Orthographe: la règle qu’ils ont «inventé»

Pour arrêter de s’arracher les cheveux avec l’accord du participe passé, les Belges ont une idée : supprimer de façon définitive les règles avec l’auxiliaire « avoir ». Et c’est très sérieux.

En ce lendemain de rentrée scolaire, des dizaines de millions d’élèves vont bientôt découvrir avec joie les règles de l’accord du participe passé. Un cauchemar qui continue parfois pour les adultes, qui doutent face à l’auxiliaire être et redoutent l’auxiliaire avoir.

Une règle simpliste

Pour nous éviter de nous arracher les cheveux devant une phrase un peu complexe, les Belges proposent une règle simple (simpliste diront certains) : « Le participe passé employé avec l’auxiliaire être s’accorde en genre et nombre avec le sujet du verbe. Avec l’auxiliaire avoir, le participe passé ne s’accorde pas ». Point final !

Un contraste saisissant avec les règles qui prévalent aujourd’hui. Plus besoin, par exemple, de se demander si le COD (complément d’objet direct) est situé avant ou après l’auxiliaire avoir pour accorder. Pour rappel, depuis le Moyen Âge, le participe passé s’accorde si le COD est placé avant l’auxiliaire avoir, mais pas s’il est placé après : « Les fleurs que j’ai cueillies », mais « J’ai cueilli les fleurs ».

Oubliez tout cela, suggèrent nos voisins. Avec la nouvelle règle belge, on dirait par exemple : « Les fleurs que j’ai cueilli » ou encore, et c’est d’actualité : « la planète que j’ai détruit ».

Deux professeurs à la manœuvre

A l’origine de ce projet de réformer la règle d’accord du participe passé, deux anciens professeurs de français : Arnaud Hoedt et Jérôme Pitron. Ce sont aussi les auteurs d’un livre et d’une pièce de théâtre à succès dans lesquels ils se moquent des difficultés de la langue française.

Et la voix de ces deux anciens profs porte puisqu’aujourd’hui, le très sérieux Conseil de la langue française et de la politique de Wallonie-Bruxelles soutient l’initiative. Tout comme la Fédération internationale des professeurs de français ou encore l’Académie des langues de Belgique. Il ne s’agirait donc pas d’une lubie de deux illuminés.

80 heures gagnées

Pour convaincre le plus de monde possible, les défenseurs de l’abolition des règles d’accord du participe passé ont un argument massue. D’après eux, un élève passerait en moyenne 80 heures de cours à apprendre les règles du participe passé. Tout cela pour finir avec une maîtrise très fluctuante des accords, malgré les efforts déployés.

L’idée des « pro-simplicité » en matière d’accord est donc la suivante : il vaudrait mieux utiliser ces 80 heures pour enseigner aux élèves des choses plus utiles. Parmi elles, le plaisir de se plonger dans la littérature, le grand frisson de l’exploration de l’étymologie ou encore la fierté de moissonner du vocabulaire.

En clair, c’est la richesse de la langue française que les Belges veulent mettre en valeur. Pas une règle d’accord arbitraire et compliquée.

Crispations en vue

Comme toujours lorsque l’on évoque le sacro-saint sujet de l’orthographe, cette réforme – si elle a lieu – ne se fera pas du jour au lendemain. D’abord, car de nombreuses voix se lèvent et crient à la mise à mort de la culture française dont la langue fait entièrement partie. L’académicien et linguiste Frédéric Vitoux estime par exemple que « lorsqu’on est amoureux d’une langue, on l’aime dans ses difficultés ».

Enfin, chaque débat sur l’orthographe est extrêmement inflammable. L’année dernière, c’est l’écriture inclusive qui a déchaîné les passions des « Français.e.s ». En 2016, la mise en place de la réforme de l’orthographe avait attisé les querelles de clocher : un « oignon » menaçait alors de devenir un « ognon » !  Aujourd’hui, c’est donc au tour de l’accord du participe passé.

Et pour être un jour prise en compte par la vénérable Académie française, il faut que cette nouvelle règle soit massivement utilisée dans l’ensemble du monde francophone. A voir donc !

RFI