L’ÉGLISE BUSINESS: Diffamation ou réalité ?

 

L’ÉGLISE BUSINESS, UNE TENTATION AUSSI VIEILLE QUE L’ÉGLISE ELLE-MÊME

« L’Église business » est une réalité qui ne date pas d’hier. Dès la naissance des premières communautés chrétiennes, certaines personnes ont voulu échanger et monnayer le don de l’Esprit Saint contre de l’argent. Le premier en date est un certain Simon le magicien qui a laissé son nom à cette faute grave que l’on a désormais appelé la « simonie ». Avant de rencontrer les premiers chrétiens Simon était un homme qui faisait des prodiges dans la région de Samarie et exerçait déjà un pouvoir d’attraction sur les gens. Ce Simon « jetait le peuple de Samarie dans l’émerveillement » (Ac 8, 9). « Il se disait quelqu’un de grand, et tous, du plus petit au plus grand, s’attachaient à lui. Cet homme, disait-on, est la Puissance de Dieu, celle qu’on appelle la Grande » (Ac 8, 9-10). Après s’être fait baptisé lui-même, Simon a cherché à faire de l’Église un business en investissant de l’argent dans le don de l’Esprit…et en pensant obtenir ainsi un puissant retour sur investissement. En effet, il proposa aux apôtres de l’argent afin d’avoir le même pouvoir : « Donnez- moi dit-il, ce pouvoir à moi aussi : que celui à qui j’imposerai les mains reçoive l’Esprit Saint » (Ac 8,19). « Mais Pierre lui répliqua : Périsse ton argent, et toi avec lui, puisque tu as cru acheter le don de Dieu à prix d’argent ! » (Ac 8,20).

La sentence que Pierre prononça alors était particulièrement sévère, cette faute lui fermait ni plus ni moins l’accès au Royaume de Dieu : « Dans cette affaire, il n’y a pour toi ni part ni héritage, car ton cœur n’est pas droit devant Dieu » (Ac 8,21). Simon avait beau avoir des quantités d’admirateurs, et être lui-même dans l’illusion de posséder un pouvoir supérieur aux autres, il était en réalité coupé de Dieu et dans  une situation de grave opposition vis-à-vis de lui : « Tu es, je le vois, dans l’amertume du fiel et les liens de l’iniquité » (Ac 8,23). Vouloir acheter ou vendre les dons de Dieu est une tentation récurrente qui risque toujours de venir gangréner l’Église de l’intérieur. Quelles que soient les confessions chrétiennes la simonie a fait régulièrement résurgence tout au long de son histoire et sous de multiples formes : Multiplication abusive de quêtes, trafic d’influence, promesses de faveur divine en échange d’argent, etc.

 UNE INSULTE AU DON GRATUIT DE DIEU

Cette tentation de vouloir monnayer les dons de l’Esprit contre de l’argent va directement contre le mystère de la grâce de Dieu qui par définition est totalement gratuite, et ne peut jamais être échangée contre de l’argent. À ce titre, l’attitude de Paul qui est le grand évangélisateur du bassin méditerranéen est éloquent. Saint Paul a voulu délibérément ne pas imposer la dîme à l’Église de Corinthe pour qu’il n’y ait aucune équivoque è ce sujet : que personne ne pense que la grâce de Dieu coûterait quoi que ce soit. « C’est qu’en annonçant l’Évangile, j’offre gratuitement l’Évangile » (1 Co 9,18). « … plutôt mourir… Mon titre de gloire, personne ne le réduira à néant » (1 Co 9,15).

Pour saint Paul, cela fait partie essentielle de l’annonce de l’Évangile que d’être absolument gratuite. Tout au long de sa prédication, Paul proclame que nous sommes sauvés par pure grâce, sans avoir rien è payer : « Car c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu ; il ne vient pas des œuvres, car nul ne doit pouvoir se glorifier » (Ep 2, 8-9). Faire croire aux fidèles qu’il faudrait faire une offrande au préalable afin de recevoir le salut reviendrait tout simplement à trahir l’Évangile et à insulter la grâce. Si Paul qui est un des plus grands évangélisateurs n’a rien réclamé comme dîme aux Corinthiens, comment des « hommes de Dieu » pourraient- ils réclamer des offrandes exorbitantes pour la moindre de leur prédication ?

PEUT-ON ACHETER UNE PRIÈRE ?

Dans l’Église, on ne donne jamais de l’argent en échange d’une prière. « Si vous allez prier quelque part et qu’on vous demande de l’argent afin de prier pour vous. C’est la preuve que Dieu n’est pas dans cet endroit » (Pape François, dans First Magazine, 24 juillet 2016). Nous devons faire attention, lorsque l’Église demande de l’argent pour une messe, ce n’est pas la messe qu’elle vend. La messe n’a pas de prix, puisqu’elle est le sacrifice du Christ qui a déjà tout donné. Cet argent est uniquement destiné à subvenir au besoin du prêtre qui assure ce service. C’est pourquoi le « tarif » d’une messe est généralement calculé pour que le prêtre puisse vivre une journée (ce « tarif » est donc différent suivant les pays »). Il n’y a aucune proportion entre cette offrande et le sacrifice de la messe qui dépasse tout et que nous devons recevoir dans sa gratuité absolue. « Eucharistie » veut dire action de grâce, et la grâce de Dieu est gratuite. « L’homme de Dieu » ne doit en aucun cas s’ériger en « douane » entre l’homme et Dieu, pour « débloquer l’atmosphère spirituel » comme le disent certains… De quel droit un homme aurait-il la prétention d’avoir le pouvoir de faire monter les prières de son frère devant Dieu ? Dans le Christ chaque homme a directement accès au Père : « Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier Abba ! Père ! » (Rm 8,15). Et l’Esprit-Saint est donné gratuitement.

 L’OFFRANDE FAITE À DIEU

Il est bon de faire des offrandes à Dieu, cependant ces offrandes ne sont pas nécessairement à faire sous forme pécuniaire, nous devons avant tout donner quelque chose de nous-mêmes. « Suivez la voie de l’amour, à l’exemple du Christ qui vous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur » (Ep 5, 2). Dieu nous laisse le soin d’apprécier l’offrande de nous-mêmes qui lui sera la plus agréable. Ce sera peut-être de passer du temps avec son épouse. Cette offrande n’est pas forcément la plus impressionnante en nature ou en argent, elle peut impliquer un don plus humble à l’égard d’un proche que nous négligeons. Pour certaines personnes, l’offrande de leur premier salaire n’est peut-être pas ce que Dieu attend en premier lieu, si elles délaissent leur femme et leurs enfants.

Dans le Nouveau Testament, les « prémices » ne désignent plus des gerbes de blé ou des fruits à offrir, ni même de l’argent mais bien des personnes qui sont offertes à Dieu : « Saluez mon cher Epénète, les prémices que l’Asie a offertes au Christ » dit saint Paul (Rm 16, 5, cf. 1 Co 16, 15). Parfois les prémices renvoient au Christ lui-même : « Le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1 Co 15,20), ou aux gémissements de l’Esprit Saint en nous : « Nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement » (Rm 8,23).

Il n’est pas exclu que cette offrande passe par un don en argent. Cependant, ce n’est pas la quantité qui compte, mais, de savoir si nous avons réellement donné quelque chose de nous-mêmes. Jésus donne en exemple la pauvre veuve qui a mis deux piécettes dans le trésor du Temple alors que des gens riches mettaient de grosses sommes. Ceux- là n’ont pas vraiment donné quelque chose d’eux-mêmes, puisque c’était de l’argent qu’ils avaient en superflu, tandis que la veuve a pris de son indigence : « Elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre » (Lc 21, 4). C’est pourquoi elle a donné plus que tout le monde (cf. Lc 21,3).

 L’ARGENT ET LES MOYENS DE LA CHARITÉ

Saint Paul n’a jamais succombé à la tentation de vendre ses prières, ni sa bénédiction ni même les grâces de Dieu. Par contre il n’a pas hésité à organiser une gigantesque quête en faveur des anciens de l’Église de Jérusalem qui étaient dans le besoin (Cf. 2 Co 8). C’est là que la collecte d’argent devient parfaitement légitime. Lorsqu’il s’agit de la charité, il ne faut pas lésiner sur les moyens : * Qui sème largement moissonnera aussi largement » (2 Co 9,6). Saint Paul a mobilisé sans concession les différentes Églises afin de subvenir largement aux besoins des anciens de Jérusalem.

Les fidèles chrétiens qui ont le sens du business doivent être profondément encouragés lorsqu’ils œuvrent à la promotion de l’homme. C’est d’abord par le travail que l’homme se développe et retrouve force et espérance. L’argent est nécessaire pour et retrouve force et espérance. L’argent est nécessaire pour investir et permettre à certaines personnes de se lancer dans la vie active. Dans cette perspective, l’argent devient un moyen précieux pour aider les personnes à retrouver espérance et à œuvrer dans ce monde pour le bien du Royaume de Dieu.

 

Esprit  n°26 juillet 2020