Leïla Bouamatou est directrice et administratrice de la Générale de banque de Mauritanie (GBM), l’un des principaux établissements du pays, fondé par son père. Leïla Bouamatou revendique l’héritage de son père, figure de l’opposition, mais place son engagement au service de l’émergence des femmes en Afrique.
Leïla Bouamatou est la première femme à diriger une banque dans son pays.
Depuis qu’elle a pris les rênes de la Générale de banque de Mauritanie, l’année dernière, à seulement 35 ans, Leïla Bouamatou a amorcé la digitalisation de l’établissement, l’a ouvert aux petites et moyennes entreprises, et a créé une filiale consacrée à la finance islamique. Cette banque, c’est son père, Mohamed Ould Bouamatou, l’une des plus grandes fortunes du pays, qui l’a fondée il y a près de vingt-cinq ans. Leïla Bouamatou est fière de son père, mais elle ne veut pas lui devoir sa carrière. Alors elle étudie et elle voyage : école de commerce en Suisse, master en Espagne, doctorat aux États-Unis. Leïla Bouamatou est née avec des facilités, mais elle ne s’en est pas contentée. « L’un des défis les plus importants pour moi, confie la jeune dirigeante, c’était de ne pas être vue juste comme la ‘fille du patron’. J’ai essayé à tout prix de grimper les échelons, petit à petit. Je dois ma réussite à ma détermination. Pour mériter sa place, il faut se faire respecter. »
« Je voulais faire de l’architecture ! »
Leïla Bouamatou veut réussir par elle même, mais elle ne renie pas l’héritage de son père, dont elle se dit extrêmement fière. D’ailleurs, c’est bien lui qui a influencé ses choix professionnels. Depuis le début. « Moi je voulais faire de l’architecture !, se souvient sans regret la banquière, mais il m’avait conseillé de faire de la finance parce que c’était beaucoup plus intéressant. Et de le faire en anglais. Il m’a dit “tu sais ma fille, dans dix ans, si tu ne parles pas anglais, tu seras l’analphabète du siècle.” J’ai suivi ces conseils et j’ai fait tout mon cursus en anglais. » Leïla Bouamatou se forme ensuite au sein du cabinet d’audit Deloitte en Tunisie, puis à la BMCE à Londres. « Et puis mon père m’a demandé de rentrer parce qu’il avait besoin de mon aide… c’était au moment où je m’apprêtais à signer un contrat de rêve à Londres. » Contrat de rêve d’un côté, papa de l’autre, le combat est inégal… À la demande de son père, Leïla Bouamatou revient dans le groupe familial en tant que trésorière, en 2008. Dix ans plus tard, elle est nommée directrice.
« L’Afrique a besoin de modèles de femmes »
Le père de Leïla Bouamatou, Mohamed Ould Bouamatou, n’est pas seulement un homme d’affaires. Cousin et soutien de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, le père de Leïla Bouamatou est ensuite devenu l’un de ses plus farouches opposants. Il vit aujourd’hui en exil à Bruxelles. Leïla Bouamatou, elle, préfère éviter de parler politique. Ce n’est pas son combat. En tout cas, pas pour le moment. Son engagement, elle le met au service des femmes. « L’Afrique a plus que jamais besoin de modèles de femmes, pose la directrice, surtout en matière d’entrepreneurship et de leadership, pour encourager des jeunes filles et des femmes à aspirer à des positions de premier rang comme nous. Je suis arrivée à ce que je voulais, donc mon objectif c’est de tirer d’autres femmes vers le haut. » Une démarche qui tient aussi du sentiment de gâchis que Leïla Bouamatou a pu éprouver tout au long de ses études puis de sa carrière : « j’ai vu beaucoup de jeunes filles intelligentes, talentueuses, compétentes, reculer devant des postes tout simplement parce qu’elles se sous-estimaient et qu’elles manquaient de modèles de femmes. C’est dommage pour elles, pour la société et surtout pour le continent africain. »
Les traditions, une force libératrice
Leïla Bouamatou parle d’autorité : le magazine Forbes l’a classée l’année dernière parmi les 10 personnalités africaines de moins de 40 ans les plus talentueuses.
Et pour construire son modèle, Leïla Bouamatou a dû commencer… par la racine : « l’un des défis qu’il a fallu surmonter, pour moi et certainement pour d’autres femmes africaines, c’est de se détacher des perceptions, des coutumes, des normes qui confèrent à la femme un rôle subalterne. En tant que femme africaine, je pense que nous ne devons pas accepter que ces traditions africaines soient exploitées pour incarner la domination de l’homme. Au contraire, ces traditions doivent être utilisées comme une force libératrice, un catalyseur, afin de promouvoir le leadership des femmes africaines. »
Sa melhfa, le voile traditionnel mauritanien, la couvre des chevilles jusqu’au visage, lorsque Leïla Bouamatou prononce ces paroles. Car sa religion et ses traditions, cette mère de deux enfants les assume. Elle les vit. Elle en fait même un outil au service de l’émergence des femmes africaines. Une question d’égalité et, préciserait la banquière, un investissement forcément rentable pour le continent.