En fait, comme l’écrit Shâh Waliyyullâh, l’âme humaine « connaît une aspiration naturelle vers Dieu, comparable à l’attirance du fer pour l’aimant » (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 1 p. 204). Ibn ul-Qayyim écrit que le besoin que l’âme a de se tourner vers Dieu n’est semblable à rien de connu sur terre, mais qu’on peut le comparer dans une certaine mesure au besoin que le corps a de se nourrir, de boire et de respirer ; le cœur et l’âme humains ne se tranquillisent qu’au souvenir de Dieu et ne s’apaisent que par Son amour (Ighâthat ul-lahfân, tome 1 p. 49). « Si l’homme pouvait obtenir quantité d’autres plaisirs et de contentements, cela ne durerait pas ; au contraire, il aurait ensuite besoin d’autre chose, et il aurait besoin de se contenter tantôt de ceci et tantôt de cela ; souvent ce qui lui procure du plaisir s’avérera être une des plus grandes causes de déplaisirs » (Ibid.). Shâh Waliyyullâh écrit : « Celui qui a goûté à la douceur de l’invocation de Dieu et a su comment elle lui procurait la tranquillité du cœur (…), nul doute que lorsqu’il se tournera vers les choses terrestres et qu’il vaquera à ses occupations familiales et professionnelles, il oubliera beaucoup et sera comme s’il a perdu ce qu’il avait trouvé (…). Et cela engendra un manquement en lui.
Et si les manquements s’accumulent, il n’y aura pas de voie pour la réussite » (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 2 pp. 189-190). C’est pourquoi le Prophète a enseigné que le croyant devait avoir « un temps et un temps ». Dieu Lui-même dit : « Ecoutez : c’est par le souvenir de Dieu que se tranquillisent les cœurs » (Coran). Dès lors, si l’homme ne se soucie que de sa réussite matérielle, s’il fait du temps de toute sa vie l’occasion de se tourner vers les affaires terrestres, fussent-elles licites, son cœur souffrira de ne pas recevoir la lumière dont il a besoin pour s’épanouir. « Ne parlez pas abondamment sans penser à Dieu ; car parler beaucoup sans aucune pensée pour Dieu est (cause de) dureté du cœur ; et l’homme le plus éloigné de Dieu est (celui qui a) le cœur dur » (rapporté par at-Tirmidhi, n° 2411). « … Ne ris pas trop ; car le rire excessif fait mourir le cœur » (rapporté par at-Tirmidhi, n° 2305).
Il est ici question du cœur spirituel, et « faire mourir ce cœur » signifie « le rendre insensible aux choses spirituelles » (attention, il n’y n’est pas question du seul fait de rire mais du fait de rire excessivement). Le Prophète a dit : « Celui qui s’assoit dans une assemblée et ne pense pas à Dieu, cela sera pour lui [cause de] manquement (« tirah ») de la part de Dieu… » (Rapporté par Abou Daoud, n° 4856). « Pour toute chose il existe un polissage. Et ce qui polit le cœur est le souvenir de Dieu » (rapporté par al-Bayhaqî, cité dans Mishkât, n° 2286). Vaquer à ses occupations terrestres, certes. Mais revenir régulièrement se consacrer aux œuvres purement spirituelles, afin de se recentrer sur la présence de Dieu. « Un temps et un temps. » Sans cet autre temps après le temps passé à travailler, parler, emplir ses yeux et son esprit des dorures de ce monde (« zînat ul-hayât id-dunyâ »), sans ce retour régulièrement effectué vers Dieu, la vie perd son goût et les plaisirs deviennent rapidement monotones : toujours manger, boire, dormir, se laver, travailler, compter son argent, marcher, acheter, à nouveau manger, boire, dormir… ouf… Dieu dit : « Et Celui qui se détourne de Mon souvenir, celui-là aura une vie étroite… » (Coran).
L’étroitesse de la vie dont il est question ici désigne non pas la pauvreté matérielle mais la servitude à la matière, l’absence de liberté intérieure, l’absence de joie profonde. « Malheur à l’esclave de la pièce d’or, malheur à l’esclave de la pièce d’argent » (rapporté par at-Tirmidhî, n° 2375 ; voir aussi ce qu’a rapporté al-Bukhârî, n° 6071). « Un temps et un temps » : Mou’adh dit à son élève : « Asseyons-nous ensemble, ayons la foi un instant » (cité par al-Boukhari, kitab ul-iman). Mou’adh n’entendait pas inviter son élève à avoir les croyances voulues un instant, puisque la présence de ces croyances est requise à chaque instant ; il voulait en réalité inviter son élève à l’accompagner dans sa revivification, dans son cœur, du sentiment de la présence de Dieu ; il parlait en fait de se recentrer sur la présence de Dieu… de se mettre en état de présence… de revenir à l’autre « temps ». Après le temps passé à vaquer à ses occupations terrestres, le croyant a besoin d’un autre temps, d’un temps pour se recentrer profondément sur la réalité de son existence, pour s’imprégner de la présence de Dieu, pour revivifier l’amour qu’il a pour Lui dans son cœur. Ensuite ce croyant retournera à son temps consacré à ses affaires et à sa famille ; lors de ce temps à vaquer à ses occupations terrestres, il sera moins imprégné de la présence divine, c’est sûr – et c’est ce que Hanzala avait ressenti en lui –, mais il ne sera pas coupé de cette présence : même ce temps-là, il le vivra avec les formules