les imams et nous (premiere partie)

E n Côte d’Ivoire, on parle de plus de dix mille mosquées en fonction. Ces dix mille mosquées comptent au minimum trente mille officiants comme imams ou assimilés. Dans l’écrasante majorité des cas, les rapports entre les Imams et les fidèles sont excellents et sans histoires graves. Cependant, dans les grandes agglomérations, on rencontre quelques problèmes très vite résolus par le COSIM quand les protagonistes veulent bien écouter. Hélas, ce n’est pas toujours le cas. Au moment même où vous lisez ces lignes de la chronique du vendredi, trois cas de conflits imams-fidèles nous préoccupent : Le premier cas est celui d’une mosquée à Abobo-gare où les fidèles ré- cusent un imam recommandé par le COSIM. Les deux autres cas sont dans la commune de Cocody-Deux Plateaux. Dans l’un de ces deux cas, l’imam choisi par le fondateur de la mosquée a tenté de balayer le fondateur et les principaux membres du comité de gestion de la mosquée, avec la complicité d’un frère libanais qui utilise tous les moyens afin de s’octroyer le terrain de la communauté. Un terrain acquis en 1989 par la communauté musulmane de la CMR et qu’il s’est fait octroyer à la justice en 1999. Malheureusement, cet usurpateur a trouvé dans la communauté un avocat, l’imam principal. Le troisième cas est celui d’un autre imam en conflit ouvert avec le bureau de son comité de gestion. Dans ce cas, l’imam a pris fait et cause pour le candidat battu aux élections du comité de gestion. Dans le premier cas il s’agit d’un conflit interne à l’imanat qui divise la communauté. Dans le deuxième cas il s’agit d’un conflit entre les fondateurs de lamosquée et un usurpateur externe à la communauté et qui a réussi à rallier l’imam à sa cause contre les propriétaires historiques du terrain de culte. Dans le troisième cas, l’imam s’est immiscé dans un conflit interne au comité de gestion en prenant fait et cause pour le camp ayant perdu les élections. Ces situations posent inévitablement la problématique des rapports entre les gestionnaires élus des mosquées et les imams désignés ou nommés. D’autant plus que dans les deux derniers cas, ce sont les cadres qui ont volontairement fait venir et à leurs frais, ces deux imams. Ainsi, du jour au lendemain, les fondateurs de la communauté se retrouvent en conflit ouvert avec l’imam qu’ils ont fait venir. Du coup, la communauté des fidèles se retrouvent divisée en partisans de l’imam et en opposants à l’imam. Alors que faire ? Tout d’abord il faut savoir raison garder et faire une analyse sereine et dé- passionnée mais sans complaisance aucune. Car, dans les trois conflits évoqués ici, les sources ne sont ni religieuses, ni dogmatiques, fort heureusement. On a plutôt affaire à des conflits de leadership dans la gestion des affaires profanes dela communauté. D’un Côté, certains imams se proclament détenteurs de tous les pouvoirs tandis que les membres des comités de gestion élus au suffrage universel veulent confiner les imams dans un rôle exclusif de guide religieux. En fait, ils se disent élus au suffrage universel des fidèles à qui ils doivent rendre compte d’abord de leur gestion. Les imams partisans du pouvoir total des religieux dans la gestion des communautés semblaient avoir eu gain de cause au niveau du COSIM qui a produit un statut des imams et des communautés dans ce sens où les présidents des comités de gestion devenaient de simples auxiliaires des imams. Ces derniers pouvaient ainsi les révoquer à tout moment. Evidemment, ce texte n’a pas été du goût de la majorité des « cadres laïcs » qui ont contribué à fonder ces communautés modernes dans les agglomérations urbaines ivoiriennes. Ala vérité, ce qui se passe aujourd’hui est du déjà-vu. Il y a en effet quelques années, à la mosquée de la Riviera Golf, le pouvoir politique avait réussi à créer et opposer deux camps. L’un dit “ modéré’’ regroupé autour de l’imam principal et l’autre dit “extré- miste’’ qui était pourtant à la l’origine de la venue de l’imam principal. Ce groupe était en fait composé des fondateurs authentiques et historiques de la communauté musulmane de la Riviera (CMR) jugés trop autonomes vis-à-vis du pouvoir. Les membres de la CMR ont su raison garder en s’éloignant progressivement de la gestion quotidienne de la grande mosquée pour se consacrer à la recherche de terrains de cultes musulmans partout à Cocody. Grâce à cette stratégie de redéploiement et du don de soi, des mosquées ont pu surgir à Aghien, Riviera, Angré, Dokui, CHU de Treichville, de Yopougon de Cocody et Bonoumin Arafat aujourd’hui. Comme quoi les conflits de leadership entre les imams et les comités de gestion ne sont pas nouveaux. Mais il faut savoir raison garder en tout temps et en tout lieu. En Côte d’Ivoire en particulier, les imams et les cadres ont très tôt appris à travailler main dans la main. L’actuel cheick Ahima, le président du Conseil National Islamique l’imam Koudouss, l’actuel Imam principal de la grande mosquée du Golf, arabisants et diplômés respectivement de l’Egypte et du Maroc ont occupé des fonctions laïques avant de se consacrer pleinement à l’imamat. Cette cohabitation sur le lieu de travail avec les « élites laïques » est la caractéristique principale de l’organisation de l’islam en Côte d’Ivoire. Contrairement aux autres pays de la sous-ré- gion notamment au Sénégal, au Mali et en Guinée, où les imams sont dé- tenteurs exclusifs du pouvoir d’organisation de l’islam, en Côte d’Ivoire, les imams et les cadres ont toujours travaillé main dans la main, chacun dans son domaine de prédilection. L’exclusivité du domaine religieux aux imams et l’exclusivité du domaine profane, auxdits « laïcs ». Mais, avec l’arrivée de jeunes imams diplômés des pays arabes, cet équilibre tend à se rompre. Ces jeunes Imams estiment qu’à l’instar du clergé Catholique ou de l’école musulmane chiite, ils sont outillés pour gérer les communautés musulmanes de bout en bout. Les « cadres laïcs » répliquent pour dire oui, vous maitrisez certes la religion, mais nous nous sommes saignés et avons pris des risques pour créer un environnement moderne pour l’exercice de notre culte dans un pays laïc où l’islam n’était pas bien vu. Que faire alors ? Qui doit faire quoi ? La première des choses à faire c’est de faire l’état des lieux sans complaisance aucune. Quel bilan pouvonsnous faire maintenant et pour les générations ? Quelles perspectives nous leur offrons ? Qui a fait quoi dans le bilan présenté ? Quel a été le rôle des imams? Quel a été le rôle des cadres dans ce bilan de notre communauté ? En un mot, à l’absence de ce bilan sans complaisance, sans une description des perspectives détaillées à venir, les querelles de positionnement entre les imams et les cadres peuvent perdurer et faire perdre à notre communauté d’énormes opportunités. Pour ma part, je vous livrerai mon humble avis sur le bilan des uns et des autres et proposerai des perspectives. Ceci est le fruit de la petite expérience d’un quart (1/4) de siècle que j’ai vécu aux côtés des imams et des « cadres laïcs » dans le développement des communautés musulmanes urbaines et scolaires de la Côte d’Ivoire. En attendant, je vous recommande fortement la lecture du témoignage exclusif du frère Kamagaté ABAHEBOU dans un livre intitulé le Conseil National Islamique, une symphonie inachevée, publiée aux Editions Al QALAM et disponible en librairie. A la semaine prochaine InchaAllah