Le monde ne sortira pas de la crise du Coronavirus comme il y est entré. Sur tous les plans, philosophique, économique et politique, et obligeant les hommes à repenser les bases sur lesquelles il a été bâti au sortir du moyen-âge qui coïncide avec la fin de la civilisation islamique.
Depuis quelques jours la planète ressemble à un décor hollywoodien installé en une nuit pour les besoins de tournage d’un film-catastrophe à gros budget. Le cinéma nous a certes donné à voir des projections de ce qu’on commence à vivre dans la réalité, mais la différence est grande entre les frayeurs qu’on se paye pour faire monter son adrénaline et la peur d’apprendre qu’on risque de mourir pour de vrai de quelque chose d’inconnu à la désignation lugubre.
Les plus grands dégâts qui résulteront de cette crise qui en est à ses débuts ne seront pas reflétés par le nombre de morts qui sera au bout du compte infiniment plus bas que celui des pandémies qui ont saigné l’humanité dans le passé, mais par l’ampleur des dommages collatéraux, essentiellement économiques et financiers, que vont causer les mesures prises pour la combattre. Etrange ironie du sort imposant une logique suicidaire : pour sauver les individus, il faut déconstruire les sociétés auxquelles ils appartiennent !
La « distanciation sociale » selon une terminologie française récente, autrement dit l’isolement, la mise en quarantaine (réduite à une quatorzaine) et le confinement quasi absolu sont pour l’instant, outre quelques gestes d’hygiène vieux comme le monde, les seuls moyens trouvés pour contenir la progression de la maladie. Car dans cette affaire l’agent infectieux, l’arme de destruction massive, c’est l’homme transformé en ogive nucléaire orientée contre l’espèce humaine mondialisée.
L’altruisme recommandé par les religions, l’humanisme défendu par les philosophes, les idéaux de fraternité et de solidarité portés par les Etats se sont vus brusquement rétrogradés dans l’échelle des valeurs et invités à faire profil bas le temps que le danger passe.
Il n’est pas dit que tout le monde va mourir, on estime que le pourcentage de morts se maintiendra entre 3 et 5 %, mais c’est tout comme : chacun est suspecté d’être contagieux et tout le monde regarde son prochain comme une source de danger mortel pour soi et les siens. La priorité aux soins d’urgence n’est plus aux aînés âgés de plus de 70 ans, mais aux plus jeunes. L’union ne fait plus la force, mais plutôt la faiblesse. La main de Dieu n’est plus avec la « jamaâa » (la communauté), mais avec les solitaires, les isolés, les esseulés. Il ne faut plus rester groupés, mais se tenir loin les uns des autres.
La prière collective du vendredi, la messe du dimanche, les prises de parole publiques et les sorties papales, les célébrations dans les temples, les cérémonies festives, les rencontres sportives, etc, sont suspendues ou reportées sine die. Les rues sont désertes comme on ne les a jamais vues, la plupart des commerces fermés et les jours de travail évoquent les jours fériés. Des organisations communautaires aussi solides que l’Union européenne s’effilochent, les barrières sont rétablies aux frontières entre Etats et les liaisons aériennes et maritimes coupées entre eux.
La culture religieuse islamique (en particulier) enseigne qu’en dehors de Dieu nul ne sait où et quand il mourra. Ignorance réconfortante pour les individus car leur donnant l’impression que l’horizon de leur trépas est ainsi reculé, et essentielle à la survie des sociétés dont les ennemis mortels sont le désordre sociopolitique et la panique de masse qui, en un bref laps de temps, peuvent rompre les règles de la vie commune et les remplacer par le chaos.
Il y a donc du bien dans une certaine ignorance : ne pas savoir ou ne pas chercher à savoir plus qu’il n’en faut (comme l’a reproché le tribunal de l’Inquisition à Galilée qui a failli terminer sa vie sur le bûcher pour cette raison). Mais que faire, que croire, maintenant qu’on est dans le secret de Dieu ? Qu’on sait que beaucoup d’entre nous vont mourir à brève échéance et à l’endroit où ils se trouvent ? Ils savent où ils vont mourir, dans quels délais à peu près et, chose tout à fait nouvelle, de quoi. En l’occurrence, d’un micro-organisme presqu’aussi invisible que le « ghaïb », que l’« inconnaissable »…
On prie Dieu en espérant que les savants (pas les ulémas et théologiens de toutes les religions, mais les savants scientifiques) trouveront la parade contre cette plaie qui n’est pas venue du ciel mais de la prospère Chine où il se trouve encore des Chinois qui mangent des chauves-souris. Une chauve-souris ! Comment, d’un point de vue religieux, concilier cette bestiole avec des Décrets divins ?
Ce n’est que dans les moments de grand péril que les individus, les peuples et les Etats ingrats se rappellent du rôle vital des savants dans la survie de l’humanité depuis l’Antiquité. Si Dieu donne la vie et la reprend, les savants dans tous les domaines la réparent, la protègent, la facilitent, l’agrémentent et la prolongent.
Malheureusement ce ne sont pas leurs victoires sur la maladie, le handicap, la misère et le malheur, ce ne sont pas leurs découvertes et leurs inventions qui sont portés aux nues et eux célébrés tels des héros ou des dieux, mais les victoires footballistiques et les hit-parades dont la finalité est l’amusement. En une vie entière un scientifique ne touche pas le salaire annuel d’un joueur de football ou d’un chanteur en vogue. Le divertissement rapporte infiniment plus que le savoir en termes de gratification financière et de considération sociale. On serait probablement encore au néolithique si quelques milliers d’individualités issues des anciennes civilisations et de différentes contrées ne s’étaient dévouées au progrès de la science et au bien commun sans contrepartie matérielle tout au long des derniers millénaires.
Quoiqu’il en soit, nous sommes – l’ensemble de l’humanité – rentrés dans un tunnel long de plusieurs mois dont sortiront ceux qui survivront à la crise ébranlés, désillusionnés, mais peut-être aussi pleins du sentiment d’avoir à forger une nouvelle vision de la politique, de l’économie, des relations internationales, du monde, de Dieu, de la place des savants dans la hiérarchie sociale et…de la grille des salaires.
Alors le coronavirus qui est peut-être une des dernières pandémies à menacer la vie humaine aura eu une utilité : celle d’ouvrir les yeux de l’humanité sur les incomplétudes de son système de pensée et les imperfections de son organisation universelle. Les solutions résident dans l’unification du monde et de l’humanité, et non dans leur atomisation sous un prétexte ou un autre. Le tournant propice à un nouveau paradigme servant de nouvelle boussole à l’espèce humaine sera peut-être pris au sortir de cette épreuve universelle, quand toutes les leçons en auront été tirées sur tous les plans.
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