Il est des tabous parmi les tabous, et celui de l’inceste est sans doute le plus douloureux, le plus violent. L’on peut admettre qu’il est des choses qui ne se racontent pas facilement, que pudeur il y ait, que les coutumes, les origines ont comme sacralisé. Mais l’inceste est un poison, un fléau, qu’il convient de combattre non pas par le silence, mais bien en déliant le dialogue. Pour que nos amanas n’aient pas peur de s’exprimer, voici quelques conseils pour parler sans tabou à son enfant.
En venir à bout des tabous
Il y a comme une omerta dans notre communauté au sujet de ces sujets qui fâchent, qui blessent. L’inceste est pas ou prou évoqué, et pourtant l’on sait très bien que ce mal touche beaucoup de personnes, les foyers musulmans y compris. Ces tabous scellés par nos coutumes, nos origines, ont pourtant besoin d’être désacralisés afin de libérer la parole des victimes et surtout sensibiliser les enfants.
L’inceste : silence on touche !
Souvent, les victimes d’inceste n’osent pas parler, parce que leur bourreau est un proche. Entre la peur de briser toute une famille et celle de ne pas être crue, la victime préfère garder le silence et se replie sur elle-même. Parfois, d’autres, se sentant en confiance, décident de parler en se confiant à un proche. Malheureusement, les attentes ne sont pas toujours celles qu’elles voudraient. Leur parole est remise en cause, le bourreau est trop souvent une personne en qui toute la famille a confiance. Ceci, rend sa culpabilité plus qu’impossible.
Faire confiance à son enfant
Bien souvent, lorsque l’enfant se mure dans un mutisme, c’est parce qu’il sait que sa parole sera remise en question. Il ne se sent pas en confiance. Or, il est plus qu’important pour les parents d’instaurer ce climat de confiance au sein du foyer. Ceci passe par le dialogue, mais par le fait de rassurer l’enfant, lui expliquer et lui montrer surtout que l’on sera toujours pour lui quoi qu’il arrive, qu’il peut tout nous confier sans craindre notre jugement ou nos réactions. Faire confiance à son enfant c’est lui permettre de renforcer sa personnalité et l’image qu’il a de sa personne.
Ton corps c’est ton corps
Dès son plus jeune âge, il est important d’expliquer à l’enfant que son corps est sa “propriété”, que personne n’a le droit de le toucher. Bien sûr, chaque parent doit trouver les bons mots pour que cette idée de “ton corps c’est ton corps” soit comprise par l’enfant sans pour autant marteler l’enfant avec ce sujet au point de susciter trop de questionnements sur le sujet de sa part. Il est aussi important de bien lui expliquer que si jamais quelqu’un venait à le toucher, l’adulte est là pour le protéger.
Père, oncle, grand-père, cousin, frère
Les cas d’inceste sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense. Et même si l’idée même qu’un proche parent s’attaque à un enfant nous donne des hauts-le-cœur, c’est tristement une réalité qui existe même chez “nous”. Il convient de rester sur ses gardes, de rester vigilant, sans pour autant tomber dans la paranoïa. Nous avons recueilli le témoignage d’une de nos lectrices elle-même victime d’attouchements sexuels. Voici son récit.
Témoignages de victimes d’inceste
PREMIER TÉMOIGNAGE
- As-tu subi des attouchements de la part d’un proche ?
Oui durant presque 1 an.
- Quel lien de parenté vous lie ?
Il s’agissait de mon oncle.
- En as-tu parlé à tes parents ? Si oui quelle a été leur réaction ?
J’en ai parlé à mes parents longtemps après, ils étaient anéantis mais ont fini par écouter mon oncle.
- L’as-tu fait de suite ou as-tu attendu longtemps avant de le faire ?
J’ai attendu 1 an parce que j’étais totalement sous son emprise. Je ne réalisais pas ce qu’il m’arrivait.. Et aussi j’avais peur de ce qu’il pouvait m’arriver en le dénonçant. J’ai attendu longtemps, par crainte et aujourd’hui je regrette presque de l’avoir dénoncé.
- Pourquoi regrettes-tu d’en avoir parlé ?
J’ai regretté parce que j’en ai plus souffert qu’autre chose. Aujourd’hui avec le recul, même si justice n’a pas été rendue, j’ai découvert le vrai visage de certains membres de ma famille et je n’ai plus de contact avec mon oncle (sauf occasionnellement pour les réunions familiales, jours de fêtes etc).
- Est-ce que ceci a changé la relation chez toi ?
Non, rien n’a changé.
- Quel conseil as-tu à donner aux personnes qui ont subi un inceste et qui n’osent pas en parler ?
Si vous êtes issues d’une famille fermée et conservatrice, dénoncez que si vous avez des preuves à l’appui. Si vous n’avez pas de preuves, vous risquez de sérieusement en souffrir car on vous dénoncera pour atteinte à l’image. Si en revanche votre famille est juste, parlez en tout de suite et ne restez pas isolées. Protégez-vous un maximum et évitez les réunions de familles où votre agresseur s’y trouvera forcément.
Qu’Allah nous protège.
SECOND TÉMOIGNAGE
- As-tu subi des attouchements de la part d’un proche ?
Oui, durant plusieurs années.
- Quel lien de parenté vous lie ?
Il s’agit de mon grand frère.
- En as-tu parlé à tes parents ? Si oui quelle a été leur réaction ?
J’ai subi des attouchements pendant plusieurs années de la part de mon grand frère. Je n’ai jamais osé en parler avec mes parents. J’ai grandi avec ça, avec des cicatrices profondes que je peine aujourd’hui à refermer. Je ne leur en ai jamais parlé par peur de les blesser et surtout parce que je crains leur réaction. Vont-ils me croire ? Et quel intérêt aussi de leur raconter tout ça, 20 ans après, alors qu’ils se font vieux. Je ne sais pas si ça changerait quelque chose. En revanche j’en ai parlé tout récemment avec ma grande sœur. Elle a été choquée. Mais ne m’a demandé aucun détail, elle n’a pas posé de questions. Rien. On a pleuré ensemble et c’est tout. Aujourd’hui, je suis mariée et maman. La vie n’est pas tout le temps rose, mais je m’accroche. J’ai commencé il y a à peu près un an un travail avec une psychologue. Cela m’aide beaucoup à me comprendre et surtout à comprendre toutes les étapes de ma vie par lesquelles je suis passée. C’est important de faire ce travail surtout pour sortir de ce statut de coupable à victime. Aujourd’hui, ce que je regrette le plus c’est de ne pas avoir parlé plus jeune, lorsque les choses se sont passées. Aujourd’hui, je comprends pourquoi. Ces tabous que l’on a dans notre culture m’ont empêchée de m’exprimer, j’avais peur et honte. Alors que j’étais victime. Il est clair que je rêverais de voir la honte changer de camp, me vider, dire tout ce que j’ai sur le cœur à ma famille, mais je me dis que tout passe. La vie continue. Tout se paie. Ma victoire se mesure à la petite famille que j’ai réussie à bâtir malgré toute cette douleur. J’ai encore des difficultés à croiser mon bourreau. C’est dur de faire comme si de rien n’était, surtout qu’il est marié et a des enfants. J’essaie de prendre sur moi et de passer mon chemin. Je n’en ai jamais parlé à mon mari. Je n’en éprouve pas le besoin. Ce que je m’efforce à faire aujourd’hui et ce dans lequel je mets le plus d’énergie, c’est de créer une véritable relation d’amour et de confiance avec mes enfants. Cette thérapie avec le psy est un véritable sabab dans ce sens, car lorsque l’on a subi ces attouchements, on peut très vite tomber dans la paranoïa et dans l’angoisse. On peut suspecter tout le monde d’être prédateur. On se méfie même des relations entre nos enfants. Alhamdoulilah, j’ai dépassé ce stade grâce à Allah. Je parle beaucoup avec mes enfants, leur dis tous les jours que je les aime et que je serai toujours là pour eux, quoi qu’il arrive. Si je devais donner un conseil aux victimes, c’est de ne pas laisser les années passer comme ça, et d’en parler tout de suite, à un proche, ou une amie de confiance. Vous n’êtes pas coupable mais bien victime. Et sachez qu’entamer un travail avec un psy (musulman surtout) est nécessaire pour avancer et se reconstruire. Ce qui est passé est révolu, Allah en a voulu ainsi, mais personne ne mérite de se morfondre jusqu’à la fin de sa vie. Qu’Allah apaise le cœur de toutes celles et ceux qui ont souffert de telles atrocités…
Les deux témoignages sont différents et en même temps ont une chose commun : la peur de parler. On ne peut prévoir la réaction de nos proches (père, mère) en leur annonçant de telles choses, mais il est important d’en parler, vous ne devez pas rester dans votre coin à souffrir en silence.
Il y a aujourd’hui des psychologues musulmanes avec lesquelles vous pouvez en parler librement. Parfois ce sont les représailles que les victimes redoutent, surtout dans les familles conservatrices. Mais cette rigidité ne doit pas vous empêcher d’en parler à l’extérieur du cadre familial.
Qu’Allah apaise les souffrances de toutes les victimes de ce fléau et qu’Il préserve nos enfants de tout mal.
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