S’intégrant dans une tournée du monde arabo-musulman, la visite officielle de Mohamed Ben Salman à Tunis, première d’un membre de la famille royale saoudienne depuis la révolution de 2011, s’est déroulée de façon convenue, même si elle a dû être écourtée en raison de l’hostilité manifestée par la société civile.
Réduite à une escale à Tunis – marquée par une rencontre au sommet avec le président tunisien, Béji Caïd Essebsi – , la visite officielle d’une journée du prince héritier Mohamed Ben Salman a été écourtée en raison de l’opposition exprimée par la société civile tunisienne. Hier, de nombreuses associations et syndicats ont manifesté pour dénoncer les abus en matière de droits de l’homme. Une position symbolique, sans conséquences sur les relations entre Tunis et Riyad.
Le parti Ennahdha, historiquement proche de la mouvance des Frères musulmans, est l’une des rares formations politiques à avoir pris position. Son député Ajmi Lourimi a ainsi jugé que « cette visite est inopportune » et « qu’elle n’est pas digne d’un État qui se respecte ». Ce voyage a également fourni un prétexte pour raviver les désaccords et les malaises locaux, la venue d’un chef wahhabite remettant publiquement en cause la fin de l’alliance entre le président de la République et les islamistes pro-qataris, dont le parti traverse déjà une période d’extrême tension.
2 milliards de dépôt à disposition de la BCT
Au sein de la population tunisienne, certains s’étonnent et estiment qu’« on ne peut pas ne pas recevoir le gardien des lieux saints », tandis que d’autres auraient voulu une mobilisation similaire lors de la visite du président turc Recep Tayyip Erdogan. Tous rejoignent néanmoins Jamel M’Sallem, président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), pour rejeter « toute forme d’ingérence dans la gestion de notre transition démocratique ».
Beaucoup de bruit pour rien… sauf pour l’État tunisien, pour qui cette visite éclair, selon des sources diplomatiques, est « tout bénéfice ». Si le prince des Saouds a, d’après son cabinet, décliné une rencontre avec le chef du gouvernement Youssef Chahed, il a mis à disposition de la Tunisie 2 milliards de dollars, sous forme de dépôt auprès de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), et s’est engagé à fournir jusqu’à 400 millions de dollars de pétrole à un taux préférentiel.
De tous les États qui s’étaient engagés lors de la rencontre « Tunisia 2020 », l’Arabie saoudite est l’un des rares à avoir tenu ses promesses
Cette aide n’est pas une première, puisque de tous les États qui s’étaient engagés aux côtés de la Tunisie lors de la rencontre internationale des investisseurs « Tunisia 2020 », en novembre 2016, l’Arabie saoudite est l’un des rares à avoir tenu ses promesses de financements en décaissant 500 millions de dollars sous forme de prêt sur 20 ans – ajoutés à cela 200 millions pour la relance de l’exportation, et 100 millions de don. Ces soutiens financiers sont complétés par la fourniture d’équipement militaire – sachant que la Tunisie est membre de la coalition arabe qui intervient au Yémen sous commandement saoudien.
Les sujets clivants soigneusement évités
Pour la Tunisie, qui peine à lever des fonds sur la scène internationale au vu de ses mauvais indicateurs économiques, cette manne tombe à point nommé pour éviter que la crise économique ne vire au conflit social. Elle permet également au pays, qui a développé une dépendance aux bailleurs de fonds internationaux, de diversifier ses sources en renforçant des relations bilatérales.
L’opération apparaît donc couronnée de succès pour la diplomatie tunisienne, qui a bien pris garde de respecter le protocole et de ne pas évoquer les sujets qui fâchent, comme l’affaire Khashoggi et l’extradition de l’ancien président tunisien, Zine el Abidine Ben Ali, hôte des Saouds depuis son départ en exil, le 14 janvier 2011. En 2012, la justice tunisienne avait émis une première demande, restée depuis lettre morte. Autre pomme de discorde, l’égalité dans l’héritage entre femmes et hommes, que Béji Caïd Essebsi voudrait instaurer pour être en conformité avec la Constitution, mais que Riyad réprouve.
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