Un contexte politique (trop) propice…
Dès sa sortie de prison le 8 août, l’ex-Première Dame Simone Gbagbo a joué le jeu de la réconciliation. Celle dont de nombreux médias guettaient les premières réactions après sept années d’emprisonnement a exprimé sa reconnaissance au président ivoirien «pour avoir ouvert les portes» de leurs prisons. Et pour cause. Avec elle, ce sont des personnalités qui se sont illustrées dans la grande instabilité politique des années 2010 en Côte d’Ivoire qui ont reçu le pardon de l’État ivoirien. Parmi eux, l’ancien ministre de la Défense de Laurent Ggagbo, Lida Kouassi bien sûr, mais également un proche de Guillaume Soro, Souleymane Kamaraté (Soul to soul) dont la mise aux arrêts en octobre 2017 après la découverte quelques mois plus tôt d’une cache d’armes à son domicile -en pleines mutineries de Bouaké- avait tendu les relations entre Alassane Ouattara et le président de l’Assemblée nationale ivoirienne.
Il est difficile de faire la part des choses entre le calcul politique et l’impératif de réconciliation au regard du contexte politique dans lequel intervient cette décision. En effet, même s’il s’en défend, le puissant président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro a clairement pris ses distances avec le président ivoirien depuis l’arrestation de son chef de protocole Souleymane Kamaraté en 2017. Cette distance accentue le sentiment d’isolement que doit probablement éprouver Alassane Ouattara alors que l’Union européenne a émis début août de sérieuses réserves sur l’environnement politique ivoirien, et que le fossé ne cesse de se creuser entre son parti, le RHDP, et ses (désormais ex-) alliés du PDCI d’Henry Konan Bédié. Le président ivoirien essaierait-il, comme l’en accusent certains commentateurs, de se remettre dans les bonnes grâces de la communauté internationale en s’attirant du même coup la sympathie d’une partie de la classe politique ivoirienne ?
…mais une décision utile
Avant tout, il est important de souligner que la possibilité d’un pardon présidentiel dans le cadre de la crise post-électorale de 2010 est déjà évoquée depuis (au moins) 2015 par le président ivoirien. On se souvient qu’en janvier 2015, quelques mois avant le procès très controversé de Simone Gbagbo, le président ivoirien exprimait déjà la possibilité d’une grâce ou d’une amnistie pour solder la crise meurtrière des années 2010. De même, il est difficile de mesurer à quel point cette décision permet de redorer l’image d’Alassane Ouattara auprès de la communauté internationale, tant il est vrai qu’elle a suscité presque autant de réactions enthousiastes que de critiques sévères. Ainsi, plusieurs ONG internationales de défense des droits de l’Homme ont légitimement regretté que des personnes citées dans des dossiers d’atteinte aux droits de l’homme bénéficient d’une amnistie. Mais pour imparfaite qu’elle soit au regard du contexte dans lequel elle intervient et des calculs politiques qu’elle cache, il faut reconnaître en cette décision un geste d’apaisement utile pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens.
À deux ans de la prochaine élection présidentielle ivoirienne, il était nécessaire de solder la crise post-électorale de 2010 dans laquelle plus de 3 000 Ivoiriens ont perdu la vie, et où de nombreuses familles ont été plongées dans une effroyable tragédie humaine. Et inutile de rappeler que les procès controversés de Simone Gbagbo, puis de Lida Kouassi et des autres acteurs importants de cette période ont donné l’impression aux Ivoiriens qu’une justice des vainqueurs était à l’œuvre. La classe politique ivoirienne doit avant tout au peuple de Côte d’Ivoire des élections saines, libérées des amertumes héritées de 2010 et qui pourraient dégénérer en de nouvelles tensions en 2020. À cet égard au moins, on reconnaîtra en la décision d’Alassane Ouattara, une première étape utile vers la création d’un environnement politique apaisé pour le prochain scrutin présidentiel. La temporalité du politique n’est pas celle de la justice.
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