La deuxième hypothèse fut d’imaginer des “circonstances de révélation”, aucune qui ne soit authentifiée, mettant en scène des vieillards afin de poser que cette permission de ne pas jeûner contre « rachat » ne vaudrait que pour les vieilles personnes trop faibles pour jeûner et, par une misogyne analogie, les femmes enceintes et allaitantes. En ce cas, l’on considéra que l’abrogation prétendument générée par le v185 ne concernait pas lesdites catégories débilitées, une abrogation partielle en quelque sorte, phénomène aussi difficilement soutenable que non documenté.
Pour la constitution de l’orthopraxie, l’affaire était d’importance, aussi fut-il élaboré une troisième solution, celle-ci est la plus radicale et la plus simple, elle a été formulée en un hadîth attribué à Salama ibn al Akwa‘ : « Lorsque fut révélé {et, quant à ceux qui l’auraient pu, leur incombe un rachat : la nourriture d’un pauvre} quiconque le voulait ne jeûnait pas et donnait la compensation ou fidya jusqu’à ce que fut révélé le verset qui le suit [c.-à-d. le v185] ». Le Coran aurait donc abrogé l’autorisation de ne pas jeûner pour qui le souhaite. Ce hadîth souffre d’un défaut en sa transmission signalé par al Bukhârî lui-même, mais au delà même de ce problème technique nous noterons que ce hadîth est typique de tous ceux prétendument relatifs à l’abrogation d’un verset par un autre.
Il s’agit toujours d’un avis personnel et aucun de ces hadîths n’ose faire intervenir le Prophète en personne, alors qu’il serait rationnellement obligatoire que ce fût le récepteur de la Révélation qui ait donné des informations à ce sujet. Quoi qu’il en soit, concernant le sens voulu de notre verset par l’Exégèse, la coexistence d’au moins trois avis différents atteste qu’il y eut élaboration progressive de ces arguments et pseudo preuves scripturaires visant à éliminer l’esprit libéral et non contraignant du texte coranique.
Conclusion
L’analyse littérale de S2.V83-184 aura démontré que la stricte obligation de Ramadan incombant aux musulmans résulte d’une conception qui appartient à l’Islam, mais pas au Coran. De fait, l’Islam a regroupé certaines pratiques indiquées par le Coran sous un concept qui lui est propre : les cinq piliers, lesquels sous cette forme ne sont pas coraniques. En effet, alors que l’Islam érige en véritable dogme le caractère obligatoire de ces piliers, le Coran quant à lui invite les croyants à prier, à jeûner, à faire l’aumône et le Pèlerinage, incitation qui ne revêt pas d’obligation comme nous l’avons déjà constaté concernant la prière. Étant entendu que nous avons démontré que le caractère obligatoire attribué à la prière selon l’Islam n’était pas coranique il était donc logique que cela soit aussi le cas concernant le Jeûne de Ramadan.
Ainsi, avons-nous pu constater que le Coran appelle avec insistance les jeûneurs à emprunter cette voie d’ascèse spirituelle : « Ô vous qui croyez ! Il vous est prescrit le Jeûne […] puissiez-vous pieusement craindre ! », v183. Toutefois, comme une telle démarche nécessite fondamentalement une véritable sincérité, le Coran a laissé à chacun le choix de contracter librement cet engagement. Aussi a-t-il été précisé que « ceux qui l’auraient pu [c’est-à-dire accomplir le jeûne de Ramadan] leur incombe un rachat [à titre de compensation pour le fait qu’ils ont décidé de ne pas jeûner] : la nourriture d’un pauvre », v184.
Face à une telle licence inscrite explicitement dans le texte coranique, nous avons montré que l’exégèse a déployé tout un arsenal de sources extra-coraniques destiné à effacer le point de vue du Coran.
Pour autant, l’autorisation de ne pas jeûner, qui ici répétons-le ne concerne pas le voyageur ou le malade, n’est pas une dispense sans intention mais seulement un aménagement prévu afin de préserver la valeur de l’engagement de ceux qui désirent jeûner en vue de la Face de Dieu, car il est bien précisé que « jeûner est meilleur pour vous, si vous le saviez ! », v184.
Dieu n’a point besoin de notre adoration, mais nous sommes les pauvres nécessiteux de Sa Lumière. Pour qui recherche Dieu, l’exigeant parcours d’anéantissement du moi qu’impose le Jeûne véritable est une des clefs de la proximité divine, comme l’indique l’essentiel verset de ce chapitre consacré au Jeûne : « Je suis proche et J’exauce l’appel de l’invocateur lorsqu’il M’appelle ; qu’ils Me répondent donc et croient en Moi, puissent-ils suivre la bonne direction. », v186.
En cette perspective, l’on comprend par l’esprit et par le cœur que le jeûne dit de Ramadan ne pouvait être une obligation générale communautaire. Pour le Coran, il s’agit en vue de Dieu d’un don de soi contre soi. Enfin, l’invitation coranique nous enseigne et nous rappelle que « le mois de Ramadan est celui en lequel fut révélé le Coran, guide pour les Hommes et claires manifestations de la Guidée et du discernement. », v185. Jeûner n’est donc pas un parcours de santé ou l’accomplissement d’un devoir religieux, mais un cheminement individuel vers Dieu par la méditation assidue de Sa révélation, une réalisation spirituelle guidée et médiée par le Coran.
El hadj Abou Soumahoro