Les manifestations et publications scientifiques sur le dialogue interreligieux ne cessent de se multiplier. Le besoin d’une connaissance mutuelle pour une coexistence pacifique entre peuples et individus de cultures et de croyances différentes est de plus en plus palpable, donnant ainsi toute leur importance aux manifestations appelant au dialogue.
Les points de départ du dialogue interreligieux peuvent diverger. La divinité de Jésus, la prophétie de Muhammad, la différence entre la halaqa hébraïque, le droit canonique et la charia islamique ne sont que quelques exemples classiques à partir desquels le dialogue interreligieux est souvent mené.
Cependant, pertinents que ces points puissent paraître, des groupes non appartenant aux trois religions monothéistes sont souvent les oubliés du dialogue interreligieux. En effet, un athée qui n’accorde aucune place à Dieu risque d’être lassé par des cycles de débats sur la divinité de Jésus ou sur la différence entre la charia et la halaqa. Aussi les militants du dialogue interreligieux doivent-ils mener leurs réflexions en partant d’autres bases plus fédérateurs et qui n’excluraient personne, y compris l’athée le plus convaincu ou l’animiste le plus attaché à sa tradition.
C’est pour contribuer à l’élargissement du champ conceptuel du dialogue interreligieux que nous proposons de réfléchir, dans les prochaines lignes, sur la manière dont l’humanisme pourrait être un nouveau point de départ pour un nouveau dialogue.
Pourquoi l’humanisme ?
Parce que le dialogue interreligieux a pour vocation de créer du lien entre des personnes de religions différentes, avoir une approche humaniste dudit dialogue est un moyen d’inclure tous les enfants de la terre y compris ceux qui ne croient pas en l’existence de Dieu. S’il y a un point sur lequel tout le monde, croyant ou non, pourrait se retrouver, c’est le suivant : « la finalité de toute activité humaine devrait être le bonheur de l’homme ».
Et voilà les bases même de l’humanisme. Ainsi, essayer de réfléchir sur la manière dont les textes religieux, ou tout autre texte, pensent l’homme et sa dignité, sa gloire et peut-être sa félicité, est aujourd’hui et plus que jamais une nécessité pour la survie même du règne humain.
Des mille et une façons d’être humaniste
Nous dira-t-on que l’humanisme, dans certains cas, peut être utilisé comme idéologie visant à exclure Dieu du monde en plaçant l’homme au centre de toutes les préoccupations. À cette objection, nous répondrons qu’il y a mille et une façons d’être humaniste. En revanche, quelle que soit la vision que l’on pourrait avoir de l’humanisme, le bonheur de l’homme et la prévention de sa dignité doivent être les fils conducteurs. Ci-dessous, nous nous proposons d’aborder deux manières de penser l’humanisme et qui pourraient servir de bases pour une approche humaniste du dialogue interreligieux.
L’humanisme anthropocentré
L’une des manières de penser l’humanisme est celle qualifiée d’anthropocentré. Avoir une approche anthrocentrique reviendrait, si nous nous référons au Grand Robert, à considérer « l’homme, l’humanité comme l’élément central (essentiel ou final) de l’univers ». Ainsi l’humanisme ici qualifié d’antrhocopcentré consistera à penser l’homme par l’homme et pour l’homme sans référence aucune à une quelconque transcendance divine.C’est de cet humanisme que parlait Sartre qui voyait que l’existence précédait l’essence dans son célèbre L’existentialisme est un humanisme. Le fond de sa pensée pourrait se résumer ainsi : « l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait [1]», et que « même si Dieu existait, ça ne changerait rien »[2].Cet humanisme, bien que pouvant respecter tous les croyants, peut être athée ou agnostique. Dans une approche humaniste du dialogue interreligieux, cette façon de penser l’homme, par un non croyant, pourrait être appuyée par une autre vision de l’humanisme animée par la foi.
L’humanisme théocentré
Le second humanisme est celui dit théocentré. Ce dernier consiste à penser l’homme par l’homme à la lumière de Dieu. Il ne s’agira pas d’exclure Dieu ni de diviniser l’homme mais tout simplement de penser l’homme en partant du don de l’esprit et de la parole qui lui est offert par Dieu.À ce propos, le livre de la Genèse révèle la chose suivante en narrant le processus de la création de l’Univers : « Puis Dieu dit: Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance […] Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme »[3].
Au sujet d’Adam, la Genèse raconte : « Voici le livre de la postérité d’Adam. Lorsque Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu »[4]. La septième béatitude ne dit-elle pas que ceux qui répandront la paix seront appelés « fils de Dieu » ?Pour ce qui est du discours coranique, un passage, assez proche du récit de l’Ancien Testament, affirme qu’en voulant créer Adam, Dieu dit aux anges : « Lorsque Je l’aurai façonné et que J’y aurai insufflé de Mon esprit, alors prosternez-vous devant lui » [5]. Depuis Mali, Tierno Bokar Tal commente le verset disant que cela « implique que chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’Esprit de Dieu », après quoi il a posé la question suivante : « comment donc oserions-nous mépriser un réceptacle qui contient une parcelle de l’Esprit de Dieu ? » [6]
Cette même idée est portée par la vieille mythologie peule selon laquelle « synthèse de tous les éléments de l’univers, les supérieurs comme les inférieurs, réceptacle par excellence de la Force suprême en même temps que confluent de toutes les forces existantes, bonnes ou mauvaises, Neddo, l’Homme primordial, reçut en héritage une parcelle de la puissance créatrice divine, le don de l’Esprit de la Parole » [7]. Aussi avoir une approche humaniste du dialogue interreligieux reviendrait-il à repenser l’homme, non pas sans Dieu comme le dirait Sartre mais en tant que réceptacle du souffle créateur, héritier du logos primordial, détenteur du don de la parole et en tant que seul, dans l’existence, à avoir été créé à l’image de Dieu. Ainsi, même si la manière dont le croyant pense l’homme peut différer de la façon dont l’athée pourrait le penser, ils seront tous les deux d’accord pour dire que la dignité et la noblesse de l’homme ne doivent jamais être sacrifiées.
Cette noblesse a été chantée par le Dieu coranique : « Oui, nous avons ennobli les fils d’Adam, Nous les avons transportés dans la terre comme dans la mer et nous les pourvoyons de bonnes choses, par conséquent, Nous les avons privilégiés sur beaucoup de nos créatures »[8].
Pour le bonheur de l’homme, du vivre ensemble au faire ensemble
Que faire des acquis d’une approche humaniste du dialogue interreligieux ? Pour répondre à cette question, rappelons-nous l’un des points déjà soulevés et sur lequel croyants et non croyants pourraient s’entendre : le bonheur de l’homme doit être la finalité de toute activité humaine. Que cette finalité soit dans la quête d’une satisfaction de Dieu ou non importe peu.
Partant de là, les acquis du dialogue interreligieux dans son approche humaniste doivent accompagner le passage du vivre ensemble au faire ensemble pour que la dignité humaine soit à jamais préservée. Il ne s’agira plus de se contenter de la cohabitation passive et pacifique. La coexistence active doit être la règle du jeu.
Pour ce faire, les aspirants à une approche humaniste du dialogue doivent s’accorder sur des actions concrètes pouvant fédérer tout le monde. Dons du sang, actions de solidarité envers les orphelins et les plus démunis ne sont que quelques exemples. S’enfermer dans les débats d’ordre théologique sans une planification d’actions de préservation de la dignité humaine est le piège à éviter dans un dialogue interreligieux basé sur une approche humaniste.
En ce sens, nous pensons que la crise écologique pourrait être le prétexte pour une bonne concrétisation active des acquis du dialogue. Comme nous l’avons souligné ailleurs, « à l’heure de la pollution, du réchauffement climatique, face à l’urgence d’une transition énergétique et d’un changement radical de notre mode de consommation, spéculer sur des questions juridico-théologiques n’est pas la chose la plus pressante. S’enfermer constamment dans la raison religieuse, peut, dans certains cas, participer au désordre cosmique lequel n’épargnera aucun vivant si rien n’est fait »[9].
Que l’humanisme soit la base d’un bon dialogue interreligieux pouvant aboutir à des actions de collaboration pour que le bonheur de l’homme ne soit, pour aucune raison, sacrifié.