Puis l’homme interrogea le Prophète sur la foi (iman). Elle consiste, répondit le Prophète, à croire en Dieu, en Ses anges, Ses livres révélés, Ses envoyés, au Jour dernier ainsi qu’à la prédestination. Gabriel s’enquit enfin de l’excellence, la recherche de la perfection (ihsan). « C’est que tu adores Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas certes Lui te voit », lui fut-il répondu.
De la pratique extérieure à une pratique intérieure
Le premier degré, l’islam correspond à la pratique extérieure, physique de la religion, incluant les œuvres d’adoration (‘ibadat) et les relations humaines (mu‘amalat). Il demande avant tout une « soumission » aux prescriptions coraniques et prophétiques. Il est régulé par la jurisprudence musulmane (fiqh).
La foi, iman, a son siège dans le cœur mais, à ce stade, le fidèle se réfère encore à des convictions puisées dans le dogme. La foi est donc orientée et structurée par la théologie.
L’ihsan énonce l’exigence « d’adorer Dieu comme si tu Le voyais » ; nous sommes là au niveau de la contemplation, qui peut donner accès aux secrets cachés dans la lettre du Coran ou dans les rites prescrits par l’islam. Certains oulémas insistent sur le fait que tout croyant ou croyante doit percevoir tôt ou tard, dans l’enveloppe du monde des formes (shari‘a), le cœur de la « Réalité essentielle » (haqiqa).
Le premier pilier, l’attestation de l’Unicité divine (shahada), constitue la charpente de l’islam. Mais qu’est-ce que la reconnaissance de cette Unicité (Tawhid) implique en nous ? En suivant un processus graduel d’intériorisation, nous sommes amenés à passer d’une perception encore extérieure, et donc dualiste de l’Unicité (« je » et le Tawhid, « je » et Dieu), à sa préhension intérieure, unifiante, bref, à l’expérience. Comme le dit le grand juriste et soufi Zakariyya al-Ansari (m. 1520), il nous faut passer de la science extérieure de l’Unicité (‘ilm al-tawhid) à son expérience intérieure (hal al-tawhid).
Les autres piliers – en particulier la prière, le jeûne et le pèlerinage – mettent en œuvre le corps du fidèle. Parfois, la pratique de ces œuvres a cédé au ritualisme et au formalisme gestuel. Pourtant, les rites de l’islam sont avant tout des montures vers les réalités spirituelles. Symboles mis en action, ils trouvent leur première justification dans le souvenir de Dieu (dhikr) qu’ils suscitent. (1)
Une spiritualité pour donner du relief aux normes islamiques
La spiritualité soufie ne fait en définitive que donner du relief aux normes islamiques : comment vivre les symboles utilisés par l’islam ?comment travailler avec les Noms divins ? … Beaucoup de savants ont ainsi cherché, à une étape ou une autre de leur vie, à spiritualiser leur vécu de l’islam.
La réalisation spirituelle ne consiste pas en une pratique accrue des piliers, mais en un éveil intérieur qui éclaire leur sens. Le Prophète a dit à ses compagnons, selon un hadith rapporté par Tirmidhi : « Abu Bakr ne vous devance pas par un surcroît de prière ou de jeûne, mais par quelque chose qui s’est déposé en son cœur. »
(1) René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, 1983, p. 119
Conscience soufie organise, samedi 4 mai, une conférence sur le sens intérieur des cinq piliers de l’islam.
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Président de la Fondation Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du soufisme, professeur à l‘université de Strasbourg. Il travaille également sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a notamment publié L’islam sera spirituel ou ne sera plus (Le Seuil, 2016) ; Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014) ; Le Soufisme (Eyrolles, 2013).