Fin 2015, nommée médiatrice de l’Etat par les députés, Mme Chizuma a été chargée pour cinq ans d’enquêter sur des faits de corruption même au plus haut niveau de l’Etat. Elle a reçu l’AFP pour un long entretien.
Pour un peu, elle passerait inaperçue. Petite taille, voix douce, regard cerclé de larges lunettes, Martha Chizuma, 40 ans, cultive la discrétion. Une retenue qui ne l’a pas empêchée de devenir, depuis sa nomination fin 2015, le fer de lance de la lutte contre la corruption des autorités du Malawi. Deuxième femme à occuper le poste de médiatrice de l’Etat – elle pourra se représenter une seule fois –, elle raconte à l’AFP comment ses débuts ont été ignorés par le gouvernement de Peter Mutharika, lequel s’était pourtant représenté à la présidentielle du printemps 2019 comme un « rempart contre la corruption ».
»Il y a eu des moments où ceux sur qui j’enquêtais me regardaient de haut à cause de mon âge et de mon sexe », Martha Chizuma, médiatrice de l’Etat à l’AFP
La magistrate se remémore ses débuts avec amusement. « Maintenant, j’ai dépassé tout ça. A tel point que quand je suis confrontée à ce type de personnes, je suis plutôt désolée pour elles », dit-elle, philosophe. Leur attitude prouve qu’elles n’ont rien d’autre à offrir que leur sectarisme. »
Ses investigations tous azimuts ont fait de sa fonction le porte-drapeau du combat contre la corruption qui gangrène le Malawi, petit pays pauvre d’Afrique australe, et contre l’impunité dont ceux qui le dirigent continuent à largement bénéficier. « J’ai toujours pensé que la mauvaise administration et l’impunité constituaient les fondations des systèmes corrompus », dit-elle. La longue liste des dossiers que Mme Chizuma a ouverts a progressivement conforté son opinion. Du directeur de ministère au médecin hospitalier, aucun n’échappe à ses foudres.
Des excuses du ministère de l’Agriculture
Récemment, la médiatrice s’est heurtée de front au gouvernement du président Mutharika à propos de l’affaire dite du « tractorgate » (lien en anglais) qui a fait grand bruit. Il s’agit d’un prêt indien de 50 millions de dollars utilisé par le ministère de l’Agriculture pour acheter des machines agricoles si vétustes qu’elles ont finalement été revendues à perte à une brochette d’élus ou d’hommes d’affaires proches du régime. Après enquête, Martha Chizuma a publié un rapport au vitriol dénonçant ce gaspillage des fonds publics et recommandant des poursuites contre les responsables. Pour l’heure, la justice n’a pas suivi, mais la médiatrice a déjà obtenu de rares excuses publiques du ministère de l’Agriculture. La presse a évoqué les « pressions » exercées par le pouvoir sur la magistrate. « On m’a dit (…) que certains me suivaient pour s’en prendre à moi, confie la médiatrice, mais la dernière chose que je ferais serait de trahir ma conscience. »
»La plupart des Malawites n’ont pas les moyens financiers de s’opposer aux institutions », Martha Kaukonde, secrétaire honoraire de l’Association des juristes à l’AFP
Son courage et son indépendance sont largement salués. « C’est presqu’une croisade contre les abus de l’Etat qu’elle a lancée », se réjouit le journaliste d’investigation Golden Matonga. Tandis que, toujours à l’affût des travers du régime, le chef de l’opposition Lazarus Chakwera est dithyrambique. « Son mandat (…) restera dans l’histoire comme un éclair d’intégrité dans le ciel sombre de la corruption », s’enflamme-t-il.
Le pouvoir agacé
Ses anciens collègues magistrats ou juristes louent quant à eux sa rigueur et son efficacité. « Son travail améliore le bon fonctionnement des institutions en répondant directement aux attentes des Malawites », juge la secrétaire honoraire de l’Association des juristes, Martha Kaukonde.
Exemple : en août 2019, l’un des rapports de Mme Chizuma a épinglé la faillite du système de santé du pays en démontrant que la négligence et le manque de soins avaient provoqué 160 hystérectomies (ablation de l’utérus) inutiles entre janvier et juillet 2018. Se fondant sur ses conclusions, plusieurs médecins ont depuis été sanctionnés par leur Conseil de l’ordre. Et un médiateur spécialisé dans les questions de santé a même été nommé.
Pour sa part, principale cible du combat livré par la médiatrice, le pouvoir, sans surprise, réprime difficilement un certain agacement. « Le gouvernement attend de ceux qui occupent la fonction de médiateur (…) qu’ils soient objectifs, sensés, mûrs et non pas impulsifs ou qu’ils profitent de leur position pour flatter leurs égos ou satisfaire leurs intérêts personnels », réagit, moqueur, le ministre de l’Information Mark Botoman face aux travaux de la médiatrice.
« Il nous reste encore beaucoup à faire pour être pleinement efficace (…) mais je dors beaucoup mieux maintenant », Martha Chizuma à l’AFP
Martha Chizuma n’a cure des critiques de ceux qu’elle dérange. « Chaque fois que je réussis à utiliser le droit pour apporter la justice à ceux qui sont maltraités par l’administration, je suis vraiment très fière », confie-t-elle.