Au Nord du Bénin, dans la région pauvre de l’Atacora, l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu est devenu une référence médicale en Afrique, visité par de nombreux spécialistes européens. A son origine, le frère Florent, un missionnaire italien qui depuis un demi-siècle consacre chaque minute de sa vie à soigner les malades et à pérenniser l’institution.
Il est rare de rencontrer des êtres vraiment hors du commun, de ceux qui laisseront une œuvre derrière eux, qui plus est quand cette œuvre sauve des dizaines de milliers de vies chaque année. L’homme dont nous allons vous raconter l’histoire s’appelle le frère Florent. Il est le médecin chef de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Tanguieta, au nord du Bénin, dans l’Atacora, province enclavée entre le Togo et le Burkina Faso.
Nous l’avons vu cavaler, des soins intensifs aux urgences, répondre tantôt à son téléphone, tantôt aux malades qui l’apostrophent dans les couloirs, la prothèse de l’un, la clavicule de l’autre, inspecter la toiture d’un bâtiment avec la méticulosité d’un chef de chantier, filer au bloc opératoire, y enchaîner plusieurs opérations à la suite. Nous nous sommes demandé : comment fait-il ? Et plus encore : combien de temps encore cet homme de 72 ans pourra-t-il supporter un tel rythme ?
« C’est un saint ! »
Energie stupéfiante, qui façonne le corps du frère Florent, sec et longiligne, nerveux et alerte, ses lunettes rectangulaires renforçant un peu plus encore le profil émacié d’un visage agrémenté d’une petite barbe drue. Regard à la fois bienveillant et inquiet. Ce dimanche de la fin juillet, quand il nous convie dans son bureau – bric-à-brac avec ventilo et empilements de valises vides –, cela fait trois jours que nous sommes à Tanguieta pour un reportage sur les morsures de serpent, fléau qui tue 40.000 personnes chaque année en Afrique. Mais Florent nous intrigue. Les commentaires sur lui. Un malade : « C’est un saint ! ». Maxime Timanty, infirmier au dispensaire de Dasseri, un village à 25 kilomètres d’ici :
« Les gens prétendent que s’il te touche, tu seras guéri. »
Malik, notre chauffeur : « Il ne s’arrête jamais. A 4 heures du matin, il est en train de répondre à ses mails. » D’autres encore le surnomment « le sorcier blanc ». A six heures, après une nuit orageuse — nous sommes à la saison des pluies –, nous tombons nez à nez avec lui devant la chapelle où il va prier. Quand se repose-t-il ? Frère Boniface, le directeur administratif de Saint-Jean de Dieu, raconte :
« Ici, les gens croient que l’hôpital appartient à Florent. Ils veulent ne se faire soigner que par lui. En 2005, quand on a révisé les tarifs, on a doublé les siens, pour encourager les malades à aller voir d’autres médecins.
Mais cela a eu l’effet inverse : ils ont vu la preuve qu’avec Florent, c’était vraiment mieux ! C’est pour ça qu’il lui arrive de finir sa journée après minuit. »
Le matin, lors des consultations, ils sont des dizaines à s’entasser, des heures durant et sans broncher, dans un couloir étroit, devant la porte du bureau numéro 2, où il reçoit. Certains viennent du Togo ou du Burkina. Odeurs de sueur et d’humidité. Dehors, dans le ciel gris, on voit tourbillonner vautours et chauve-souris.
Du samedi après-midi au dimanche à l’aube, frère Florent n’a pas quitté le « bloc ». Il a opéré six malades. Nous avons assisté à l’une de ces opérations. Un enfant de 8 ans, intestins perforés à cause de la typhoïde, épidémie qui fait des ravages depuis le début de l’année. Le gosse avait des traces de scarification sur le ventre. « Ce sont des guérisseurs qui ont fait ça, nous avait dit Florent, tout en nettoyant les intestins de la surmembrane abondante (matières fécales). Les parents arrivent sans un sou en poche, alors qu’on en est à la troisième semaine de maladie. Ils ont tout dépensé dans ce genre de cérémonies. » Une partie de l’intestin de l’enfant a dû être sacrifiée.