Comment une compagnie créée pour promouvoir le nationalisme afrikaaner est-elle devenue l’entreprise ayant la plus grosse capitalisation du continent africain? La réponse à cette question tient en deux noms: Koos Bekker et Tencent.
C’est en 1915 qu’est lancé la compagnie De Nationale Pers Beperkt, à Stellenbosch, en Afrique du Sud. L’objectif affiché par ses fondateurs est de promouvoir le nationalisme Afrikaaner par l’édition de titres de presse comme le quotidien De Burger et le magazine De Huisgenoot. Les Afrikaaners sortent alors perdants de la guerre des boers qui les a vus s’incliner face aux Anglais. Dans la ligne de son nationalisme, le média accompagnera le parti national qui instaurera la politique de l’Apartheid. Un soutien qui lui vaudra des décennies plus tard le surnom d’Apartheid Inc.
Dans la ligne de son nationalisme, le média accompagnera le parti national qui instaurera la politique de l’Apartheid. Un soutien qui lui vaudra des décennies plus tard le surnom d’Apartheid Inc.
Très tôt ce qui deviendra plus tard Naspers se caractérise déjà par son souci de diversification. Ainsi, en 1918, la compagnie se lancera dans l’édition de livres, se construisant sur les soixante années suivantes une position dominante sur le marché sud-africain.
Apartheid Inc, un surnom peu flatteur.
Les années 80 verront l’émergence de la télévision payante et Naspers prendra ce virage en créant M-Net, la première chaîne du genre dans la région. En 1993, M-Net se scindera en deux entités. La première sera dédiée à la production du contenu, tandis que la seconde sera entre autres, chargée de la gestion des abonnés, de la distribution du signal. A la tête de cette seconde compagnie, Multichoice, un homme qui marquera quelques années plus tard l’histoire de Naspers: Koos Bekker.
Koos Bekker, le démiurge derrière le succès de Naspers
Né en 1952 à Potchefstroom dans le nord-ouest de l’Afrique du Sud, Koos Bekker est un fils de fermier qui sortira de l’université de Stellenbosch avec une licence en littérature avant d’enchaîner un MBA à la Columbia Business School. L’homme, qui est l’un des cofondateurs de Multichoice, compte aussi parmi ceux qui sont à l’origine, en 1994 du géant africain des télécoms MTN.
Koos Bekker, pas de salaires, ni de primes, uniquement des stock options.
Quand il prend la tête de Naspers en 1997, la compagnie était évaluée à 1,2 milliard de $. Bekker, jusqu’à son départ en 2014, ne percevra pas de salaires, ni de primes, mais sera payé uniquement en stock options. Sa stratégie est simple : poursuivre la diversification de l’entreprise. La capitalisation de l’entreprise sera alors de 45 milliards de $.
En 2001, en accord avec cette ligne directrice, et alors qu’il prévoyait un recul des bénéfices générés par les magazines papiers, en raison de la digitalisation, il dirigera son groupe vers le marché chinois. Après quelques expériences infructueuses et l’explosion de la bulle internet, le sud-africain est sur le point de retirer ses billes. Revenant sur cette période Charles Searle, qui dirige la division de Naspers dédiée à ses actifs internet côtés en bourse, déclare: «Nous sommes entrés sur le marché chinois très tôt. Nous avons connus beaucoup de faux-départs et des erreurs ont été commises menant à des échecs précoces.» Mais avant de renoncer à la Chine, le groupe sud-africain est décidé à tenter un dernier pari. Il investira dans une petite compagnie inconnue et en difficulté: Tencent.
Mais avant de renoncer à la Chine, le groupe sud-africain est décidé à tenter un dernier pari. Il investira dans une petite compagnie inconnue et en difficulté: Tencent.
Cette opération est considérée par les analystes comme le tournant majeur de l’histoire de Naspers.
Naspers et Tencent, mariage d’amour et de raison
Selon South China Morning Post, la firme hésitera un moment entre Alibaba, Baidu et Tencent, avant d’opter pour cette dernière. La décision de Bekker avait été alors motivée par le nombre d’utilisateurs du service de messagerie de Tencent, QQ, qui comptait déjà 1,5 million d’utilisateurs. «Nous avons identifié assez tôt cette compagnie en raison du nombre d’utilisateurs qu’elle attirait mais aussi pour la capacité de son service de messagerie instantanée à rapidement devenir addictive.» explique Charles Searle.
«Nous avons identifié assez tôt cette compagnie en raison du nombre d’utilisateurs qu’elle attirait mais aussi pour la capacité de son service de messagerie instantanée à rapidement devenir addictive.»
Naspers y investira 32 millions de dollars pour prendre 46,5% des actions de la compagnie chinoise auprès de ses primo-investisseurs PCCW et IDG Capital Partners, et touchera le jackpot. En effet, fin 2001, l’action Naspers se négociait à 1930 rands (143 $). En juillet 2018, son cours était de 337 300 rands (environ 25 000 $). Quant à Tencent, il entrera en bourse en 2004 avec un titre se négociant à 0,81 HKD (10 cents). Cette année, son action est évaluée à 341 HKD (43,44$).
En effet, fin 2001, l’action Naspers se négociait à 1930 rands (143 $). En juillet 2018, son cours était de 337 300 rands (environ 25 000 $).
Cette hausse vertigineuse de la valeur des deux compagnies s’explique essentiellement par les performances exceptionnelles de Tencent. Si à ses débuts, la compagnie générait essentiellement ses revenus de la publicité et des usagers premiums de son service de messagerie, très vite, il va se diversifier dans le jeu-vidéo et la vente de biens virtuels. Ainsi le chinois investit massivement dans des éditeurs de jeux-vidéos comme Epic Games, Riot Games, tout en se jetant dans des secteurs comme la logistique ou le e-commerce (JD.com).
Epic Games.
En 2015, elle lancera WeBank, première banque chinoise exclusivement en ligne. Le groupe possède également WeChat, principal service de messagerie en Chine ou encore TenPay, concurrent de PayPal dans l’empire du milieu.
WeBank, première banque chinoise exclusivement en ligne.
Expliquant les principes de gestion qui ont permis l’émergence du mastodonte chinois, Anthony Roux, responsable des opérations internet de Naspers et membre du conseil d’administration de Tencent, déclare: «Nous ne micro-manageons pas ces gars». Et à Anton Harber, biographe de Koos Bekker de renchérir: «Il (Koos Bekker, NDLR) a changé son approche après son investissement dans Tencent. Auparavant, il exportait toute une équipe de managers. Maintenant, il nomme juste le directeur financier, mais il laisse le management des compagnies aux équipes sur place.»
« Auparavant, il exportait toute une équipe de managers. Maintenant, il nomme juste le directeur financier, mais il laisse le management des compagnies aux équipes sur place.»
Grâce à cette méthode, Naspers deviendra la première capitalisation boursière du continent africain, Tencent l’une des compagnies technologiques les plus prospères de la planète et Koos Bekker, un milliardaire et la 8ème fortune du continent.
Les signes d’une sur-dépendance à Tencent
Tout n’est cependant pas rose dans la saga Naspers et les analystes auront tôt fait de remarquer que les performances de Tencent cachent parfois certains exercices moins reluisants du groupe sud-africain. La compagnie chinoise est en effet le moteur de la croissance de Naspers. Actuellement les plateformes internet et les réseaux sociaux lui fournissent 61% de son bénéfice.
Tencent, l’une des compagnies technologiques les plus prospères de la planète.
D’un point de vue géographique, ce bénéfice provient à 65% de l’Asie. Autant d’indicateurs de l’importance de Tencent dans la santé de Naspers. Il faut noter cependant que, fidèle à son objectif de départ, le groupe s’est fortement diversifié. Ainsi, son activité historique dans les médias ne représentent plus que 3% de son bénéfice. Elle a été supplantée par le e-commerce et le divertissement vidéo qui constituent à eux-seuls 36% de son bénéfice.
Si l’Afrique du sud contribue encore à hauteur de 16% à ses résultats, le groupe a désormais embrassé son destin mondial et voit des continents comme l’Europe ou l’Asie lui fournir plus de recettes que l’Afrique (5% du bénéfice).
Naspers est désormais un géant qui possède des actions dans des firmes comme Tesla, Snap, Deliver Hero ou Mail.Ru et peut se satisfaire d’avoir atteint son objectif: se projeter dans un maximum de secteurs d’activité, et réussir ses paris osés.
Ecofin Hebdo