739 personnes étaient jugées, pour la plupart accusées d’avoir tué des policiers ou d’avoir vandalisé des biens publics lors d’émeutes au Caire, en 2013. Soixante-quinze ont été condamnées à la peine capitale.
C’est un verdict « injuste », selon les Nations unies, tandis que les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent de nouveau l’impunité des forces de l’ordre en 2013. Dans le dernier acte d’un bras de fer engagé par le pouvoir avec les Frères musulmans, un tribunal du Caire a sans surprise confirmé, samedi 8 septembre, la condamnation à mort de soixante-quinze personnes, dont des dirigeants de la confrérie, lors d’un procès de masse portant sur le massacre de la place Rabia-Al-Adawiya, le 14 août 2013.
Les 739 personnes jugées samedi étaient, pour la plupart, accusées d’avoir tué des policiers ou d’avoir vandalisé des biens publics lors des émeutes d’août 2013 au Caire, qui avaient eu lieu après l’éviction, en juillet de cette année, par l’armée, du président islamiste Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans et premier président élu démocratiquement en Egypte.
Les forces de sécurité avaient alors réprimé dans le sang les rassemblements de ses partisans et lancé l’assaut le 14 août 2013 contre les sit-in sur les places Rabia-Al-Adawiya et Al-Nahda, qui avait fait au moins 817 morts parmi les manifestants, selon Human Rights Watch (HRW).
Le tribunal a confirmé les peines prononcées en juillet à l’instar de la peine de mort contre soixante-quinze membres des Frères musulmans, dont les dirigeants Mohammed Al-Beltagui, Issam Al-Aryane et Safwat Hegazi. Quarante-sept autres personnes ont été condamnées à la perpétuité, 374 à quinze ans de prison, 22 mineurs à dix ans, et 215 à cinq ans de prison. Le fils de l’ancien président islamiste Oussama Morsi a été condamné à dix ans de prison.
« Déni de justice majeur »
Le seul soulagement venu du banc des accusés a suivi l’annonce d’une peine de cinq ans de prison pour le photojournaliste « Shawkan », interpellé le 14 août 2013 alors qu’il couvrait la dispersion des sit-in. Si la peine prononcée est « injuste parce qu’il n’a fait que son travail », a estimé son avocat, Me Abdelrady, il s’est félicité que son client soit libéré « dans quelques jours ». Les organisations de défense des droits de l’homme s’étaient largement mobilisées pour l’Egyptien de 30 ans, lauréat du Prix mondial de la liberté de la presse de l’Unesco, en mai.
Alors que le verdict est susceptible d’être porté en appel, la haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, Michelle Bachelet, a dit espérer que celui-ci soit révisé « de façon que les principes internationaux de justice soient respectés ». Se joignant aux condamnations unanimes des organisations de défense des droits de l’homme, l’ancienne présidente du Chili, récemment nommée à l’ONU, a estimé que les accusés avaient vu leurs « droits fondamentaux ignorés de manière flagrante, [ce qui] fait peser un doute sérieux sur la culpabilité de tous les condamnés ». A cet égard, « les soixante-quinze condamnations à la peine de mort, si elles étaient appliquées, représenteraient un déni de justice majeur et irréversible », a-t-elle ajouté.
La haut-commissaire de l’ONU a par ailleurs souligné le contraste frappant entre les nombreux procès de masse et une loi adoptée en juillet accordant une impunité totale au personnel de sécurité pour les infractions commises après le renversement du gouvernement de Morsi, le 3 juillet 2013. « La justice doit s’appliquer à tous, personne ne devrait en être exempté », a-t-elle insisté, alors qu’aucun membre des forces de sécurité n’a été inculpé en liaison avec les événements de la place Rabia-Al-Adawiya.
Epilogue tragique de la révolution du 25 janvier 2011, le massacre de Rabia Al-Adawiya est considéré, selon HRW, comme « la tuerie de masse la plus importante de l’histoire moderne égyptienne ».
L’accession au pouvoir de l’homme fort de l’armée, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, a inauguré une chasse aux sorcières contre la confrérie des Frères musulmans et ses sympathisants. Selon Amnesty International et HRW, au moins 40 000 personnes ont été arrêtées en un an après l’éviction de M. Morsi en 2013. Nombre d’entre elles ont été condamnées à la prison lors de procès de masse. Elu président en 2014, et réélu en 2018, M. Sissi est accusé d’avoir étendu la répression à toutes les voix critiques, dont les révolutionnaires de 2011.