Pape François : une interview infernale

D’un côté le pape François, chef spirituel de 1,2 milliard de catholiques. De l’autre, Eugenio Scalfari, 93 ans, athée, fondateur du quotidien romain La Repubblica et considéré comme le pape du journalisme transalpin. Deux hommes, liés par une profonde amitié, mais aujourd’hui séparés par une phrase sur l’enfer que le second a attribué au premier.

Le casus belli est une interview de pape François par Eugenio Scalfari, publiée jeudi par La Repubblica. « Les âmes ne sont pas punies, celles qui se repentent obtiennent le pardon de Dieu et prennent place dans les rangs de celles qui contemplent Dieu. Mais celles qui ne se repentent pas disparaissent. L’enfer n’existe pas, ce qui existe c’est la disparition des âmes pécheresses », aurait déclaré le souverain pontife.

« L’enfer n’existe pas » : un pilier du dogme effacé au détour d’une conversation. Ou non. Immédiatement, la salle de presse du Vatican réagit, accusant Eugenio Scalfari d’avoir « bidonné » l’interview. « Aucune phrase attribuée entre guillemets au pape ne doit être considérée comme une retranscription fidèle des paroles du saint-père ».

Liberté de parole

Les interviews de François par Eugenio Scalfari font depuis longtemps l’objet de polémiques. Les deux hommes se sont rencontrés cinq fois depuis l’élection de Jorge Bergoglio. Sans magnétophone, le souverain pontife et le vieux journaliste évoquent les grandes questions du monde et de la foi. Le journaliste retranscrit de mémoire les propos du successeur de Pierre et les publie sous forme d’interviews questions-réponses. Ces dialogues entre le pape argentin et l’intellectuel athée sont devenus des textes importants de la pastorale du pape. Mais la suppression de l’enfer n’est pas le premier dérapage. En 2014, le Vatican était déjà intervenu pour démentir des propos prêtés à François par La Repubblica sur le célibat des prêtres.

Où est le vrai ? Ne pas prendre de notes ou ne pas enregistrer les propos est peu conforme à la déontologie journalistique, surtout lorsqu’il s’agit d’une interview avec une autorité religieuse aussi importante que le pape. Mais François a toujours revendiqué une grande liberté de parole. L’Osservatore Romano, le quotidien du Saint-Siège, a dû instaurer un mécanisme de « double lecture » pour épurer les homélies matinales durant lesquelles le pape François improvise en prenant parfois des libertés avec le dogme. Manque de rigueur du pape ou volonté d’éviter les filtres de la curie et faire passer des messages ?

Ainsi, depuis jeudi, les divers courants de l’Église se divisent sur l’enfer. Si le catéchisme évoque « l’existence de l’enfer et son éternité », il précise que « la peine principale de l’enfer consiste en la séparation éternelle de Dieu qui, seul, peut donner à l’homme la vie et le bonheur pour lequel il a été créé et il aspire. » Donc, il ne s’agirait pas d’un lieu tel que le représente Dante.

Eugenio et Jorge s’amusent-ils à bousculer les frontières du dogme sans avoir l’air d’y toucher ou le journaliste a-t-il trahi le pape ? La réponse sera peut-être dans la sixième interview, si elle se réalise.

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