Quand l’interruption volontaire de grossesse devient une norme

Enquête : Pratique de l’avortement en Côte d’ivoire

Quand la clandestinité devient la norme

En Côte d’ivoire, l’avortement et prise en charge de ses compli­cations, c’est comme le médecin après la mort. L’acte est interdit sauf, dans des cas bien précis. Mais, le personnel soignant a pour consigne de prendre en charge les victimes qui se pré­sentent à eux, à la suite des com­plications liées à l’avortement. Le sachant, de plus en plus do jeunes filles avortent Illégalement et se présentent A l’hôpital pour une prise en charge correcte. Une situation qui pose, aujourd’hui, le problème de l’encadrement de I ’avortement par la loi.

Vendredi 25 juin 2021. Il est 2Oh 40 mn, nous sommes à l’hôpital général de Koumassi. Le calme plat qui règne au sein de l’établissement tranche avec l’ambiance bien mouvementée de la journée. Les portes de plusieurs services sont fermées. Notamment la pesée des bébés, la vaccination et une partie du dispensaire. Ce qui n’est pas le cas pour la maternité. Une fois à l’intérieur du grand bâtiment situé sur l’aile à gaucho de l’hôpital, on entend des voix venant d’une salle. C’est le bureau des sages-femmes. Nous frappons à la porte.  « Oui, entrez », entend-on de l’intérieur. Cette nuit-là, nous avons rendez-vous avec une sage- femme de garde dans le cadre de notre enquêteur sur l’avortement clan­destin et ses conséquences. Pour des questions de sécurité, nous ’ allons appeler notre hôte du soir la sage A S. Car, elle n’a pas reçu l’autorisation de sa hiérarchie pour aborder le sujet avec un journaliste L’avortement est interdit en Côte d’Ivoire, sauf pour des cas bien pré­cis. La sage A.S étant une vieille connaissance, nous commençons par une simple causerie en nous donnant chacune les nouvelles do nos familles respectives. Nous en étions là lorsque deux femmes frappent à la porte. Elles hésitent à ren­trer. Ce, malgré l’invitation de l’une des sages-femmes. Finalement, ne voyant aucune sage-femme ailleurs à tour rencontre, elles consentent à entrer dans la salle. De teint noir et toutes deux grandes de taille, ce sont deux femmes d’un certain âge. Plus de la quarantaine, selon leur appa­rence. Une fois à l’intérieur de la salle, elles Informent la sage-femme qu’elles sont venues pour faire un test de grossesse. Des propos qui nous font tous nous retourner pour bion regar­der les deux dames, vu que ce sont des femmes d’un âge avancé. « Vous avez déjà des enfants », tour demande la sage-femme. « Moi, j’en ai six (6) », répond celle qui a donné le motif de leur visite et dont sur le visage se lit une certaine anxiété. « Moi, j’en ai quatre (4) », répond l’autre femme, un peu en retrait. Et, celle qui a déclaré avoir déjà six enfants de continuer : « A I ’heure-là, je ne veux pas d’enfant. Ce n’est même pas le moment. Ce n’est pas du tout bon ». C’est bien plus tard que nous comprenons véritablement le sens de ses propos. « C’ost 2000 FCFA par personne », leur fait savoir la sage-femme,’ parlant du test de grossesse. Chacune d’elle paie la somme demandée, prend les pots de couleurs différentes qu’on leur donne en retour pour se diriger dans        les toilettes Tu vois qu’elles sont parties. Elle va revenir dans quelques jours pour se plaindre de son ventre », soutient la sage-femme, sûre de son fait. En effet, nous dit-elle, les jeunes filles et femmes sachant que l’avortement n’est pas légalisé, préfèrent le faire de façon illégale et se rendre à l’hô­pital lorsque surgissent des complications. « Généralement, elles pren­nent des décoctions ou bien tes médicaments chinois, ou encore un médicament qu’on vend à la phar­macie appelé Syntho », explique la sage-femme, précisant que ce sont des pratiques qui ne font pas tomber la grossesse immédiatement.

209 380 nouveaux cas d’avortement clandestins chaque année

Les propos de la sage-femme sont confirmés par l’élève sage-femme en stage. Sans hésitation, elle nous révèle qu’elle a fait un avortement à l’âge de 18 ans. Lorsqu’elle était en classe de terminale. « J’ai pris des médicaments chinois. C’est ma camarade qui est allée tes payer pour moi. C’est le troisième jour que j’ai commencé à saigner. J’ai eu très mal au ventre. J’ai pensé que j’allais mourir. La douleur était très vive. Heureusement que ma maman n’était pas là, si non elle allait m’at­traper. Je crois que c’est le quatrième ou cinquième jour, lorsque je suis allée au WC que te truc (ndlr, le fœtus) est tombé », relate-t-elle. Lorsqu’elle s’est retrouvée, l’élève sage-femme affirme être repartie trouver le vendeur du médicament chinois pour lui dire qu’elle a eu très mal. « Il m’a dit que je ne devais pas boire de l’eau glacée ou du soda. Ce quo ma camarade ne m’avait pas dit », se souvient-elle. Pourquoi avoir pris le risque de faire un avortement à cet âge ? L’élève sage-femme répond qu’elle avait pour de la réac­tion de ses parents. « Si la grande- sœur n’a pas pris de grossesse, ce n’est pas moi la petite- sœur qui va en prendre », soutient-elle. Si elle a pu s’en sortir, la jeune fille ne conseille pas la prise de ces médica­ments à une autre fille. « Tout ton corps en souffre », dit-elle. Pourtant, l’avortement clandestin semble la norme en Côte d’voir. En effet, selon les résultats de l’enquête « Performance monitoring and accountabilty » (PMA 2020), réalisée et financée par la fondation Bill et Melinda Gates, l’année dernière, l’incident des avortements est élevé avec plus de 209 380 nouveaux cas chaque année. Le phénomène, précise l’enquête, serait lié à l’âge et au niveau d’instruction des pratiquantes. Il est plus poussé chez les pauvres que les riches. Soit un taux de 80,1% chez les très pauvres ; 75,2% chez les pauvres ni riches ; 68,4% chez les ni pauvres ni riches ; 62% chez les riches et 47,20%chez les très riches. En tout cas, le constat est que l’avortement est très pratiqué en Côte d’Ivoire. « Je pense que toutes les filles de mon âge ont une fois avorté. J’en connais une qui en a fait cinq. Je pensais que j’étais la seule à avoir vécu une telle histoire. Mais, un jour à l’école, nous nous sommes mises à causer de l’avortement, entre copines. Lorsque des camarades ont raconté leur histoire, la mienne n’était pas si grave que cela », poursuit l’élève sage-femme. De fait, même si l’avortement n’est pas autorisé, tous les cas de prise en charge sont répertoriés C’est une consigne du ministère de la Santé, nous font savoir tes sages-femmes. « Nous avons un registre pour les prises en charge de cas d’avortement. Dans ce registre, nous répertorions tous les cas que nous prenons on charge. Nous mentionnons le nom, l’âge et le lieu d’habitation de ces personnes », nous informe la sage A.S. Ainsi, selon le registre, elle nous fait savoir qu’à la date du 25 juin 2021, dix-neuf cas (19) ont été enre­gistrés. – Ça, c’est seulement pour notre hôpital. Imaginez, le nombre de cas pris on charge dans les autres hôpitaux, cliniques conventionnelles et surtout les cliniques non autori­sées. Car c’est dans ces endroits que beaucoup do filles se rendent pour avorter », analyse l’agent médi­cal, pour qui le font est largement sous-évalué.

Des conséquences assez graves

Ses conséquences également. De fait, c’est dans un état d’inconscience que les victimes arrivent à l’Hospital. « Les médicaments qu’elles prennent ne font pas tomber la grossesse immédiatement. Ça gâte la grossesse et le produit de conception est dans ton ventre. Or, tant que ce corps étranger est dans ton ventre, tu ne feras que saigner. Au début, ce sera de petits saignements, mais à un moment donné, c’est tout ton corps qui se vide de sang. C’est ce qui fait qu’elles arrivent la plupart du temps anémiées, très affaiblies », indique la sage-femme. Une fois à l’hôpital, après un interrogatoire plus poussé, elles avouent avoir fait un avortement. Cependant, si l’acte ost illégal, le corps médical selon un arrêté un arrêté pris en 2007 sous l’ex-­ministre de la Santé, Dr Allah Kouadio, a l’autorisation de prendre correctement en charge la patiente. Aussi le protocole de prise en charge est-il bien connu des agents de santé. « Nous faisons une vacuité utérine. C’est-à-dire que nous net­toyons l’utérus pour enlever tous les débris qui sont à l’intérieur. Après, nous les mettons sous traitement antibiotique. Et, nous leur donnons des médicaments pour éviter qu’elles ne saignent encore et que l’utérus ne se rétracta. Toutefois, lorsqu’on constate qu’elles sont pâles, nous faisons un bilan de santé. Si le taux d’hémoglobine est bas, surtout quand il avoisine les 6 voire 4 grammes, nous les évacuons dans un hôpital qui a un bloc opératoire », souligne la sage-femme.

Y a-t-il des femmes qui meurent des suites d’un avortement ?

Et quel est l’impact des avortements sur la mortalité mater­nelle. Pour avoir ces informations, nous avons adressé les 23 juin 2021 un courrier au ministère de la Santé avec ampliation à la CAIDP. Mais, jusqu’à ce nous publions l’article nous n’avons eu de réponses à nos questions. Cependant, dans l’en­quête PMA, on peut noter que les complications des avortements sont responsables de 4,59% de la morta­lité maternelle. Comme quoi, le gou­vernement ivoirien doit se pencher sérieusement sur la question au risque d’être totalement en déphasage avec la réalité.

 

 

PROPOS RECUEILLIS PAR DAO MAÏMOUNA

Le Patriote-N°6458 du Vendredi 17 Juillet 2021

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