En Afrique, les conflits entre le privé et les pays d’accueils se sont multipliés au cours de cette année 2018. Des différends nés de la volonté de ces pays africains de recouvrir leur pleine souveraineté sur certains actifs ou de reprendre le contrôle des secteurs clés de leurs économies. Du Gabon au Congo en passant par le Mali, le Burkina Faso, la Zambie, la Guinée Conakry, le Nigeria, la Tanzanie et Djibouti, des multinationales étrangères implantées localement se sont opposés aux autorités pour conserver leurs acquis ou protéger leurs investissements.
1 – Dubaï Port World, écarté au nom de « l’intérêt supérieur du peuple de Djibouti »
C’est en février 2018 que l’Etat Djiboutien avait résilié unilatéralement son contrat avec la société Dubaï Port World, en charge de l’exploitation de son port de Doraleh. La société a lancé et remporté plusieurs recours judiciaires en Grande-Bretagne mais Djibouti refuse toujours de céder, estimant que ces décisions ne peuvent passer au-dessus de son intérêt et de ses lois nationales.
Les autorités de ce pays de la Corne de l’Afrique estiment que la résiliation de la concession du terminal à conteneurs de Doraleh est effective et parfaitement légale. Elle découle d’une décision intervenue sur le fondement d’une loi votée par le Parlement le 8 novembre 2017 et d’un décret pris par le président de la République, le 22 février 2018, après l’échec des négociations entre les deux parties. Les ports djiboutiens sont stratégiques, ils alimentent de grands pays enclavés comme l’Ethiopie avec ses 100 millions d’habitants. Les ports génèrent 80 % du PIB de ce pays à la Corne de l’Afrique, d’où le motif d’intérêt national, d’autant plus que DP World est accusé par quelques analystes d’avoir volontairement saboté le développement du port de Doraleh pour ne pas faire de l’ombre au grand port de Dubai.
2 – Affaire Bolloré, la revanche de Necotrans en Guinée Conakry
En Guinée Conakry, tout a commencé en 2008 lors que la société Necotrans remporte la concession du port de Conakry pour une durée de 25 ans. En 2011, l’entreprise a été virée trois mois après l’arrivée au pouvoir du président Alpha Condé, au profit du groupe Bolloré. Elle a ensuite intenté plusieurs actions en justice devant des cours arbitrales et la justice française.
L’affaire a pris une nouvelle tournure lorsqu’en 25 avril 2018 Vincent Bolloré a été mis en examen, soupçonné de « corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique », mais aussi « d’abus de confiance et de biens sociaux », dans le cadre de l’attribution à son groupe des concessions portuaires de Conakry mais aussi de Lomé au Togo. Début décembre, le holding Bolloré SA a également été mis en examen, soit sept mois après la mise en examen des deux responsables du groupe. Une affaire à suivre en 2019.
3 – Les péripéties de MTN au Nigéria
2018 a été une année houleuse pour MTN au Nigeria où l’opérateur a écopé d’une amende de plusieurs milliards de dollars avant de trouver un accord in extremis avec la Banque centrale Nigériane (BCN) à la fin de l’année. La BCN a annoncé ce 24 décembre être parvenu à un accord en faveur d’un règlement à l’amiable du contentieux de 8,1 milliards de dollars l’opposant à MTN. Fin Août 2018, le Nigeria a exigé du groupe de télécommunication et de ses banquiers un remboursement dudit montant, lequel porte sur des dividendes transférés par la société sur la période 2007 et 2015, en violation des règles en la matière, selon la Banque centrale.
La CBN a estimé que les fonds ont été transférés illégalement à l’étranger avec la complicité des banquiers de la société, dont Standard Chartered Bank, Stanbic-IBTC, Citibank et Diamond Bank. MTN Groupe a aussitôt tout nié en bloc. C’est un revers de plus pour le groupe sud-africains qui cumule les écueils sur le marché nigérian, où il a sa filiale la plus lucrative. Il y a juste deux ans, MTN a déboursé plus d’un milliard de dollars pour solder un différend l’opposant au Nigéria sur des cartes SIM non enregistrées.
Le nouvel accord devrait soulager la multinationale et améliorer le climat d’investissement dans le pays même si MTN va devoir solder d’autres comptes avec les autorités nigérianes.
4 – Acacia Mining dans la ligne de mire Tanzanienne
Acacia, la plus grande compagnie minière dans le secteur aurifère en Tanzanie est en conflit ouvert avec les autorités tanzaniennes pour un différend qui date. La société est soupçonnée d’évasion fiscale. Des faits qu’elle a catégoriquement nié, ce qui ne l’a pas empêché d’écoper une amende fiscale de 190 milliards de dollars et de perdre le droit d’exporter des minéraux bruts à l’échelle industrielle.
Des négociations entre le gouvernement et la société mère d’Acacia, Barrick Gold, pour solder ce vieux litige sont toujours en cours, mais les tensions restent vives. Il y a juste 3 mois, les autorités ont procédés à des arrestations du personnel du groupe soupçonné de corruption. Avril 2018, le président Tanzanien a mis sur pieds une nouvelle commission minière. Un super régulateur devant aider le quatrième producteur d’or sur le Continent à tirer d’avantage profit de ses ressources minières grâce notamment à des changements du régime fiscal et de la réglementation du secteur.
5 – First Quantum Minerals / l’Etat Zambien : la loi du talion
En janvier 2018, le groupe canadien First Quantum Minerals a perdu son recours devant un tribunal zambien qui cherchait à mettre fin aux poursuites judiciaires à son encontre. Dans cette affaire, le minier canadien pourrait s’acquitter d’une amende de 1,4 milliard de dollars au profit de la Zambia Consolidated Copper Mines Limited (ZCCM -IH). La société est détenue à hauteur de 77,7% par l’Etat Zambien. Tout a débuté en 2016 lorsque First Quantum a emprunté la somme de 2,3 milliards de dollars à sa filiale minière zambienne, Kansanshi Mining, sans en informer son associé ZCCM-IH.
Tenu à l’écart, le groupe zambien s’est estimé lésé et a par la suite intenté des poursuites contre l’opérateur canadien lui réclamant 1,4 milliard de dollars. La Zambie, deuxième producteur de cuivre d’Afrique, veut rééquilibrer ses relations avec les opérateurs miniers en passant la révision de la taxation, du coût de l’électricité, des préoccupations environnementales ou encore de la gestion des emplois. Dans cette guerre contre les miniers, la Zambie a abordé fin décembre une nouvelle phase, en procédant à la hausse des taxes. En effet, la Zambie envisage d’introduire de nouvelles taxes minières, en substituant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) par une taxe de vente et d’augmenter les redevances à partir de janvier 2019. Une décision à laquelle First Quantum Minerals riposte par des licenciements massifs.
6 – Glencore en RD Congo : tous les coups sont permis !
Avril 2018, la République démocratique du Congo à travers sa société nationale, la Gécamines a entamé une nouvelle étape dans le bras de fer qui l’oppose à Glencore, l’une des principales compagnies minières étrangères opérant dans le pays. Gécamines a en effet demandé la dissolution de la Kamoto Copper Company, détenue à 75% par Glencore, suite à un différend de plusieurs années. Gécamines, accuse Kamoto Copper Company d’avoir cumulé fin 2017, une dette de 9 milliards de dollars vis-à-vis de Glencore. Autant dire qu’en RDC, les tensions entre opérateurs miniers et autorités sont récurrentes. Le tribunal de Kolwezi (Katanga) a décidé de suspendre les procédures engagées par l’entreprise publique visant à dissoudre Kamoto Copper (KCC) une joint-venture qui la lie à Glencore.
Il y a quelques semaines, Glencore s’est de nouveau retrouvé dans le viseur des autorités congolaises, lorsque sa filiale Katanga Mining a annoncé fin nombre la suspension des exportations de cobalt de la mine de Kamoto, en raison d’un niveau de radioactivité élevé. Les autorités congolaises ont contesté cette suspension et demandé la conduite d’un audit indépendant. autant dire que 2018 a été une année particulièrement mouvementée pour Glencore en RDC. La compagnie d’origine Suisse a subi la hausse des impôts instaurée par le nouveau code minier promulgué en mars 2018. Le minier a également dû verser d’importantes sommes d’argent à la société d’État Gécamines et à son ancien associé Israélien Dan Gertler.
7 – La PAM de Timis Mining viré du Burkina Faso après le départ des alliés
En avril 2018, le Burkina Faso par le biais de son ministre des mines a annoncé l’arrêt du contrat d’une valeur d’un milliard de dollars conclu avec la société Pan African Minerals, une unité de Timis Mining Corp. Le pays d’Afrique de l’ouest a donné un préavis de 90 jours à Pan African Minerals pour le retrait de l’accord sur le gisement de Tambao, a prévu le ministre, estimant que la compagnie n’a pas réussi à construire l’infrastructure ferroviaire et routière qui faisait partie de l’accord.
C’est en mai 2014 que la société Pan African Burkina a reçu par décret l’octroi du permis d’exploitation de la mine de manganèse. En 2015, le pays a connu un changement politique majeur par le départ forcé de Blaise Compaoré et dans la même période, la Pan African a annoncé son arrêt de la production suite à des désaccords avec les nouvelles autorités d’Ouagadougou. La société a alors déposé une requête auprès du tribunal d’arbitrage basé à Paris pour empêcher le retrait de son permis et réclame jusqu’à 4 milliards de dollars de dommages et intérêts.
8 – Shell et ENI embourbées dans l’inextricable corruption Nigériane
Shell et Eni sont en conflit ouvert avec les autorités de d’Abuja. Toujours sous le coup d’un procès à Milan, les compagnies pétrolières sont aussi attaquées au tribunal de Londres. Une plainte du Nigéria qui les accuse de complicités dans des affaires de corruptions impliquant d’anciens hauts responsables, ayant obtenu des pots-de-vin dans le cadre de la cessation d’un bloc pétrolier en 2011. La nouvelle procédure est liée à des paiements effectués par les entreprises pour l’octroi de la licence d’exploitation du champ pétrolier OPL 245, il y a 7 ans.
Un bloc pétrolier conflictuel et objet d’un procès en Italie où se trouve le siège de la compagnie ENI. Dans ce cadre de celui-ci plusieurs hauts responsables Nigérians et des entreprises pétrolières opérant localement dont l’ancien ministre nigérian du Pétrole, Dan Etete, l’actuel patron de la société, Claudio Descalzi, son prédécesseur Paolo Scaroni entre autres sont sur le banc des accusé. Le Nigeria s’est constitué partie civile dans le procès de Milan.
9 – Chassée du Gabon, Veolia riposte
Après vingt ans de privatisation de son eau et son électricité au profit de Veolia, le Gabon a rompu unilatéralement avec la société française Veolia. Face à ce revers, le groupe français a décidé de saisir un tribunal arbitral international. C’est sans doute une page qui se tourne. Veolia est implanté depuis 1997 au Gabon, où il est l’employeur et l’investisseur français le plus important après le groupe pétrolier Total.
Le ministre gabonais de l’énergie et de l’eau, Patrick Eyogo, a justifié la rupture du contrat par la nécessité de « préserver la continuité et la qualité du service public ». Rappelons malgré les critiques récurrentes du gouvernement et des consommateurs, la concession avait pourtant été reconduite pour cinq ans en mars 2017.
10 – Affaire Randgold, le Mali tempère
La compagnie minière sud-africaine Randgold a été relativement bien épargnée par les conflits qui opposent les Etats aux miniers, sauf au Mali où la société est confrontée à son litige le plus important avec les autorités locales. Bamako continue de réclamer des arriérés de taxes et royalties de plus de 100 millions d’euros, contestés par Randgold, dont les activités représentent près de 7% du PIB malien.
Le conflit est toujours ouvert mais les différentes parties espèrent un règlement à l’amiable. La société a d’ailleurs bénéficié en 2018 des réductions d’impôts proposées par le pays pour attirer les investisseurs.
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