«Les informations sur l’état de santé du chef de l’État sont extrêmement rassurantes.» C’est par ces mots que la présidence gabonaise espérait mettre fin, le 11 novembre dernier, à la première saison d’une série à suspens qui tient les Gabonais et la presse internationale en haleine depuis plus d’un mois. Victime d’un malaise à Riyad où il se rendait pour prendre part au Davos du désert, Ali Bongo a été pris, selon les déclarations initiales de ses communicants, d’une fatigue qui se transformera au fil des semaines en « saignement justifiant une prise en charge médico-chirurgicale ». A l’inverse de rassurer l’opinion, ces déclarations discordantes n’ont fait qu’ajouter au doute qui habite les Gabonais quant à la gravité de l’état d’Ali Bongo. Faut-il croire ce que dit la présidence ?
Se taire ou mentir
Il est utile de rappeler que bien que s’exprimant le plus souvent dans un décor chargé des emblèmes républicains, le ou la porte-parole de la présidence quel que soit le pays dont il s’agit est avant tout celui ou celle du président. On peut l’observer aux États-Unis notamment où Sarah Huckabee Sanders, plutôt qu’à exposer les mesures de l’administration Trump, consacre l’essentiel de son énergie à la défense du commandant en chef. En France, on a aussi récemment vu Bruno Roger-Petit, à l’acmé de l’affaire Benalla, intervenir publiquement en en soutien d’Emmanuel Macron. Ces prises de position s’ajoutent aux nombreuses voix officielles et officieuses qui s’activent en temps de crise de coups de téléphone en rendez-vous nocturnes auprès de journalistes surchauffés.
Le porte-parolat de la présidence est une fonction physique. Par son corps dressé devant le pupitre face au public, le porte-parole interprète et personnifie la voix présidentielle qu’il relaye et aussi protège. Sa position l’institue à la fois comme canal et comme rempart, la seconde mission étant en pratique plus impérieuse que la première.
Doit-il dire la vérité ? Un bon communicant officiel est celui qui sait surtout quand il faut se taire sans toutefois mentir, et les oreilles averties savent déceler dans un bréviaire de circonvolutions consacrées quand la situation mérite qu’on s’en préoccupe.
Un président n’est jamais malade. Il travaille trop…
Ainsi, la présidence la République gabonaise quand il a fallu se décider à rompre un silence qu’il devenait risqué de prolonger a au départ adopté la dédramatisation comme ligne de conduite. Ali Bongo, comme la plupart de ses homologues n’est jamais malade, il est « fatigué » préfère-t-on toujours dire lorsqu’il s’agit du magistrat suprême. Victime de son hyperactivité, de sa vision, de son ambition, quand un président est souffrant c’est toujours parce qu’il travaille trop. Exception faite de l’Algérie, l’autorité reste associée à la validité, voire même dans de nombreux cas encore à une forme de bonne santé vigoureuse et virile. Il est de tradition en Afrique que le chef soit célébré au motif de ses qualités morales et physiques.
Se pliant à cet imaginaire, en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara ne cesse de démentir depuis 2013 les rumeurs lui prêtant une maladie grave. Au Nigéria, la santé de Muhammadu Buhari n’a pas manqué de susciter elle aussi de vives polémiques. Absent du pays pendant près de trois mois cette année, l’homme politique âgé de 75 ans a dû rassurer sur sa condition physique avant d’annoncer sa candidature à sa propre succession en 2019. Il y’a quelques jours, il s’est encore vu contraint, en marge d’une réunion de la COP 24, de réfuter verbalement puis par un communiqué officiel, les rumeurs galopantes selon lesquelles il aurait été remplacé depuis plusieurs mois par un clone ! Sans pour autant livrer de détails sur la nature de sa pathologie. Car s’il est bien un secret scrupuleusement gardé, c’est le bulletin médical du président. Nul ne peut douter de son aptitude à diriger et il est fréquent de limiter les apparitions de dirigeants diminués ou de veiller à leur administrer auparavant quelque énergisant afin d’éviter une faiblesse en public.
Maintenir à tout prix le secret…
A la question « Le chef peut-il être souffrant ? », la réponse est le moins souvent, le moins longtemps et dans le plus grand secret possible. On découvrira à la mort d’Houphouët Boigny en 1993 qu’il était dévoré par le cancer depuis trois ans.
En effet, lorsque l’état du dirigeant est dans un état critique voire que le décès est survenu subitement, le réflexe naturel est d’abord de garder le secret. Un mutisme stratégique qui permet dans un premier temps d’évaluer la situation et de préparer le plan d’action pour la suite. Il s’agit pour le régime en place d’éviter à tout prix de créer une panique qui pourrait profiter à un coup d’État éventuel, ainsi qu’on a pu le voir en 2008 en Guinée, où quelques heures seulement après l’annonce de la mort de Lansana Conté, une junte dirigée par le tristement célèbre Moussa Dadis Camara s’empressait de prendre le pouvoir.
Cinq ans plus tôt, c’est à Sao Tomé que, profitant de l’absence du président Fradiquo de Menezes en visite au Nigéria, le commandant Fernando Pereira, surnommé « Cobo », dirige un putsch éphémère qui ne durera qu’une semaine. Scénario qui se répète en Gambie, où à la veille de la Saint Sylvestre 2014, des hommes armés tentent un coup d’État alors que Yaya Jammeh se trouve hors du pays.
… car la nature a horreur du vide
La nature a horreur du vide, surtout en politique. Aussi les canaux officiels de communication doivent-ils le combler par des formules et expressions se voulant rassurantes qui peinent parfois à convaincre. « Malaise » et « fatigue » sont les vocables les plus usités pour décrire une condition ayant nécessité une prise en charge médicale impliquant une hospitalisation. Lorsque l’épisode est présenté comme une fatigue « sévère » comme l’a d’abord qualifiée le porte-parole de la présidence s’agissant d’Ali Bongo, on peut soupçonner une intervention chirurgicale.
D’autres signes sont autant révélateurs pour apprécier l’état de santé du président : un temps trop long pour réagir aux rumeurs, l’annulation d’engagements internationaux ou les silences embarrassés du palais présidentiel par exemple, qui dans le cas gabonais est à présent remplacé par la Première Dame qui a pris le relais de la présidence sur la gestion de la communication de crise. C’est l’épouse du chef de l’État qui actuellement, sur Twitter et Facebook, informe sur l’évolution de la situation du président, une manière à la fois d’humaniser et de dépolitiser le sujet. Selon ses dernières publications, Ali Bongo en convalescence reste concentré sur les dossiers prioritaires et devrait tenir très prochainement une réunion avec le Premier Ministre et la garde rapprochée.
Heureux ceux qui auront cru sans avoir vu
L’absence d’images fait elle aussi figure d’indicateur sincère quant à la gravité de la situation. Donné pour mort en 2004, Paul Biya alors en Suisse n’avait pu dissiper les doutes qu’à son atterrissage à l’aéroport de Yaoundé, duquel il s’était fendu de la formule devenue célèbre « Le mort vous salue ! ». Tout aussi caustique, le leader cubain Fidel Castro, victime d’énièmes rumeurs, se moquait dans une vidéo diffusée à la télévision nationale de ses ennemis qui n’auraient, après avoir prématurément déclaré sa mort, d’autre choix que de le ressusciter.
Voulant attester de son bon rétablissement, les services de communication d’Ali Bongo ont amplement relayé les images du président gabonais aux côtés de celui qu’il aime appeler son « Frère », le roi du Maroc, Mohammed VI, venu lui rendre visite.
Les communiqués et tweets invitent à croire une nouvelle, les images y obligent. Faute de preuves irréfutables, visuelles et sonores, les spéculations vont bon train, nourries par ceux que les journalistes aiment à désigner « l’entourage proche » ou « plusieurs sources dignes de foi ».
Dix-huit présidents africains sont décédés dans l’exercice de leur fonction au cours des vingt-cinq dernières années. Dans la majorité des cas, cela a donné lieu à une agitation qui révèle l’urgente nécessité de déconstruire un mythe qui résiste : le chef n’est pas immortel.
afrique.latribune.fr