« Lorsque ton Seigneur dit aux anges : Je vais établir un lieutenant sur la terre. » (S.2, 38)
Médine a été la période où les textes législatifs « descendaient » du Ciel, au fur et à mesure que l’Etat médinois s’érigeait et que la Communauté musulmane se formait et se consolidait. Ainsi, le mortel a été instruit de la tâche pour laquelle il a été mis au monde, au moment où la direction temporelle et spirituelle allait se préciser d’une manière plus complète et définitivement, c’est-à-dire à une période où il allait mettre fin au cycle de la prophétie et où il était mis à la portée de l’homme la Loi qui le rendait plus apte à remplir sa mission terrestre, pleinement conscient de ses terrible conséquences.
L’homme « coranique » est cet être élevé à un rang qui le prépare au vicariat et à assumer cette responsabilité au moyen de la science. Cette charge, dont il a été investi, l’expose à des épreuves où le bien et le mal, les conflits intérieurs et les tentations de toutes sortes s’entrecroisent et l’entraînent dans un sens ou dans l’autre, selon les énergies dépensées et les sentiments éprouvés pour s’arracher à ses passions perverses et faire triompher les vertus qui contribuent à le transporter à un niveau encore plus élevé.
En établissant sur la terre ce vicaire qu’est l’homme, Dieu lui a accordé, par la même occasion, la redoutable liberté de Lui désobéir, contrairement aux anges, absolument soumis et dépourvus de cette volonté qui autorise le choix et la décision selon les inclinations des uns et des autres. La surprise des anges à l’annonce de la création d’un mortel, enclin aux turpitudes, aux libertinages et même aux crimes, laisse apparaître que Dieu a fait de la vie d’ici-bas une somme d’épreuves aux multiples facettes que l’homme est appelé à subir : les succès, qui en résultent de la façon dont il use de cette liberté et du degré de son discernement.
« Les anges dirent : Vas-tu établir quelqu’un qui fera le mal et qui répandra le sang, tandis que nous célébrons Ta sainteté ? » (S.2, 30)
Selon le commentaire d’al-Qortobî, les anges craignent que les hommes sèment le désordre sur la terre. Bien que le mot « khalifa » suppose la lutte contre le mal en vue d’imposer le bien, les êtres ailés généralisent la désobéissance à tous les êtres humains. Cependant, Dieu qui « sait tout » leur fait comprendre que la rébellion contre la Loi divine caractérisera certains descendants d’Adam, tandis que d’autres feront preuve de sainteté ou, tout au moins, ne s’abandonneront pas à l’Immoralité. Il apaise leur inquiétude en enseignant à l’homme les noms des choses et en lui faisant découvrir le savoir, ainsi que le pouvoir de discernement.
Avant la création d’Adam, tous les êtres vouaient au Créateur une totale soumission ; ils se conformaient strictement aux lois qui les régissaient, sans émettre le moindre doute ou se permettre la moindre incartade. La venue de l’homme sur la terre annonçait une ère nouvelle empreinte de liberté, avec toutes les néfastes conséquences que cela pouvait impliquer. Le ton fut donné par Satan qui, le premier, se rebella contre l’Ordre divin, laissant prévoir par-là que les hommes pleins de gloriole, oubliant ou niant les bienfaits de Dieu, s’engageraient, de par leur propre volonté, dans la voie de la perdition.
« Lorsque nous avons dit aux anges : « Prosternez-vous devant Adam !», ils se prosternèrent à l’exception d’Iblis qui refusa et qui s’enorgueillit : il était au nombre des incrédules. » (S.2, 34)
Ainsi, la paix qui régnait jusqu’à la formation d’Adam, prendra fin ; les manifestations de l’homme sur la terre troubleront la sérénité de ce monde où naîtront des conflits et où le bien et le mal s’affronteront. L’obéissance absolue cèdera le pas au droit au refus et à l’insoumission. En définitif, les qualités des anges et les malversations des démons s’inscriront dans la nature de l’homme et se heurteront en permanence ; il y aura en l’être humain Caïn et Abel, ce qui signifiera qu’il ne personnifiera ni la résignation pure, ni la rébellion caractérisée.
Ce sera sa volonté, sa conscience et sa lucidité qui le fixeront dans une situation ou dans l’autre, ou encore dans état intermédiaire, si elles ne l’exposeront pas tantôt aux tentations de l’égarement, tantôt l’engageront dans le droit chemin, non que son âme blâmera sa conduite et l’incitera à se repentir de ses mauvaises activités.
Le passage d’un état à un autre suppose un moyen adéquat que Dieu fournit à l’homme. C’est dans la perspective d’un changement positif et sans arrêt que le Très-Haut l’arme de ce qui le distinguera des autres créatures et le disposera aux transformations envisagées : la raison.
La raison opère sur la nature. A cet effet, le Tout-Puissant, n’ayant rien négligé pour que les mutations de l’humanité se réalisent profondément, fait soumettre les phénomènes de l’univers à la volonté humaine pour que l’homme profite des bienfaits de la création.
« Ne voyez-vous pas que Dieu a assujetti ce qui est dans les cieux, certes, et aussi ce qui est sur la terre ? » (S.31, 20)
La lieutenance se fonde sur cet assujettissement, d’où l’homme tire ses forces et actionne le mouvement. Suivant l’Ordre divin, il devient, dans le cadre de ses possibilités et des limites de sa volonté, le maître de son devenir. Il réussira à bien mener sa mission, s’il se plie aux exigences du travail intellectuel et physique et s’il sait exploiter judicieusement les richesses du monde minéral, animal et végétal … conformément au Décret divin :
« Ce n’est pas en jouant que Nous avons créé le ciel et la terre et ce qui est entre les deux. » (S.21, 16) ;
« Ce n’est pas par vanité que Nous avons créé le ciel et la terre. » (S.38, 27)
La lieutenance repose aussi sur l’entente et la compréhension du Livre de Dieu par les peuples musulmans. Le Coran est le trait d’union de tous les croyants. C’est de là que se puisent les moyens d’échapper aux dissensions profondes, aux ruptures déchirantes et aux conflits sanglants. Les hommes justes sont ceux qui n’oppriment pas leurs frères et ne les agressent pas pour faire prévaloir leurs opinions, ni en paroles ni en actes.
Au contraire, ils s’arment de patience et diversifient les arguments et les preuves pour démontrer la justesse de leurs vues, et partant, pour convaincre leurs partenaires, lesquels seraient-ils même dans l’erreur, méritent des éloges pour l’effort accompli. Le Prophète (p.p) a bien dit :
« L’effort intellectuel du juge, qui aboutit à une juste solution, mérite deux rétributions. Quant à celui qui déploie les mêmes efforts, mais commet une erreur, il a droit à une seule rétribution. »
Ainsi, le vicariat, concept inconnu par les autres religions et les idéologies anciennes et contemporaines, élève l’homme au plus haut niveau de la création et lui donne la plénitude de ses moyens. Son but consiste à établir des relations saines et loyales entre les hommes qui, en conjuguant leurs efforts, assurent leur confort matériel et moral, tout en se préparant à se présenter devant Dieu qui les jugera en fonction des résultats obtenus.
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