Pourquoi l’affaire Jamal Khashoggi pourrait déclencher la panique chez les princes saoudiens

Selon de nouveaux rapports, l’assassinat du journaliste a aggravé les tensions au sein de la famille royale.

Tandis que les critiques à l’encontre du prince saoudien Mohammed Ben Salman, alias MBS, se multiplient à travers le monde après la disparition du journaliste Jamal Khashoggi, Riyad garde le secret sur le scandale qui se joue en interne, notamment dans les différentes branches de la famille royale.

À en juger par la confusion récente autour du sort de l’ambassadeur saoudien aux États-Unis, il semblerait que l’affaire Khashoggi ait accru les tensions entre les membres de la famille royale, nées des réformes décapantes imposées par le prince héritier.

L’entourage de Mohammed Ben Salman resserre les rangs

L’ambassadeur Khalid Ben Salman, haut fonctionnaire saoudien à Washington et frère de MBS, a quitté les États-Unis la semaine dernière. Il ne reprendra pas son poste, indiquait lundi soir le New York Times. Mardi matin, CBS a diffusé un reportage allant dans le même sens. Les hauts responsables du ministère américain des Affaires étrangères ont toutefois affirmé aux journalistes de CBS et ABC qu’ils n’étaient au courant d’aucun changement. L’ambassade saoudienne à Washington s’est, quant à elle, refusée à tout commentaire.

Le retour de l’ambassadeur à Riyad laisse penser que l’entourage de MBS resserre les rangs. C’est le genre de signal manifeste qui en dit long sur l’état des relations au sein de l’élite du royaume.

Il a méthodiquement affaibli le pouvoir des autres branches de la famille

La famille Saoud régnante n’est pas très éloignée dans le temps du fondateur de l’État saoudien moderne, Ibn Saoud. Jusqu’ici, chacun des rois a été l’un de ses fils. Tout le monde s’attend à ce que MBS succède à son père, Salman, et marque un tournant générationnel. Les actions de centralisation du pouvoir menées sans le moindre remords par MBS — il a méthodiquement affaibli le pouvoir des autres branches de la famille sur les ministères clés et procédé à l’arrestation, en novembre dernier, d’une poignée de princes auparavant intouchables — illustrent bien les changements les plus radicaux opérés dans le fonctionnement interne du royaume depuis des décennies. Ils marquent la fin du système consultatif en vigueur depuis longtemps, qui laissait le pouvoir à un groupe de membres de la royauté et constituait, selon le roi actuel, la réponse de l’Arabie saoudite à la « démocratie ».

« La famille royale passe d’Al Saoud à Al Salman », a déclaré un responsable occidental au Wall Street Journal l’an dernier. « Et ça ne va pas sans heurts avec les autres branches de la famille. »

Si MBS a réussi à remodeler l’essentiel des structures politique et militaire du pays, de nombreux princes continuent d’exercer une autorité publique en raison de leurs origines et de leurs contacts étendus à l’étranger. C’est ainsi que le prince royal Khaled Ben Fayçal a récemment diligenté une délégation saoudienne sur la question du sort du journaliste en Turquie, où Khashoggi a disparu le 2 octobre.

Et certains de ces monarques sont extrêmement mécontents de MBS.

Une série de décisions risquées prises par le prince héritier (campagne militaire au Yémen, rupture avec le Qatar voisin et, maintenant, ciblage présumé de Khashoggi) ont convaincu de nombreux experts que son style de gouvernance mettait en péril la stabilité du royaume. Au sein du système, un certain nombre de Saoudiens dont la richesse et la vie oisive dépendent de la famille royale ont toutes les raisons d’être inquiets. Inquiétudes déjà exprimées en 2015 par un prince dans deux missives faisant état du mécontentement de la famille à l’égard de l’administration Salman, après une crise provoquée par la gestion du pèlerinage musulman annuel en Arabie saoudite.

Pour MBS, une perte de confiance plus importante pourrait constituer un risque sérieux. Il est déjà arrivé que des membres de la famille Saoud mettent en place l’un des leurs au nom du bien commun. En 1964, le roi Saoud s’était ainsi vu contraint de renoncer au trône, au profit de son frère Fayçal, le prince héritier.

Ajoutons à cela qu’une grande partie des critiques émises sur l’affaire Khashoggi par les législateurs américains — qui jouent un rôle déterminant dans l’approbation de l’assistance et de la collaboration dont dépendent les Saoudiens en matière de sécurité — visent directement le prince, accusé par les services de renseignement d’avoir personnellement ordonné la capture de Khashoggi. Se dessine alors un scénario cauchemardesque pour le prince dans lequel les détenteurs du pouvoir à Washington proposeraient à Riyad un marché aux termes duquel ils garantiraient le maintien de leurs relations avec l’Arabie saoudite en échange d’une sortie publique du prince. Il pourrait s’agir, pour la famille, d’un moment décisif: faites ce qui est nécessaire, si vous ne voulez pas tout perdre.

L’isolement de l’Arabie saoudite par rapport à l’Europe laisse présager un avenir économique plus sombre encore.

Les princes controversés se poseraient alors des questions sur la loyauté sans faille de leurs alliés occidentaux. Ceux-ci ont jusqu’ici à peine protesté l’an dernier lors de la purge organisée par le prince au détriment de ses propres cousins, frappés et torturés à cette occasion. Au moins trois princes saoudiens ont disparu ces dernières années en Europe.

Il n’est pourtant pas certain, à ce stade, que les rivaux de MBS aient une chance. « Ils n’y peuvent pas grand-chose, car ils n’ont ni les capacités ni le cran nécessaires », constate Ali al-Ahmed, dissident saoudien bien informé installé aux États-Unis.

Le probable meurtre brutal de Khashoggi et la volonté affichée par Donald Trump de contribuer au sentiment d’impunité de MBS, en disant croire ce dernier sur parole, ne font que renforcer ce sentiment.

Pendant ce temps, l’isolement de l’Arabie saoudite par rapport à l’Europe et au commerce international, notamment, laisse présager un avenir économique plus sombre encore.

Alors que l’Arabie saoudite traverse sa plus grande crise sur la scène mondiale depuis le 11-Septembre, la famille Saoud, dont le destin est étroitement lié depuis 70 ans à l’avenir du richissime royaume, pourrait être contrainte de reconnaître qu’elle ne pèse plus lourd dans les considérations du nouveau prince.

huffingtonpost.fr