europe, en Asie, en Amérique, en Afrique, il les dénoncera avec la même vigueur.
C’est ainsi qui dévoila certains des chapitres du rapport où des anti-Bokassa avaient accusé L’Empereur de tous tes actes macabres qui aurait commis. Après avoir visionné le film de la conférence de Dakar envoyé par Monsieur Roger Pestera, le Président était furieux et me demanda de localiser se président Senghor afin qu’il puisse lui parler. Le Président Houphouët-Boigny débuta son intervention en disant : «L’amitié se nourrit de vérité ». Tu as été manipulé dans cette affaire de Bokassa. Après de longues explication de part et d’autre, le Président Houphouët-Boigny conclut en disant : « Senghor, tu chantes la Femme Africaine, l’Afrique mais tu ne connais pas l’Afrique. Il y a une grande différence entre toi et moi et tu sais laquelle ? Toi tu étais parti d’Afrique pour la France à l’âge de 5 ans et moi, j’étais parti d’Afrique pour la France à l’âge de 40ans».
Après cet échange musclé, le Président se leva aussitôt pour regagner sa chambre et se reposer.
Le Gouverneur Nairay me regarda, l’air contrarié, par ce à quoi nous venions d’assister. Je lui réponds : « J’aurais vraiment souhaité ne pas être témoin de ce genre de bagarre entre deux éléphants ». Il me répondit : « En effet, tout cela n’est aucunement confortable pour nous. Car quad deux éléphants se battent ou font l’amour, c’est toujours mauvais pour les petits insectes que nous sommes. Parole d’un philosophe chinois ».
A suivre…
Source : Le Nouveau Réveil n°5632 du Lundi 07 décembre 2020 page 4-5