La Première faute: le djihad en Syrie
La faute stratégique de Mohamed Morsi, à l’origine de l’abrogation de son mandat, aura été d’avoir «décrété le djihad en Syrie». Une décision prise par 500 oulémas réunis au Caire. Convoqué par Mohamed Morsi, ce congrès s’était tenu le 15 juillet 2013 avec la participation des représentants de 70 associations islamistes des pétromonarchies du Golfe (Qatar, Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn) ainsi que des courants islamistes d’Égypte, du Yémen et de la Tunisie.
Cette décision a été très mal perçue par la hiérarchie militaire égyptienne, en raison de la fraternité d’armes qui liait les armées égyptiennes et syriennes dans les quatre batailles qu’ils ont livrées contre Israël, en 1948, en 1956 (expédition de Suez), 1967 et 1973, (destruction de ligne Bar Lev sur le Canal de Suez et récupération d’une portion du Golan par la Syrie).
La seconde faute: l’immunité
L’octroi au président d’une « immunité pour toutes les décisions passées et futures ». Une disposition sans pareille dans le monde, qui fera de Mohamed Morsi, un pharaon plus puissant que le plus puissant des pharaons.
Troisième faute: les «fautes stratégiques» des Frères musulmans, de leur propre point de vue.
De leur propre aveu, les Frères musulmans ont commis les « fautes stratégiques » suivantes :
- Avoir bénéficié du soutien des Etats-Unis et d’Israël, les meilleurs alliés d’Hosni Moubarak avant sa chute.
- Négliger complètement la force de la revendication populaire.
- Négliger la pesanteur des partisans de l’ancien président Hosni Moubarak encore aux postes de commande dans la haute administration et les gouvernorats. Le noyautage des Frères musulmans de l’appareil d’Etat se fera à l’accession de Mohamed Morsi à la présidence de la République, mais l’armée ne lui laissera pas le temps de s’en accaparer, ni de s’incruster.
- Négliger les salafistes, dont les services de renseignements sous Hosni Moubarak s’en servaient comme contre pouvoir au FM. Le conflit FM-Salafiste était en effet plus violent que le conflit qui opposait la confrérie à Moubarak. A cela s’est greffé l’autoritarisme de Mohamed Morsi. Moubarak a gouverné sous le régime de l’Etat d’urgence dès son accession au pouvoir, pendant trente ans (1981-2011).
L’autoritarisme de Mohamed Morsi
Erreur fatale, Mohamed Morsi a commencé sa présidence par une fanfaronnade qui a abrégé son mandat. A peine élu, le premier président néo-islamiste de l’Egypte a fait une déclaration d’une arrogance démesurée: “Nous sommes au pouvoir et nous le demeurerons pendant cinq siècles”.
Joignant le geste à la parole, il a, d’un trait de plume, relevé de leurs fonctions la totalité des directeurs des publications égyptiennes pour leur substituer des hommes à sa dévotion. De même, il a ordonné la suppression de tous les programmes scolaires en vigueur sous Moubarak et leur substitution de nouveaux programmes, plus conformes à l’idéologie des FM.
Pis, lors de la proclamation de la nouvelle constitution, Morsi prévoyait une « immunité pour toutes les décisions passées et futures » du président ; une disposition sans pareille dans le monde, qui fera de Mohamed Morsi, un PHARAON plus puissant que le plus puissant des Pharaons. Mal perçu par le peuple égyptien frustré de sa révolution, le triomphalisme et l’autoritarisme de Mohamed Morsi vont alimenter un mécontentement et relancer une nouvelle mobilisation populaire.
L’Egypte, épicentre du monde arabe, est diverse. Le premier président néo-islamiste démocratiquement élu aurait dû se pénétrer de cette réalité plutôt que de mener une politique sur une base sectaire. Les Frères musulmans n’ont pas su mettre à profit leur hold-up sur le pouvoir en proposant un projet de dépassement des clivages antérieurs en ce que Morsi n’aurait jamais dû oublier le conflit de légitimité historique qui oppose l’armée aux Frères musulmans depuis Nasser (1952). Morsi paie aujourd’hui le prix de sa tardive adaptation au principe de réalité et des rapports de force.
Le déclic populaire contestataire a été le fait des franges de la société informelle arabe. les Frères musulmans l’ont subverti du fait de leur discipline et de leurs considérables moyens financiers. Ils devaient tenir compte de la diversité de la population égyptienne, et non imposer à une population frondeuse une conception rigoriste de la religion.
L’Egypte est diverse: Il y a deux siècles sous les Fatimides, elle était chiite. Les coptes, les arabes les chrétiens, constituent une part consubstantielle à l’histoire du pays. L’histoire tout comme la population s’est constituée par sédimentation. Si de nos jours, la très grande majorité de la population est musulmane sunnite, cela ne suffit pas à faire une politique. Une politique sunnite n’existe pas en elle-même. Elle se fait en fonction du legs national. Il serait insultant au génie de ce peuple de le réduire à une expression basique d‘un islam rigoriste.
L’Egypte, c’est le pays de Gamal Abdel Nasser, d’Oum Kalsoum, mais aussi de Cheikh Imam et de Ahmad Fouad Najm, d’Ala’a Al Aswani, des personnalités contestataires. Il n’était pas pourtant sorcier de comprendre que seule une politique de rassemblement et non de division avait une chance de réussir. Plus judicieux de promouvoir une politique de concorde nationale.
Un an de pouvoir a fracassé le rêve longtemps caressé d’un 4ème Califat, qui aurait eu pour siège l’Egypte, le berceau des « Frères Musulmans », devenue de par l’éviction brutale du premier président membre de la confrérie, la tombe de l’islamisme politique.
Mohamed Morsi a pratiqué une politique revancharde. Il a été un homme du dissensus et non du consensus. N’est pas Mandela qui veut.
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