On connait tous des couples qui ne s’aiment plus et qui, pourtant, restent ensemble, refusant d’attester que leur amour repose désormais sur un vide abyssal, une illusion morbide. D’où notre question, douloureuse et universelle : pourquoi un couple qui ne s’aime plus n’arrive pas à se séparer ?
On ne sera guère surpris d’apprendre que, dans tous les cabinets d’avocats et les bureaux de psys, les couples portant les stigmates de la souffrance affective passent, en effet, des années à se séparer et arrivent à prolonger de manière quasi invraisemblable une relation destructrice. Certains couples deviennent ainsi des partenaires de haine et n’ont tellement plus d’amour (propre) qu’ils n’hésitent pas à entretenir une relation orageuse, a fortiori devant leurs amis mal à l’aise par cette détestation jetée en pâture. Stop in the name of love ! D’où notre question : pourquoi est-ce si difficile de rompre ? Et plus précisément : pourquoi ceux qui ne se correspondent plus restent ensemble ? Nous avons voulu en savoir plus avec Sarah Chiche, psychologue clinicienne et psychanalyste.
Avez-vous déjà reçu dans votre cabinet des couples qui n’avaient plus rien à faire ensemble, mais qui pour autant ne se séparaient pas ?
Bien sûr, cela m’a déjà été explicitement formulé. Il arrive parfois en effet qu’il faille aider un couple à se séparer, sans trop de douleurs, qu’il y ait ou non des enfants dans l’équation. La vie est faite de retrouvailles et de séparations, c’est comme ça. Mais se séparer, pour certains, c’est mourir à soi et aux autres. Certains couples qui se haïssent préfèrent donc rester ensemble, malgré tout.
C’est lié à la peur de la solitude ?
Ça peut être plein de choses, la peur de la solitude comme la dépendance financière. J’ai pu observer également le cas de femmes entre deux âges, d’une cinquantaine d’années, dont les enfants ont grandi, qui voudraient bien partir mais qui, hélas, n’ont pas, financièrement, les moyens de le faire. Elles ont peur de se retrouver dans une misère noire. Elles savent qu’à leur âge il leur sera plus difficile de trouver un nouveau travail plus rémunérateur.
Comment réagir dans ce cas-là ?
Admettre que l’on reste pour l’argent est une chose affreuse qui peut mettre à mal l’estime de soi et augmenter la détestation que l’on a du partenaire. Mais quelle est l’alternative quand on sait qu’on n’aura même pas, en cas de séparation, de quoi payer un loyer dans un logement décent ?
Et quand il n’y a pas de difficultés financières ?
Il y a effectivement des couples qui, tout en ayant les moyens financiers de se séparer, n’arrivent pas à le faire. C’est là que la compromission, plus que les compromis, peut s’installer. Le couple va subsister, comme cadre, comme charpente psychique, mais chacun va mener sa vie amoureuse de son côté. Parfois cela se passe même de manière contractuelle. Les deux partenaires restent ensemble mais ils s’accordent la possibilité d’aller voir ailleurs. Parfois aussi, tout cela se fait dans le mensonge, avec une culpabilité qui est peut-être le prix à payer pour pouvoir se renouveler, trouver des sources de joie et d’exaltation ailleurs. Les psys ne sont pas là pour faire la morale à leurs patients. On ne va pas faire la morale à un patient parce qu’il devient infidèle du fait que la vie chez lui est devenue un enfer sur terre. Chaque individu fait comme il peut pour faire face au chagrin, à la frustration, et à la peur de la solitude.
Que peut-on conseiller à quelqu’un qui voit son conjoint s’éloigner ?
Il est toujours facile, quand le couple souffre, d’attribuer la responsabilité entière à l’autre et de se prendre pour la « victime » abandonnée quand l’autre serait le « méchant » qui s’éloigne. Une relation se construit à deux mais elle se détruit aussi à deux. Il convient donc d’examiner sa part de responsabilité dans l’affaire.
Source : Autre Presse