Pandémie du coronavirus : La stratégie des ports ivoiriens pour maintenir la compétitivité

La pandémie de la Covid-19 a mis à rude épreuve toutes les structures économiques de la Côte d’Ivoire dont l’un de ses poumons, le secteur portuaire. La gestion rigoureuse de cette crise sanitaire par les acteurs du domaine a évité l’asphyxie.
La crise sanitaire liée à la Covid-19 n’a épargné aucun secteur de l’économie ivoirienne. Dans la communauté portuaire, les pièces maîtresses de cette puissante machine : armateurs, avitailleurs, consignataires, chargeurs, manutentionnaires, logistique, transit et bien d’autres, ont été impactées par la crise, malgré les mesures prises pour la continuité des activités. D’ailleurs les principaux responsables des entreprises de la plateforme portuaire, que nous avons rencontrés ne nient pas cette évidence.

Ce lundi, 4 août 2020, Pierre Guigrehi Aklegbou, porte-parole de la Fédération nationale des dockers et deux de ses collègues ne se sont pas fait prier pour nous recevoir dans le hall d’embauches, situé à proximité de la Direction générale du Port. « Bien que les ports aient travaillé 24h/24 pendant la crise, le volume de nos activités a baissé de façon drastique. Contre une moyenne de 3000 embauches par jour, dans ce seul hall, ces derniers temps, nous n’avons pu dépasser le quart, c’est-à-dire 700 », se désole ce responsable.

De quoi nous donner une idée de l’impact de la crise sanitaire sur les activités de son secteur. On le sait, en tant qu’acteur intournable dans l’activité portuaire, le docker joue un rôle prépondérant dans l’économie nationale. Il est impliqué dans 90% des échanges commerciaux se faisant par voie maritime. C’est lui qui décharge les marchandises des navires qui mouillent dans les ports.

« Les navires que nous déchargeons, ici, viennent des pays où le coronavirus a sévèrement sévi avec son lot de malades et de décès. Des collègues ont même été contaminés. Au niveau des denrées, les produits traditionnels tels que le soja, le blé, les pâtes alimentaires, proviennent des pays d’Asie, d’Europe, d’Amérique latine fortement touchés par la pandémie. C’est le cas entre autre de l’Inde, du Pakistan », nous fait savoir le porte-parole de la fédération.

Pierre Sahué Aby, membre du patronat maritime ivoirien. (DR)
Pierre Sahué Aby, membre du patronat maritime ivoirien. (DR)

Le secrétaire général, Magoné Bi, nous informe lui, que les effectifs ont été réduits dans les pays d’où proviennent les navires, à cause du confinement. Conséquence : un navire qui pouvait seulement charger en une semaine, le fait en un mois, voire plus. Inutile donc de dire que la crise sanitaire a provoqué le chômage et entraîné des conséquences sociales chez les acteurs de la plateforme portuaire. Par exemple, nombre d’entre eux n’ont pas pu scolariser leurs enfants et subvenir à d’autres charges familiales.

Pour la santé des dockers, M. Magoné Bi n’a pas manqué d’interpeller les autorités compétentes, afin qu’elles soient plus regardantes sur les conditions d’hygiène dans le milieu où ils exercent.

A la Société des entreprises de manutention des ports autonomes d’Abidjan et de San Pedro (Sempa), chargée du recrutement des dockers, les employés vivent les mêmes réalités. Chantal Yapo, la directrice de l’audit interne affirme que la crise sanitaire a fait baisser de 14% le chiffre d’affaires de l’entreprise, sans plus de détails. Elle fait seulement remarquer que cette baisse a faussé les prévisions de la société. Dans cette grisaille, le haut patronat maritime n’est pas mieux loti. La crise sanitaire a évidemment touché les échanges commerciaux.

Le trafic maritime entre la Côte d’Ivoire et ses partenaires économiques d’Asie, d’Amérique et d’ailleurs a baissé. « Nous sommes un pays importateur ; mais avec la survenue de cette crise, la plupart de nos partenaires étrangers ont été mis en isolement. Des ports étaient fermés à cause des restrictions imposées par les gouvernements pour contenir la pandémie. C’est pourquoi, les navires viennent difficilement dans les ports. Il y a un ralentissement des activités au niveau des plateformes portuaires de San Pedro et d’Abidjan. Les chiffres d’affaires ont baissé, les tonnages également », a fait savoir Pierre Sahué Aby, membre du patronat.

Du côté d’Abidjan Terminal dont la mission essentielle dans le dispositif portuaire national est le déchargement et le chargement des navires porte-conteneurs (y compris shifting et transbordement des conteneurs) ; le contrôle, stockage et la surveillance des conteneurs ; la livraison à l’import et le positionnement à l’export des conteneurs sur le parc, la directrice générale Atsa Rosa Cissé, fait savoir que la crise sanitaire a eu un impact sur l’arrivée des navires au port d’Abidjan.

« La crise n’a quasiment pas affecté les volumes des trois (3) premiers mois d’activité du terminal, qui affichaient une hausse de +6% par rapport à 2019. L’impact réel de la crise sanitaire sur notre activité s’est fait ressenti sur le second trimestre. L’effet covid-19 a été perceptible sur les mois d’Avril et Mai surtout sur les volumes export -20% (cajou, coton) liés des chocs d’offres lié aux difficultés d’acheminement des produits export des zones de production à Abidjan et des chocs de demande dû à la fermeture des frontières et mesures de confinement dans les grands pays importateurs (Inde, Vietnam, etc.) », a affirmé Atsa Rosa Cissé. Qui n’a pas manqué de rappeler que, sur l’année 2019 Abidjan Terminal a traité en moyenne 31,9 navires/mois.

A ce jour à fin juillet 2020, 221 navires, ont été traité ce qui représente une moyenne de 31,6 navires/mois quasiment similaires aux statistiques usuelles.

Une gestion rigoureuse de la pandémie

Pour minimiser l’impact de la Covid-19 sur leurs activités, les entreprises de la plateforme portuaire ont pris des dispositions particulières. Pour le Directeur général du groupe CmaCgm, Côte d’Ivoire, leader dans le transport maritime, qui dessert 420 ports commerciaux dans le monde, des solutions concrètes ont été mis en œuvre pour protéger les employés et les clients. « Nos équipes maritimes et logistiques sont fortement mobilisées afin d’assurer la continuité de l’activité au service des clients ; ce qui a permis de soutenir l’économie locale et de réduire l’impact de la Covid-19 ».

Pour les protéger contre le virus, plus de 5000 cache-nez ont été mis à disposition des agents, par la Direction générale du port. « A chaque entrée des ports, un dispositif de lavage des mains est visible ainsi que des tracées de respect de la distance. Nous avons pris des dispositions aussi en dehors du port. Ainsi, au niveau des halls d’embauches, nous exigeons le respect de la distanciation physique, le port des cache-nez. En outre, une brigade covid-19 a été créée pour sensibiliser les dockers à l’impact de la maladie sur la santé », explique Pierre Guigrehi. Concernant les ports, une gestion efficace de la pandémie a été faite.

Selon Pierre Aby Sahué du patronat maritime, chaque fois qu’un navire en provenance d’un pays à risque accoste, une équipe sanitaire monte à bord pour prendre la température des passagers. Le respect des mesures barrières est exigé dès que le bateau arrive à Abidjan. Pour cela, une équipe de veille sanitaire chargée du suivi et du contrôle des navires est omniprésente. En ce qui concerne Abidjan Terminal, des dispositions ont été prises afin d’atténuer les effets de la Covid et maintenir la destination Abidjan comme place de choix par les armateurs.

Pierre Guigrehi, porte-parole de la Fédération nationale des dockers. (DR)
Pierre Guigrehi, porte-parole de la Fédération nationale des dockers. (DR)

« Nous avons premièrement, rassuré l’ensemble de nos clients armateurs en les amenant à anticiper sur le protocole sanitaire en vigueur au port d’Abidjan ; deuxièmement, instauré en coordination avec l’Autorité Portuaire l’inspection des navires sur rade par les équipes de l’Institut national d’Hygiène publique (contrairement à l’inspection à quai) ; troisièmement, équipé nos opérationnels à bord des navires de matériel de protection (masques, gants, etc.) », a argué Atsa Rosa Cissé.

Tout en affichant les perspectives d’ici la fin de l’année 2020. « A fin juillet 2020, nous comptabilisons, à l’import 178 872 Teu versus 165 600 Teu en 2019, soit une croissance de + 8% en corrélation avec la vigueur et la résilience de l’économie nationale ; à l’export 125 648 Teu versus 138 842 Teu, soit une baisse de -9,5% dus aux mesures restrictives et de confinement dans les pays asiatiques (Inde, Vietnam, etc.) qui affectent l’export de coton et de cajou. Globalement, 401 966 Teu versus 408 062 Teu, soit une légère baisse de -1,5%. Nous comptons sur la résilience de l’économie ivoirienne et restons confiants dans l’atteinte de notre objectif volume d’ici la fin d’année », a-t-elle ajouté.

A l’en croire Abidjan Terminal a ouvert trois vastes chantiers de digitalisation pour lesquels l’appui des autorités publiques et l’adhésion des partenaires privés, permettront de renforcer la résilience de l’économie maritime face à des crises de type Covid-19. Il s’agit du projet d’échanges de données Informatisées (Edi) avec la Douane dans le cadre de la mise en place d’un Guichet unique portuaire ; le démarrage de notre solution de paiement en ligne à partir de septembre 2020 ; la mise en place d’un outil d’optimisation des flux de camions entrant-sortant sur le terminal (système de rendez-vous).

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La continuité des activités assurée

Le Port autonome d’Abidjan a affiché une bonne performance en termes de trafic en 2019. De 24.177.261 t en 2018, le trafic global est passé à 25.827.167 t, l’année suivante ; soit une croissance de 7%. Toutefois, pour cause de Covid-19, l’activité portuaire a enregistré une baisse de 7%, dans le mois de juin.

Hien Yacouba Sié, Directeur général du port, qui reste optimiste pour les six mois, espère une relance de l’activité portuaire, souhaitant au passage que la pandémie soit contenue. Il se fonde sur le véritable plan de continuité des activités élaboré à cet effet.

Le 5 août, à l’occasion de la remise de don de plus de 278 millions de la Communauté portuaire au gouvernement, le Dg du port a été explicite sur l’impact de la crise sanitaire sur sa structure. « Evidemment, les ports travaillent pour les économies, mais quand les économies sont en berne, la répercussion c’est moins d’intrants. Des pays comme la Chine et ceux d’Europe ont dû arrêter leurs activités. Les navires ne se déplaçaient pas, ce qui n’était pas sans répercussions sur nos activités pendant que les commandes prenaient du retard. Nous avons en juin enregistré une baisse de 7% mais espérons un rattrapage vu que les économies sont en train de s’ouvrir en espérant qu’il n’aura pas une vague forte de Covid qui puisse faire arrêter les activités », a laissé entendre le Directeur général, Hien Yacouba Sié. Qui a rassuré de la continuité du travail dans les ports en période de couvre-feu.

Hien Sié Yacouba, directeur général du Port autonome d'Abidjan. (DR)
Hien Sié Yacouba, directeur général du Port autonome d’Abidjan. (DR)

Au niveau du Port autonome de San Pedro, selon un communiqué du Service communication, toutes les activités allant de la préparation de la marchandise en amont, aux opérations d’embarquement en aval en passant par la chaîne logistique ont fortement connu des perturbations, du fait du couvre-feu, des mesures de distanciation sociale notamment lors des opérations de manutention (empotage /dépotage) : Conséquence : un ralentissement général des activités maritimes et portuaires, une baisse de performance aux navires ; une baisse des opérations de manutention ;une difficulté de collecte voire d’indisponibilité de fret ; une baisse des réservations d’espaces sur les navires voire d’annulation des escales de navires ;difficulté du respect des programmations des navires du fait des perturbations des schedules des navires.

« Toutes ces perturbations ont amené l’Autorité portuaire et les principaux acteurs de la chaîne logistique de la place portuaire à s’organiser pour adapter très rapidement leurs pratiques avec pour objectif : assurer la continuité de leurs activités tout en mettant en œuvre les mesures sanitaires indispensables et éviter la propagation de la Covid-19. : accueil des navires, manutention des marchandises et transports routiers en pré et post- acheminement se sont poursuivis, ainsi, sans interruption. L’engagement et la concertation des acteurs de la plateforme portuaire sont à souligner : agents maritimes, dockers, manutentionnaires, pilotes, sociétés de remorquage, de lamanage, de transports et de stockage, officiers de port, personnels de sûreté », précise la note.

Ce n’est pas tout car l’activité de pêche au Port de San Pedro a été également impactée dans son fonctionnement et dans le circuit d’acheminement et de distribution. Le respect des mesures sanitaires et sécuritaires ont réduit considérablement les activités de pêche. Le taux de fréquentation habituelle des acteurs dans l’espace du port de pêche a été réduit pratiquement de moitié pour tenir compte des mesures barrières et éviter les facteurs de risques que sont le regroupement et la proximité, précise le communiqué.

Pour rappel, le Port autonome de San-Pedro a réalisé une belle performance au cours de l’année 2019 avec un trafic global évalué à 5.065.685 tonnes de marchandises, en hausse de 24% par rapport à 2018. Les trafics à forte valeur ajoutée pour l’économie nationale, appelés « trafic d’origine destination (import-export) », se sont accrus de 31% (4.015.533 tonnes en 2019 contre 3.066.989 tonnes en 2018). Les escales navires connaissent également une amélioration de 3% en 2019.

Toutefois, il faut noter que malgré le ralentissement du trafic au premier semestre 2020, les activités au Port de San Pedro, comme ailleurs se poursuivent. De plus, les projets de développement et de modernisation déjà en cours permettent à la Direction générale du second port du pays de viser 10 millions de tonnes de trafic global ; en 2025.

fratmatinfo