Gbagbo et Ouattara, que vont-ils faire ? Que peuvent-ils faire encore ensemble ?
Dès l’annonce de la rencontre prévue ce mardi 27 juillet entre Ouattara et Gbagbo, les Ivoiriens et tous ceux qui suivent de près la politique ivoirienne se sont posé trois questions fondamentales :
– la rencontre aura-t-elle lieu vraiment ?
– où aura lieu la rencontre ?
– cette rencontre va-t-elle déboucher sur quoi exactement ?
De prime abord, il faut souligner que Ouattara et Gbagbo se connaissent très bien. Trop bien même. Ils ont fraternisé de jour comme de nuit. Ils se sont combattus de jour comme de nuit. Ils se sont aimés comme des amis et frères. Ils se sont combattus comme des ennemis. Ils ont tissé des alliances et défait des alliances pour se combattre farouchement comme des ennemis irréductibles. Au moment ils vont une nouvelle fois se rencontrer quelles sont leurs forces et leurs faiblesses ? Quels sont les enjeux majeurs pour l’un et l’autre ? Que peut faire l’un pour l’autre personnellement et pour leur pays commun ?
Voici probablement ce que Gbagbo attend de Ouattara :
1. Une totale réhabilitation
Après avoir été acquitté par la Cour Pénale Internationale, Gbagbo attend qu’il soit totalement réhabilité par Ouattara. Ce qui suppose la levée de toutes les condamnations dont il est l’objet dans les tribunaux ivoiriens sans préjudice pour ses activités politiques futures
2. La libération de tous ceux que Gbagbo considère comme prisonniers politiques
3. La réintégration de tous les fonctionnaires militants du FPI incarcérés ou en exil
4. Le dégel de tous les comptes bancaires saisis
5. Le retour du FPI au « propriétaire historique ».
6. Au plan national l’organisation d’un dialogue national pour la réconciliation
Ce que Ouattara attend de Gbagbo:
1. La reconnaissance formelle des résultats de l’élection présidentielle de 2010.
2. La cessation des attaques en public contre les résultats de l’élection présidentielle de 2010
3. La reconnaissance des actions de réconciliation entreprises ici et là
4. La reconnaissance des jugements prononcés par les tribunaux ivoiriens tout en se donnant le droit de négocier leur levée
5. l’acceptation d’une trêve politique
6. L’engagement commun d’une non-candidature à l’élection présidentielle de 2025.
Bien entendu ces deux tableaux de négociations ne sont pas exhaustifs. Même si La pertinence et l’urgence des points de part et d’autre sont avérées, leur application peut s’étaler sur une période raisonnable. En tout état de cause, dans quel état d’esprit se présentent nos deux négociateurs ?
Au moment où Ouattara et Gbagbo se rencontrent, quel est l’état d’esprit et l’état des lieux chez l’un et l’autre ?
Gbagbo rentre au pays après sa libération avec le mental d’un homme qui croit mordicus avoir été incarcéré injustement par un et un seul bourreau nommé Alassane Ouattara. C’est aussi cette certitude qui règne chez les partisans de Gbagbo. L’ancien président voit son parti politique se déchirer et très affaibli malgré quelques gains lors des dernières législatives. Dans la tête de Gbagbo, ce qui arrive à son parti est toujours le résultat d’une stratégie de Ouattara. Certes ses militants sont toujours prêts mais son parti n’est plus le même et les relations avec certains caciques du parti comme Simone Ehivet Gbagbo et Affi Nguessan sont exécrables. Si ces deux points majeurs ne sont pas réglés politiquement et personnellement par Gbagbo lui-même et au plus vite, il risque de se retrouver au Tribunal d’Abidjan. Ce qui peut être très, très compliqué pour lui en apparence. L’absence des partisans de Gbagbo dans certaines institutions comme le Sénat, le Conseil économique, social, environnemental et culturel, les conseils régionaux, les mairies, le gouvernement et l’état de précarité dans laquelle se trouvent de nombreux et compétents cadres du parti depuis lors mettent Gbagbo dans une position difficile au plan humain et politique.
En face, Ouattara que Gbagbo va rencontrer ce mardi après plus de dix ans, n’est plus le même. C’est le Président de la République. Aujourd’hui Alassane Ouattara qu’il traitait pendant la campagne électorale présidentielle de candidat de l’étranger, est depuis plus de dix ans à la tête du pays. Un pays non réconcilié totalement mais un pays où il n’y a plus de guerre. Un pays certes attaqué par des djihadistes mais sans occupation permanente du terrain. Un pays où on compte encore de nombreux pauvres mais où chaque jour des chantiers sont ouverts. Un pays frappé par la pandémie de la Covid-19 mais qui est attrayant selon les agences mondiales de notation financière ainsi que les investisseurs. Le système scolaire est décrié ainsi que la corruption mais les autorités sont les premières à s’en saisir. En dix ans le « le candidat de l’étranger » a parcouru tous les chefs-lieux de département. Au plan politique, son parti est présent dans toute la Côte d’Ivoire et domine les grandes institutions de l’Etat. Mais tout cela n’est pas suffisant sans un apaisement politique total entre les trois grands de la politique ivoirienne. A savoir Bédié, Gbagbo et Ouattara. Le Président de République est conscient qu’il a un rôle prépondérant à jouer dans cet apaisement tant recherché et tant attendu. C’est dans cette attente qu’il reçoit le Président Gbagbo ce mardi 27 juillet 2021.
Ouattara et Gbagbo, quel est l’état d’esprit et quel est l’état des lieux avant leur rencontre du siècle ?
Au-delà des divergences d’aujourd’hui entre Ouattara et Gbagbo, tout n’est pas encore perdu. Il ne s’agit pas d’oublier le passé mais d’en tirer toutes les leçons. Il ne s’agit pas non plus de régler des comptes mais de compter sur l’avenir de la plus belle des manières. Il ne s’agit plus de parler d’eux-mêmes mais plutôt de la Côte d’Ivoire en long et en large. Le temps des accusations et justifications est terminé, c’est maintenant le temps de soulager les frustrations et les meurtrissures.
Pour ce faire et pour bien faire, il faut se faire confiance et dans la bonne foi. Car à 75 ans pour Gbagbo et 79 ans pour Ouattara, que leur reste-t-il à démontrer après avoir été opposants, chefs de guerre et chefs de l’Etat ? Une et une seule chose ; l’intérêt supérieur de leur pays, un pays entouré par des voisins en proie au djihadisme et au terrorisme, un pays frappé par une pandémie mondiale sans précédent, un pays avec ses tares congénitales. Mais un pays qui a du ressort et qui est même envié. Comment maintenir cette dynamique et cet espoir d’aujourd’hui ? Si Dieu le veut et si la volonté de Gbagbo et de Ouattara rencontre la volonté et l’espérance des Ivoiriens et des amis de la Côte d’Ivoire alors tout sera parfait ; les six requêtes de part et d’autre seront acceptées. Il ne restera plus qu’à organiser le mode opératoire, la mise en route et le suivi-évaluation. Dans cette perspective, le rôle du Président Henri Konan Bédié a plus de 85 ans serait crucial avec peut-être la mise en place d’un Conseil de Présidium dont la toute première apparition pourrait être le 7 août 2021 ou peu de temps après. On pourrait même rêver pourquoi pas voir Alassane Ouattara décider de donner le nom Gbagbo au quatrième pont et le nom du Général Guei au cinquième pont d’Abidjan. Car la réconciliation concerne aussi les morts. Osons rêver et osons agir.
Alex Comoé Brou politologue au ThinkTank Cap Alif