Une succession de lettres a mis le feu aux poudres au Parti démocratique sénégalais (PDS), où certains responsables commencent à questionner la stratégie du « va-tout » autour de la candidature de Karim Wade à l’élection présidentielle, prévue en février prochain.
Faut-il prévoir une alternative à la stratégie du « Karim ou rien » ? C’est une question qui agite le PDS depuis des mois mais que ses principaux responsables prenaient soin jusqu’ici de ne pas aborder, du moins publiquement. L’échange épistolaire peu amène qui vient de se jouer entre Abdoulaye Wade et son homme de confiance – et patron des députés du PDS -, l’avocat Madické Niang, à défaut de trancher le débat, laisse affleurer le clivage qui se joue en interne sur cette question stratégique pour le premier parti d’opposition au Sénégal.
Dans une lettre signée depuis Dubaï, Abdoulaye Wade n’y est pas allé de main morte pour s’attaquer à Madické Niang, accusant explicitement ce dernier de trahison. « Compte tenu des relations que nous avions entre nous, j’étais en droit de penser qu’il n’aurait jamais choisi la forme du coup de poignard dans le dos », assène Gorgui (« le Vieux », en wolof). Cause de son courroux : une missive reçue quelques jours plus tôt et dont Madické Niang serait, à ses yeux, l’instigateur occulte.
« La seconde option »
Le texte en question est pourtant bien flagorneur. Daté du 2 septembre et adressé à « son Excellence Maître Abdoulaye Wade », qualifié notamment de « défenseur des causes justes » et de « visionnaire », il invite celui-ci à « une discussion stratégique sur la présidentielle du 24 février 2019 ». Et surtout à désigner un autre candidat pour le PDS, après le rejet par la Cour suprême du recours formulé par Karim Wade en vue de son inscription sur les listes électorales.
« Cette décision de la Cour suprême nous impose une alternative qui est d’affronter Macky Sall dans la rue au risque de détruire le pays que vous avez construit ou de le battre dans les urnes en choisissant un autre candidat, écrit l’auteur de la lettre, un certain Thierno Birahim Thiobane, qui se présente comme conseiller départemental PDS à Kaolack. Et tout votre cursus politique nous oriente vers la seconde option. »
À l’unisson, les ténors du parti évoquent publiquement la perspective « d’un bras de fer » avec le régime pour imposer leur candidat
Une tonalité bien différente du mantra répété en boucle ces derniers mois sur « l’absence de plan B » au PDS en vue de la présidentielle de février 2019. À l’unisson, les ténors du parti évoquent même publiquement la perspective « d’un bras de fer » avec le régime pour imposer leur candidat. « Nous sommes prêts à tout et nous avons l’expérience de la lutte », déclarait ainsi à JA, il y a quelques jours, le porte-parole du parti, Babacar Gaye.
« On n’a fait qu’exprimer une opinion interne au sein du parti, se défend Thierno Birahim Thiobane. Si Abdoulaye Wade a réagi avec une telle véhémence, c’est peut-être parce qu’il est manipulé par son fils. » Et de rappeler que plusieurs élus (notamment cinq députés) et responsables locaux du PDS ont cosigné la missive.
L’un des députés « signataires », Mor Kane, affirme pourtant n’avoir jamais été associé à cette initiative. « On m’a appelé en me demandant quelle devrait être la marche à suivre après le rejet du recours devant la Cour suprême, explique ce dernier à Jeune Afrique. Et j’ai simplement répondu qu’il fallait s’adresser à notre président Abdoulaye Wade, que je respecte beaucoup. Je n’ai jamais vu cette lettre. »
« Une candidature de recours »
Quid du rôle de Madické Niang dans cette affaire ? « Je n’ai jamais été en contact avec lui lors de la rédaction de ce texte », assure Thierno Birahim Thiobane. Même son de cloche du côté de l’intéressé, qui jure dans un communiqué relayé par la presse en ligne sénégalaise n’avoir « jamais trahi Abdoulaye Wade » et « n’être ni de près ni de loin mêlé à l’initiative de Thiombane, que je n’ai jamais rencontré et avec qui je n’ai pas parlé une seule fois ».
Mais dans le même texte, Madické Niang – qui demeurait injoignable ce mardi – révèle aussi avoir envoyé une lettre à l’ancien président, le 3 septembre, où il lui proposait « une candidature de recours en cas de nécessité ». « J’avais choisi cette voie directe et confidentielle parce qu’il s’agit pour moi d’une question importante pour l’avenir du Sénégal qui mérite une réflexion profonde et lucide », estime-t-il.
Un discours à rebours de celui tenu en public depuis des mois par ce haut responsable du PDS. Le même jour, 3 septembre, Madické Niang affirmait ainsi à JA : « Il ne s’agit pas de boycotter l’élection mais de l’empêcher de se tenir sans Karim. »
JEUNE AFRIQUE