Mariage: quelle est la valeur symbolique du nom de jeune fille?

Troquer son nom contre celui de son mari au moment du mariage: une évidence pour beaucoup. Pourtant, cette tradition héritée du XIXe siècle n’a rien d’obligatoire. Pour de plus en plus de femmes, conserver son nom de jeune fille est une preuve d’indépendance.

C’est un terme aux accents presque désuets, reliquat d’un temps où l’on passait directement de la maison de son père à celle de son mari. L’abandon du « nom de jeune fille » rappelle cette époque où, pour être une femme à part entière, il fallait d’abord être mariée.

Une tradition en lien avec l’avènement de la bourgeoisie

« Cette coutume s’est imposée au XIXe siècle, éclaire Florence Rochefort, chercheuse au CNRS, codirectrice de CLIO, Femmes, Genre, Histoire. Elle est concomitante avec la création du Code civil en 1804 et avec l’avènement de la bourgeoisie. Socialement, on considère alors que l’homme a un ‘droit de propriété’ sur sa femme. Le statut d’épouse confère à cette dernière une notabilité dont elle est fière. »

Au cours du XIXe siècle, cette tradition s’est peu à peu imposée dans toutes les strates de la société, traversant les générations sans que l’on ne pense à y changer quoi que ce que ce soit. « Pourtant, la loi est claire: la femme n’a jamais été obligée de perdre son nom au moment du mariage. Elle a toujours pu garder le sien », rappelle Florence Rochefort.

« Formaliser le fait que nous faisons partie du même clan »

Peu à peu, l’usage est pourtant devenu la norme. Dans l’esprit collectif, abandonner son patronyme fait partie intégrante du rite du mariage. Symboliquement, en choisissant de porter le nom de son mari, on marque son nouveau statut, on souligne sa « qualité » de femme mariée, donc « choisie ».

« Cette pratique témoigne de l’idéalisation du mariage qui a été très longtemps à l’œuvre dans la société, souligne Florence Rochefort. Avec l’émergence du mariage d’amour comme norme au XIXe siècle, on a démocratisé l’idée de l’union comme une fusion, une dissolution de l’identité de la femme dans la famille. »

Lucie, 31 ans, ne s’est d’ailleurs même pas posé la question. Elle a pris le nom de son mari. « C’était une évidence pour moi. Il me semble essentiel que nous portions, lui, notre fils et moi, le même nom. Cela permet de formaliser le fait que nous sommes une famille, que nous faisons partie du même ‘clan’. »

« L’individualisme féminin est néfaste à la vie de couple »

Mais dans un contexte où la valeur symbolique du mariage a largement évolué et où les femmes revendiquent avec force leur individualité, renoncer à son nom de jeune fille n’est plus aussi automatique. Après des années à avoir été connue sous un nom, être désignée par un autre peut même provoquer un rejet épidermique. C’est le cas de Laure, 30 ans. « J’ai toujours dit à mon copain que je refuserai de changer, quoi qu’il arrive! J’aime beaucoup mon nom, il me représente, il fait partie de moi. Je ne vois pas pourquoi j’y renoncerais. »

« Les féministes du XIXe avaient déjà mis en lumière ce lien entre nom et identité, reprend Florence Rochefort. Elles voulaient faire prendre conscience aux femmes qu’il y avait des écueils à changer de nom. Pourtant, encore aujourd’hui, revendiquer ce choix n’est souvent pas très bien vu par le conjoint ou la belle-famille. On a toujours dans l’idée que cela fait partie du rite. En creux, on croit toujours que l’individualisme féminin est néfaste à la vie de couple. »

« Renouer avec celle que j’étais plus jeune »

Au moment des préparatifs de son mariage, Émilie, 32 ans, a fait de cette question un véritable sujet de réflexion. Garder son nom? Prendre celui de son futur mari? Accoler les deux? La jeune femme a finalement opté pour cette dernière option. « Dans mon milieu professionnel -le droit- j’ai toujours été connue sous mon nom de jeune fille, cela aurait été très étrange de me faire appeler autrement du jour au lendemain. En faisant ce choix, j’ai l’impression d’avoir trouvé un compromis. »

À la naissance des enfants, il est alors possible d’accoler les deux noms des parents, dans l’ordre choisi par ces derniers. « Reste que, à l’usage, l’un des deux noms ‘tombe’ souvent, souligne Florence Rochefort. En général, il s’agit de celui de la mère. »

Si l’arrivée des enfants fait ressurgir ces réflexes bien ancrés, le divorce, lui, peut rebattre une dernière fois les cartes. Quand elle s’est séparée de son mari, il y a dix ans, Christine, 56 ans, a repris son nom avec joie. Une libération et une manière de clore définitivement son mariage. « Pour moi, cette démarche était aussi importante que celle de reprendre un appartement par exemple. En reprenant mon nom de jeune fille, j’ai eu l’impression de me retrouver, de renouer -enfin- avec celle que j’étais plus jeune. »

lexpress.fr/