En 2007, le reggaeman sommait Karim Wade de s’expliquer sur l’utilisation de fonds publics et essuyait les foudres de son président de père. Un épisode qui contribua à bâtir la notoriété du chanteur hors de sa Côte d’ivoire natale.
Karim Wade (fils du président Abdoulaye Wade)
J’étais au Sénégal en 2007. Je jouais à l’institut français de Dakar dans le cadre d’un festival de rap. Nous étions en Pleine polémique sur Karim Wade, le fils du président Abdoulaye Wade. Il avait été convoqué par l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur des travaux qu’il avait faits à Dakar pour le sommet de l’organisation de la coopération islamique (OCI), qui devait se tenir l’année suivante, mais il refusait de s’y rendre.
Comme Karim Wade gérait des fonds publics, il me semblait important qu’il rende des comptes. J’ai donc prononcé un petit discours sur scène et j’ai dit qu’il devait s’expliquer devant les députés. Puis j’ai ajouté que, si Abdoulaye Wade ne voulait pas que son fils aille à l’Assemblée nationale, il aurait fallu le laisser dans son berceau, à la maison, et ne pas le mêler à la politique. J’ai enchaîné avec mon titre Quitte le pouvoir, et le concert s’est terminé sans encombre.
Tiken Jah Fakoly (Musicien)
Ce discours aurait pu rester dans les travées de l’institut français, mais, le lendemain, alors que je me préparais à monter dans l’avion pour quitter Dakar, un policier est venu me chercher après le passage des formalités. Il a pris ma carte d’embarquement et mon passeport. Il venait pour m’interpeller, mais il a reçu un coup de fil lui disant qu’il fallait finalement me laisser partir. Je suis donc rentré à Abidjan. Le soir, au journal télévisé de la RTS, il a été annoncé que j’étais désormais interdit de séjour au Sénégal. Cela a duré trois ans. L’interdiction a finalement été levée en 2010, et j’ai été invité pour un concert par un promoteur de spectacles. Quand je suis arrivé à Dakar, il avait organisé une rencontre avec Abdoulaye Wade. Le président m’a reçu au palais en présence de sa fille Sindiély et de l’un de ses ministres. Sa fille lui a dit que j’avais été interdit de séjour au Sénégal pendant trois ans et que j’étais de retour pour un concert.
La teranga
« Mais pourquoi a-t-il été interdit de séjour ? a alors demandé Wade. Le Sénégal est le Pays de la teranga, tous les Africains sont chez eux ici ! » Il faisait mine de ne pas être au courant de cette affaire, mais c’était impossible qu’il l’ignore. Je ne le croyais pas et j’ai été surpris par sa réaction. Je lui ai rappelé que cette histoire avait fait beaucoup de bruit sur le plan médiatique et que, paradoxalement, elle avait contribué à me faire connaître au Sénégal. Il y avait eu des émissions en wolof à ce sujet sur toutes les radios et télévisions du pays. Wade a maintenu qu’il n’était pas au courant, mais nous nous sommes quittés en bons termes. Finalement, alors que tout était prêt pour faire de ce concert un moment fort après trois années d’absence, nous avons été contraints d’annuler à la dernière minute… à cause d’une grosse pluie!
Abdoulaye Wade (président de la république du Sénégal du 1er avril 2000 au 2 avril 2012)
Propos recueillis par Benjamin Roger
Jeune Afrique- N° 3101- Juin 2021