Témoignage d’une femme de ménage : « Le métier de servante a été la pire expérience de ma vie»

Mlle Fatoumata a maintenant 22 ans. Sa vie entière s’est résumée au métier de servante depuis l’âge de 13 ans. Aujourd’hui, elle jette un regard nostalgique sur son parcours fait d’épreuves et de ressentiments. À travers cette longue expérience, elle plaide et fait le porte parole de toutes ces femmes de ménage pour que la société ait un regard compatissant sur elles et lance un message à ces nombreuses femmes qui emploient les ménagères. Découvrez l’intégrité de l’entretien.

Islam Info : Quand avez-vous commencé le métier de servante et dans quelle circonstance êtes-vous parvenue à travailler pour la première fois ?

Fatoumata Zahra: C’était à l’âge de 13 ans en 2016. Avant cela, j’étais à la charge de mon oncle avec qui je vivais dans la commune de Yopougon. Il y était avec ma tante. Mais au bout de quelque temps, lui et sa femme ont jugé bon de m’emmener travailler chez une famille. Mon salaire s’élevait à 15.000f le mois. Et c’est mon oncle qui percevait cette somme sans me donner un centime et cela pendant 4 ans. Les conditions dans lesquelles je vivais étaient inhumaines. Ma chambre était la cuisine et l’on me réveillait très tôt, au premier chant du coq pour reprendre le travail. Est-ce que J’avais bien dormi ? Cela n’intéressait personne. Après tout j’étais là pour servir. J’ai été livrée à moi-même, car je n’avais jamais reçu la visite d’un parent dans cet enfer. C’était vraiment dur pour moi. Parfois je nourrissais l’envie de m’enfuir sans jamais réussir. Trois années ont passé et la femme de mon oncle m’a fait savoir que la totalité de la somme qu’elle gardait pour moi s’élevait à 250.000f. C’est ainsi qu’elle a acheté quelques pagnes et autres accessoires pour préparer mon voyage au village à l’occasion d’un mariage.

Islam Info : Et tes parents dans tout ça ?

Fatoumata Zahra:  Mon père m’a abandonnée parce qu’il n’a pas marié ma mère. Mais au départ, c’est ma mère qui m’a emmenée en ville chez mon oncle. Je lui appartenais désormais, me disait-elle, car elle n’avait pas les moyens. Mais je ne lui en veux pas. Je la comprends au contraire. Avec sa situation, ce n’était pas facile de vivre au village. Elle a dû se séparer de moi pensant que je serais entre de bonnes mains chez mon oncle. Si seulement elle savait mon calvaire. Mais je n’ai jamais voulu lui dire les épreuves que je traversais en tant que servante de peur de la rendre triste. Il fallait s’adapter dormais à ma nouvelle vie.

Islam Info : À 13 ans, comment tu arrivais à faire la cuisine ?

FZ: Heureusement que la nourriture était bonne. J’avais appris la cuisine auprès de ma mère. Mais il faut dire que c’est véritablement au fil du temps que je m’appliquais. Aujourd’hui je sais faire presque tous les plats africains.

Islam Info : Dans combien de ménages avez-vous exercé ?

FZ : Une dizaine. J’ai passé ma vie à me promener de ménage en ménage. La plupart du temps, c’est les mêmes difficultés auxquelles je fais face. Les moments de joie sont presque inexistants.

Islam Info : Quelle a été donc votre pire expérience ?

FZ: Ce n’est pas facile d’exercer ce métier vous savez ! Beaucoup d’épreuves douloureuses ont marqué mon long parcours. À Abobo, par exemple où j’avais 14 ans, je travaillais pour une institutrice. Elle me battait régulièrement pour des choses insignifiantes. Lorsque je lave le linge et que je le fais sécher à la corde, il arrive souvent qu’elle les descende tous parce qu’elle estimait que les habits n’étaient pas bien lavés. Alors, je reprends automatiquement la lessive pendant même que j’ai faim. Les nuits, quand elle quitte le travail, le plus souvent tardivement, je suis obligée de lui ouvrir la porte malgré mon profond sommeil. Et quand je mets du temps à venir, la bataille recommence à mon désavantage. Je n’oublierai jamais le jour où elle m’a envoyé à Man, pour que j’y travail pour sa sœur. Ma tante était d’accord avec cette décision. Et moi, enfant, je ne pouvais que me soumettre.

Islam Info : Il y a eu quand-même des moments de joie, non ?

FZ: Sans mentir oui. Certaines personnes ont un bon cœur. Un cœur en or, je dirai. C’est le cas de la femme chez qui je travaillais à Cocody. J’étais presque un membre de la famille. Ma patronne me témoignait beaucoup d’attention et d’amour. Si seulement les autres femmes pouvaient être comme elle. Mais j’ai dû la quitter pour des raisons familiales.

Islam Info : J’imagine que ces expériences vous ont beaucoup marquée au point d’être toujours de mauvaise humeur. Quelles étaient leurs réactions quand ils te voyaient dans cet état ?

FZ: J’ai toujours été une personne de bonne humeur. J’affiche toujours un air de gaîté. Ils ne peuvent donc pas s’en rendre compte. Je prends la vie aussi avec beaucoup de philosophie. Pour moi, rien ne pourra changer ma situation de toute façon. Pas en tant que domestique en tout cas. À quoi bon être triste ; surtout quand tu travailles pour des gens ? J’ai vite appris à masquer mes peines devant les autres. Je n’ai jamais voulu être un fardeau pour quelqu’un. Il fallait servir. C’était ça, rien d’autre.

Islam Info : Avez-vous déjà été victime d’abus sexuels durant le travail ?

FZ: Non. Je recevais par contre des avances. Nous les servantes sont souvent considérées comme des objets sexuels. C’est quand-même dommage de voir des pères de famille se comporter ainsi. J’ai souvent abandonné le travail pour éviter ce genre de situation.

Islam Info : Quels messages souhaitez-vous adresser aux femmes qui emploient les filles chez elles comme domestiques ?

FZ: Je voulais leur dire que les filles qu’elles emploient sont avant tout la chair et le sang d’autres mères. En tant que telles, elles méritent de la considération et de respect sans oublier l’amour que leur mère n’arrivent pas à leur donner ; malheureusement à cause de la distance. C’est criminel de traiter ces filles comme des animaux. Il n’y a pas deux façons de faire un enfant, mais une seule. Lorsqu’une fille décide de travailler pour vous, laissant la prostitution et autres pratiques de ce genre, il faut plutôt l’encourager au lieu de faire le contraire.

Islam Info : Avez-vous un message pour les filles ?

FZ: Aux filles, j’aimerais leur dire de faire leur travail avec sérieux. De veiller à ne pas semer la discorde entre les membres de la famille. Quand tu sais d’où tu viens, tu sauras où tu vas. Je leur demande de ne pas perdre de vue leurs objectifs et que leurs parents, et surtout leur mère méritent mieux que ça. Elles ne doivent surtout pas accepter les avances de leur patron. Ces derniers ne peuvent pas changer leur vie. Ils le font en générale pour leur plaisir personnel. Il faut rester digne. Je ne parle pas de ceux qui sont célibataires et qui souhaitent engager une relation sérieuse.

Islam Info : Durant votre service, avez-vous déjà pensé à faire autre chose que rester servante ?

FZ: Oui. Malheureusement j’ai pas réussi. Mais je suis persuadée que je vais finir par avoir un travail plus digne. C’est une question de temps.

Islam Info : Quel est votre souhait aujourd’hui ?

FZ: Mon seul souhait actuellement, c’est de quitter dans ce métier avec un peu de moyens que j’aurai. Je veux être autonome comme toutes les femmes avant de penser à me marier pour éviter de subir les problèmes liés aux foyers et assurer l’avenir de mes enfants. Car j’ai vu tant de choses dans des familles. Des femmes maltraitées par leur mari et des enfants souvent mal nourris.

Islam Info : Votre dernier mot ?

FZ: Je profite de cette occasion pour soutenir mes collègues. J’ai l’intention de créer une structure qui lutte pour la cause des bonnes afin qu’on leur reconnaît leurs droits.

Interview réalisée par Sultane Cissé, journaliste  Islam Info