Royaume-Uni : Theresa May fragilisée par la démission de sa ministre de l’intérieur

Amber Rudd était sur la sellette depuis plusieurs jours, après des affaires liées au contrôle de l’immigration par ses services.

A quatre jours d’élections locales difficiles pour le Parti conservateur, dont elle est la chef, et après plusieurs reculades sur le Brexit, la première ministre britannique, Theresa May, subit un nouveau revers. Sa ministre de l’intérieur, Amber Rudd, proche d’elle et figure montante de l’aile modérée des tories, a été contrainte de démissionner dans la soirée du dimanche 29 avril. Le ministre des Communautés, Sajid Javid, vient d’être nommé pour la remplacer.

Le départ de Mme Rudd intervient à la suite d’un scandale touchant le point réputé fort de Mme May : l’immigration. La révélation par le quotidien The Guardian de la responsabilité de la première ministre dans la politique de reconduite à la frontière – ayant conduit à menacer d’éloignement forcé ou à refuser un traitement médical à des Antillais présents légalement au Royaume-Uni depuis des décennies – a précipité le départ de Mme Rudd, qui joue ainsi le rôle de fusible pour Mme May.

« Génération “Windrush” »

A l’origine du scandale se trouve la situation de milliers d’immigrés issus du Commonwealth arrivés entre 1948 et 1973. On les surnomme « génération Windrush », du nom du premier bateau d’immigrants, l’Empire-Windrush qui accosta en 1948 dans l’avant-port de Londres avec 492 personnes à bord, en provenance de la Jamaïque. Appelés en renfort comme infirmiers ou cheminots pour reconstruire le pays dévasté après la deuxième guerre mondiale, ces Antillais, souvent d’anciens combattants, bénéficiaient alors du droit d’installation dans la « métropole » britannique en tant que ressortissants du Commonwealth. D’autant que ceux nés avant les indépendances avaient la nationalité britannique.

Mais le droit au séjour a été supprimé par une loi sur l’immigration de 1971 pour les personnes entrées sur le territoire britannique à partir du 1er janvier 1973. Toutes celles présentes auparavant ont continué de bénéficier du droit au séjour, voire à la nationalité. Mais ils n’ont effectué aucune démarche particulière pour obtenir des papiers l’attestant. Au Royaume-Uni, il n’existe pas de carte d’identité, et les intéressés, la plupart trop modestes pour voyager, n’ont pas demandé de passeport.

Leur tranquillité a pris fin à partir de 2012, lorsque le gouvernement conservateur a lancé une politique officiellement intitulée d’« environnement hostile à l’immigration illégale ». Il s’agissait d’encourager les propriétaires, les employeurs, les médecins, à contrôler la régularité du séjour de leurs salariés, locataires et patients, les « suspects » étant de fait repérés par leur couleur de peau, leur accent ou leur lieu de naissance. A l’époque, des camions publicitaires arborent dans les rues de Londres des affiches portant une énorme paire de menottes et la mention : « Illégalement au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous ou risquez l’arrestation. » Leur promoteur ? La ministre de l’intérieur de l’époque, une certaine Theresa May.

A la veille des élections locales du jeudi 3 mai où les sondages les créditent de gains substantiels, les travaillistes tentent d’utiliser le scandale

En mars, la journaliste du Guardian Amelia Gentleman a commencé à exposer le cas de membres de la « génération Windrush » licenciés par leur employeur, privés de soins médicaux, voire menacés d’éloignement forcé faute de pouvoir justifier de leur nationalité britannique et pris au piège de l’« environnement hostile ». Le cas d’Albert Thompson – un pseudonyme –, un infirmier de 63 ans vivant au Royaume-Uni depuis quarante-quatre ans, à qui un traitement de son cancer de la prostate a été refusé, a particulièrement ému l’opinion. Mais pas le gouvernement de Mme May qui, le 10 avril, a refusé de recevoir les douze ambassadeurs d’Etats des ex-Antilles britanniques, qui lui réclamaient une entrevue sur le sujet. Une bévue d’autant plus grave qu’un sommet du Commonwealth s’ouvrait quelques jours plus tard à Londres, avec pour objectif de resserrer les liens entre les anciennes possessions et le Royaume-Uni après le Brexit.

Appels à la démission

Cent quarante députés, sous la houlette du travailliste David Lammy, ont alors signé un texte de protestation qui a obligé Mme Rudd à présenter ses « excuses » aux Communes. Mais les révélations répétées du Guardian et les appels de l’opposition à sa démission ont fini par déstabiliser la ministre de l’intérieur. Un document officiel publié par le quotidien a d’abord montré que la ministre avait menti en affirmant qu’il n’existait pas d’objectifs chiffrés en matière de reconduites à la frontière. Mme Rudd a alors prétendu qu’elle n’avait pas eu connaissance de ce document. Dimanche, le Guardian a porté l’estocade en publiant une lettre adressée en janvier 2017 par Mme Rudd à la première ministre, lui promettant une augmentation de 10 % du nombre des éloignements forcés « dans les prochaines années ».

En révélant une politique du chiffre dont certains « Windrush » ont fait les frais, le scandale soulève indirectement l’un des points les plus sensibles du débat politique britannique : l’objectif sans cesse proclamé par les conservateurs depuis 2010 – mais jamais atteint –, de faire descendre à moins de 100 000 par an (contre 230 000 aujourd’hui) le nombre d’entrées d’étrangers sur le territoire. Un objectif et un échec personnifiés par Mme May, ministre de l’intérieur de 2010 à 2016. L’immigration, qui a pesé lourd dans le vote du Brexit en 2016, reste un sujet-clé pour la popularité de la première ministre, réputée largement plus ferme en la matière que le chef de file de l’opposition, Jeremy Corbyn.

A la veille des élections locales du jeudi 3 mai où les sondages les créditent de gains substantiels, les travaillistes tentent d’utiliser le scandale. « Ce qui est arrivé à la génération Windrush ne résulte pas d’une erreur de l’administration. C’est une conséquence de l’environnement hostile créé par le gouvernement [conservateur] », a dénoncé Sadiq Khan, le maire de Londres, ville où les électeurs issus de l’immigration sont nombreux.

Le Labour tente aussi d’utiliser l’inquiétude pour l’après-Brexit que suscite le traitement de la « génération Windrush » chez les trois millions de ressortissants de l’UE installés au Royaume-Uni et qui votent aux élections locales. Les Européens vont se dire : « Mon Dieu, si cela peut arriver aux Windrush, cela peut bien sûr nous arriver ! », a lancé le député David Lammy.

Les commentateurs ne se privent pas non plus de rappeler la déclaration de guerre aux discriminations raciales lancée par Theresa May sur le perron du 10, Downing Street, en juin 2016, lorsqu’elle a pris ses fonctions. « Si vous êtes noir, dénonçait-elle alors, vous êtes plus durement traité par la justice pénale que si vous êtes blanc. » Elle promettait alors de faire de la Grande-Bretagne « un pays qui marche pour tout le monde ».

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