QUE PENSE LE PEUPLE DES MEDECINS ? UN TEMOIGNAGE EMOUVANT (Suite et fin)

 

C’est vrai, quoi, certains médecins sont tellement malpolis qu’on se demande qui les a élevés.

Jusqu’au moment où on se met à travailler dans une faculté de médecine.

Et là, on comprend.

Enfin, quand je dis qu’on comprend, je ne veux pas dire qu’on accepte que tant de médecins soient si mal embouchés, si mal aimables, si mal élevés, si malotrus, si malfaisants. Mais qu’on soupçonne, comment ils le sont devenus. Ou restés.

Parce que les études de médecine, c’est une éducation. C’est la douche écossaise. Du chaud qui brûle, du froid qui glace, sans prévenir, pendant toutes leurs études.

Deux années de concours pour éliminer ceux qui ont du sentiment, ceux qui ont la gentillesse. Les plus faibles, les plus fragiles – ceux qui nous ressemblent le plus.

Et puis pendant les deux années qui suivent, on leur dit qu’ils vont être les meilleurs… s’ils ne relâchent pas leurs efforts. S’ils font exactement ce qu’on attend d’eux. S’ils suivent bien les enseignements de leurs professeurs. S’ils apprennent tout par cœur. S’ils ne se laissent pas distraire. Par rien. Et surtout pas par eux-mêmes.

Il y en a avec qui ça ne marche pas, bien sûr. Qui continuent à faire la fête et vont au cinéma, et dînent entre copains, et partent à la mer sans crier gare pour respirer l’air pur. Bref, qui vivent leur vie de jeunes gens, tout en poursuivant leurs études, et qui ne s’en portent pas plus mal. Ceux-là, celles-là, on les repère très vite : ils disent bonjour, ils ont le sourire, ils ne sont pas énervés, ils donnent un coup de main pour le café et les sandwichs. Ils nous connaissent par notre prénom et par notre nom de famille parce qu’ils nous l’ont demandé. Et on connaît les leurs… ceux-là, ils tranchent, on dirait des belles vertes dans un lot de pommes fripées. Ils font plaisir à voir. Ils ne sont pas bien nombreux. Ce sont ceux là qui tiennent la main aux autres quand ils vont mal, qui les écoutent quand ils déraillent. On serait presque à s’étonner qu’ils aient décidé de venir là. On en vient presque à souhaiter qu’ils aient choisi un autre métier. On aimerait les protéger, car ils ne savent pas encore ce qui les attend. On a peur du jour où quelqu’un prendra plaisir à les casser.

Il y en a d’autres, en revanche, qui n’osent pas sortir le nez de leurs livres tant ils se sentent coupables d’être passés là devant les autres, tant ils sont inquiets de ne pas aller jusqu’au bout, tant ils se sentent obligés d’apprendre et de potasser parce qu’ils ont peur, à la fin, de n’être pas assez bons, assez savants, assez compétents aux yeux de leurs collègues. Ceux là, ils sont nombreux. On les entend pas, parce qu’ils sont toujours sur la défensive, dès qu’on leur adresse la parole. Ils sont angoissés pendant l’année, et trois fois plus au moment des examens. Ils n’arrêtent pas de se dire : Et je rate mes partiels ? Et si j’ai pas l’internat ? Et si je deviens pas chef de clinique ? Et si je suis obligé d’aller exercer en ville ? Ils ne se demandent jamais tout haut : Et si je tue quelqu’un ? Parce qu’ils le pensent, bien sûr, mais ils ne le disent pas. Ils ont trop peur que, rien que de le dire , ça arrive. Ceux-là, ils sont souvent seuls à l’intérieur d’eux mêmes. Ils n’ont besoin de personne pour s’y terrer, et personne ne les aidera à en sortir.

Il y a aussi ceux qui se la jouent. Qui s’imaginent, parce qu’ils ont eu le concours, qu’ils ont leur vie toute tracée. Ils se voient déjà spécialistes, chirurgiens, chefs de service. Ils se voient déjà professeurs, conseillers, députés. Ils sont tellement arrogants que rien ne les émeut. Et pendant quelque temps ils n’ont peur de rien ni de personne. Ils sont persuadés qu’ils font partie de la crème. Et puis un jour, brutalement, ils tombent sur un os – un plus arrogant qu’eux, plus âgé, mieux placé, qui rabat leur caquet, les humilie, les traite comme des merdes. Alors il rentrent dans le rang, ils ravalent leur vanité, et comme ils sont bien mal dans leur peau depuis leur départ, ils se mettent à raser les murs. Ils sont persuadés de leur médiocrité. Ils savent qu’ils sont mauvais. Alors ils font semblant. Ils tournent autour du pot. Ils prennent la tangente. Ils fuient. Ils ne se regardent plus dans la glace.

Et puis, il y a l’élite. La race des seigneurs. Ceux qui sont les fils de leur père, le père de leur fils. Ceux qui n’ont claquer du doigt. Ceux qui ne doutent de rien. Ceux qui  savent que tout leur est dû. Et qui à on le donne. Ceux qui marchent sur les autres parce qu’ils ont appris à faire comme ça. Ceux qui ne s’encombrent pas de scrupules mais savent parfaitement manipuler les scrupules des autres.

Ceux-là, ils peuvent mentir, voler, bluffer, humilier, saboter, picoler, se droguer, trafiquer, dégrader, faire virer, violer ou pousser quelqu’un au suicide pendant leurs études, personne ne leur dira rien.

Et vous croyez vraiment qu’une fois leur diplôme en poche, ils changent ?

Les Trois Médecins

Martin Winckler

P.OL.

Prix Jean Bernard 2004 de l’académie de Médecine

P 163, 166

 

 

Meite Mori Médecin Biologiste Enseignant chercheur, Expert près les tribunaux