21 IDEES QUI VONT CHANGER L’AFRIQUE EN 2021 (Première partie)

 

Touché – durement – mais prêt à rebondir, le continent devrait rattraper cette année les pertes de 2020. Voici la contribution de jeune Afrique à cet effort de relance avec une liste de mesures aussi innovantes que nécessaires.

En quelques mois, la production économique subsaharienne de 2020 a été amputée de l’équivalent des PIB cumulés de la Côte d’ivoire, de la RD Congo et du Sénégal. Le nord du continent affronte, lui, une rare dégradation de sa balance extérieure (-7,6 % du PIB). Pour autant, la prédiction d’avril d’Alioune Ndiaye, DG d’Orange Moyen-Orient et Afrique. (« Je ne crois pas que le coronavirus sera la catastrophe décrite »), a été presciente. Malgré la récession observée la première en une génération au sud du Sahara, le continent est paré pour rattraper dès l’an prochain les pertes de cette étrange année 2020. Celle des « déjeuners Zoom » et des funérailles « distanciées ». Pour aider à accélérer cette reprise, nous avons interrogé plusieurs dizaines de leaders du business et de l’économie en Afrique sur le principales idées et recommandation (politique économique, gouvernance finance, technologie, société…) pour l’année à venir. Nous en avons sélectionné 21, chiffre porte-bonheur au blackjack mais aussi l’âge de la majorité dans une demi-douzaine de pays africains. Chance et maturité, peut-on espérer de meilleurs augures pour l’Afrique en 2021 ?

1-Créer de la monnaie

À l’instar de l’Europe et des États-Unis en 2008, le continent pourrait bénéficier grâce au FMI du programme d’émissions de droits de tirages spéciaux (DTS), échangeables contre des devises, sans que cela n’aggrave l’endettement public (56 % du PIB africain en 2018). La Chine, dont le yuan fait partie du panier de devises des DTS, pourrait être un allié face à la réticence américaine. En parallèle de l’annulation complète ou partielle de la dette extérieure (500 milliards de dollars), les pays pourraient alléger l’endettement intérieur (50 % de la dette africaine) en négociant un allongement de la maturité et une baisse des taux d’intérêt.

2-Cartographier le potentiel géothermique du continent

15 000 MW rien qu’en Afrique de l’Est. C’est la capacité énergétique que pourrait générer la géothermie dans cette région, selon l’Union africaine. Pour l’heure, seul le Kenya (qui figure dans le top 10 mondial des produc­teurs d’énergie géothermique) a sauté le pas, près de la moitié de sa consom­mation électrique étant assurée par cette énergie propre, fiable et compéti­tive. Mais des projets sont en cours en Éthiopie, Égypte, Érythrée, Ouganda, Tanzanie et à Djibouti. Établir une carte des ressources à exploiter per­mettrait d’en faire émerger d’autres et de motiver les investisseurs.

3-Accélérer la production africaine de médicaments

L’idée, née bien avant le Covid, est plus que jamais d’actualité. La production pharmaceutique africaine représente 3 % du total mondial, et le continent importe 70 % de ses besoins. En juin2020, a été lancée la Plateforme africaine de fournitures médicales (par le CDC Afrique, Afreximbank et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique). Un Plan de fabrication pharmaceutique pour l’Afrique (PMPA), approuvé par l’Union africaine en 2012, doit bénéficier du lancement attendu de 1 Agence africaine du médicament (AMA). À terme, 16 pays africains ont signé le traité instituant l’AMA, dont l’Algérie, le Maroc et le Sénégal. Si quelques pays seulement – Maroc, Algérie, Tunisie, Afrique du Sud, Kenya et Sénégal disposent d’une industrie du médicament, le coronavirus devrait accélérer l’essor de la production locale. Le chinois Fosun Pharma et le tunisien Saiph construisent chacun une usine de génériques en Côte d’ivoire. L’indien Africure veut s’étendre au Burkina Faso, en Éthiopie et au Zimbabwe ; le français Servier (via sa filiale Biogaran) en Afrique de l’Ouest ; CFAO dans le mondé anglophone et en Algérie.

4-Une banque de gènes pour définir la médecine du futur

À 35 ans, Abasi Ene-Obong est en passe de régler plusieurs enjeux de la recherche médicale africaine et mondiale. Avec sa start-up 54gene, l’entrepreneur nigérian veut consti­tuer la plus grande banque de génomes africains du monde. Son travail de séquençage met l’Afrique sur le devant de la scène médicale. Il participera non seulement au développement de produits adaptés aux populations du continent mais aussi à enrichir consi­dérablement la recherche mondiale en thérapie génique grâce à l’apport d’informations dont elle ne disposait pas jusqu’ici, faute de laboratoire et de données disponibles sur place. Ces travaux devraient surtout participer au futur de la médecine qui tend de plus en plus vers des traitements conçus d’après l’ADN de chacun. Et permettre notamment de mieux maîtriser les ARN messagers, ces « photocopies » de notre ADN utilisées dans les futurs vaccins contre le Covid-19.

5-Créer une union économique sur le riz

C’est une solution concrète pour renforcer le secteur agricole et l’intégration continentale. De la même façon que l’Europe a amorcé sa construction par l’intermédiaire de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), l’Afrique aurait intérêt à commencer son intégration par un marché précis et clé pour elle. Dans ce cadre, le choix du riz, céréale très consommée mais largement importée, s’impose. Cette proposition audacieuse en appelle une autre : instaurer, dans les nombreux pays où ce n’est pas encore le cas, une TVA sur les produits agricoles. Imposée par la loi, cette taxation ne s’applique qu’à partir d’un certain niveau de chiffre d’affaires (c’est le seuil d’assujettissement). Autrement dit, elle met à contribution les grands acteurs, notamment les importateurs, sans toucher les petits producteurs locaux, qui sont ainsi protégés des importants. Une pratique qui génère des recettes publiques et favorise la production nationale.

6-Développer un système digital de protection sociale

La crise a accéléré la « digitalisation » des offres de services publiques. Le service de transferts sociaux sur mobile Novissi du Togo, lancé en avril 2020, a reçu les louanges du FMI. Il en va de même des « crédits numériques » accordés au Gabon et au Sénégal aux populations les plus vulnérables pour le règlement de factures. Plus largement, Libreville a déjà développé une offre de sécurité sociale combinant solutions biométriques et cartes à puce, tandis que Lomé a lancé une agence d’identifica­tion biométrique. L’Afrique du Sud et la Namibie ont également suivi cette voie. Le grand modèle reste le pro­gramme d’identification biométrique « Aadhaar », en Inde, qui pourrait faire des émules…

7-Adopter un Sherman Act africain

Pour nombre d’économistes, c’est la mesure devant accompagner l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Si l’ouverture des frontières, est indispensable, l’organisation de la concurrence – par l’intermédiaire de l’adoption d’une loi antitrust sur le modèle de la règlementation américaine de 1890, toujours en vigueur l’est tout autant. Accompagnée de la création d’une agence de la concurrence, elle permettrait démonopolisation des économies, notamment au Maghreb, mais aussi encadrement des opérations de fusion et de rachat. L’échelon supranational doit assurer une certaine indépendance vis-à-vis des intérêts locaux.

8-Créer une plateforme continentale en ligne d’accès à des contenus académiques

La crise du Covid-19 a démontré l’attractivité de l’enseignement à distance Autant que les faibles capacités des pays africains, à terme, à répondre à cette demande. Des efforts louables ont été menés pour faciliter l’accès à la recherche africaine, par l’intermédiaire de l’African. Education Research Database, géré toutefois depuis le Royaume-Uni. L’université panafricaine – soutenue par l’Union africaine et qui compte quatre campus à Ibadan, près de Nairobi, à Ibadan, près de Nairobi, à Tlemcen, à Yaoundé et à Buea – a lancé au début de 2020 son offre de cours en ligne, avec cependant des débuts affectés par la pandémie. Mais ces initiatives ne ciblent que l’enseignement tertiaire, négligeant les cycles primaire et secondaire, ainsi que la formation technique…

9-Impliquer la Zlecaf dans toute négociation commerciale

Un pays membre de la Zone de libre- échange commerciale africaine doit informer ses pairs et leur faire bénéficier des conditions les plus favorables contenues dans tout nouvel accord bilatéral conclu – la « clause de la nation la plus favorisée ». Paradoxe : aucun mécanisme contraignant n’existe aujourd’hui permettant à la Zlecaf d’intervenir en amont, durant les négociations commerciales avec les partenaires extérieurs. Avancée importante, cependant, les négociations tarifaires pour l’implémentation de la Zlecaf impliquent désormais les communautés économiques régionales (CEDEAO, CAE), forçant les États africains à soumettre leurs propositions tarifaires à travers leurs unions douanières et non plus individuellement.

10-Créer une agence de notation panafricaine

Pas nouvelle, l’idée gagne du terrain, y compris dans certaines discussions de couloir du FMI. Une réaction aux critiques croissantes adressées aux mastodontes de la notation Fitch, Moody’s et S&P, accusés d’empêcher la relance des économies africaines et même d’en pousser certaines vers le défaut. Seule une agence d’envergure panafricaine permettrait de faire entendre une autre voix. Un projet qui pourrait se concrétiser rapidement, un rapprochement entre deux agences, l’une ouest-africaine et l’autre sud-africaine, étant dans les tuyaux.

11-Drones et images satellites comme outils agricoles de base

Lutte contre les criquets pèlerins, traçabilité des fèves de cacao, cartes de fertilité des sols, usage raisonné de l’eau et des engrais… Ce ne sont que quelques exemples d’utilisation des drones et des images satellitaires déjà à l’œuvre dans le domaine agricole sur le continent. Vu les gains de productivité engendrés et la réduction du coût de ces équipements, on peut parier sur leur essor rapide au profit d’une agriculture « de précision ». La Banque africaine de développement a conclu un projet de formation de 40 pilotes de drones en Tunisie quand la plateforme togolaise E-Agribusiness (l’une des nombreuses présentes sur le continent) a signé un accord avec le chinois Quan Feng Aviation pour créer, au Togo, un centre de formation de pilotes pour l’Afrique de l’Ouest,

12-Multiplier les « scaling solar », encourager la production locale

Concevoir, financer et réaliser des projets de centrales solaires sans attendre qu’ils émergent d’eux-mêmes. Telle est l’approche d’IFC, branche de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, avec s’on programme « scaling solar ». Fort de son succès, il s’étend sur le continent. D’où l’idée de le décliner dans d’autres secteurs clés : l’agroalimentaire afin d’encourager la production locale de poulet par exemple, l’immobilier pour favoriser la construction de logements sociaux et durables, la santé et l’éducation pour créer des solutions d’e-formation et d’e-médecine.

13-Généraliser les contrats de performance

Le Rwanda en a fait la colonne vertébrale de son administration. Portant le nom d’« Imihigo », ils fixent des objectifs annuels à chaque fonctionnaire et donnent lieu, tous les ans, à un classement des districts les plus vertueux. Mais les contrats de performances, s’ils se développent dans la fonction publique, s’imposent aussi dans les relations entre États et entreprises privées. Récurrents dans le secteur énergétique, ils doivent être étendus aux autres secteurs. Une garantie d’efficacité et d’équilibre du rapport des forces entre les parties prenantes.

 

Jeune Afrique N°3096-janvier 2021 page 42 à 47