Maladie, précarité, deuil… Le Covid-19 a fait basculer la vie de ces onze Français. Ils ont accepté de raconter ce que le virus et la crise leur ont pris.
Un an après les débuts de la pandémie, chacun a perdu un petit bout de soi : sa vie sociale, sa santé, son emploi, un être aimé… Parfois même, le goût de vivre. Derrière les chiffres de l’épidémie, il y a toutes ces vies chamboulées, parfois brisées. Onze Français racontent comment le Covid-19 a ébranlé leur existence.
57 ans, c’est un peu jeune pour mourir
Claude. 57 ans, dirigeant d’une entreprise de bâtiment dans le Val-d’Oise
Je me sens de mieux en mieux, mais il peut encore m’arriver, sans même faire d’effort, d’avoir du mal à respirer. Mon médecin m’a dit qu’il me faudrait un an pour me remettre. Je l’accepte, pour la simple et bonne raison que je suis vivant.
On m’a diagnostiqué un cancer en octobre 2019. Une tumeur aux testicules, retirée par une opération, puis trois séances de chimiothérapie, entre février et avril. Chaque fois que j’allais à l’hôpital, je me disais : « Pourvu que je n’attrape pas le Covid-19. »
Après mon dernier séjour, la guérison de mon cancer semblait en bonne voie. En fait, cette dernière séance a failli être fatale. Ma chambre d’injection s’était infectée. De retour à la maison, j’ai fait une poussée de fièvre. Enfin, un test du Covid-19 est revenu positif. Mes défenses immunitaires étaient à zéro. J’ai été intubé trois jours plus tard et placé 58 jours dans le coma. Je suis passé très près de la mort.
Le réveil, en juin, a été difficile. Mes membres ne fonctionnaient plus, j’avais perdu 65% de ma masse musculaire. Impossible de me dire : « Je suis sauvé. » Les cauchemars étaient quotidiens. Je pensais au pire, à la mort de mon père d’une tumeur au cerveau, à celle de mon frère. J’avais peur. La mort était tout près, et je n’étais pas sûr d’être vivant.
Tout s’est libéré quand j’ai revu mon oncologue. J’ai appris que j’étais guéri, une semaine après ma sortie de l’hôpital. Je sais que je reviens de loin. 57 ans, c’est un peu jeune pour mourir.
Avec la première vague, j’ai atteint mes limites
Marie. 39 ans, psychologue clinicienne à Paris
Quand l’épidémie est arrivée, j’étais psychologue clinicienne dans un Ehpad du 20e arrondissement, à Paris. J’ai toujours aimé travailler dans ce milieu : j’y suis arrivée par hasard, au tout début de ma carrière, et je n’avais jamais envisagé d’en partir. Avec la première vague du Covid, j’ai atteint mes limites.
Dans notre établissement, c’est arrivé très vite. Les premiers résidents ont développé des symptômes, c’était évident que c’était ça, mais on n’avait pas de tests et aucun matériel de protection. Les infirmières s’occupaient des résidents sans masque, c’était sidérant. Elles appelaient la direction en pleurs en leur disant : « On va tomber malade. » On nous répétait que « les masques ne servent à rien », en reprenant bêtement le discours des politiques. Qui a pu croire ça ?
Je me souviens d’un monsieur : il était dans un couloir le vendredi, mal en point, il a été hospitalisé le lundi et le mercredi, il était mort. La fin de vie, la mort, c’est notre quotidien, mais là, tous nos repères étaient bouleversés. Au pic de l’épidémie, on a eu trois ou quatre décès par jour. La gestion des dépouilles était horrible : tous les rites ont disparu. Il ne s’agissait plus de corps de personnes décédées, mais de corps contaminés dont il fallait se débarrasser.
Le pouvoir de l’institution sur les vies des résidents m’a énormément choquée. Du jour au lendemain, des familles n’ont plus eu le droit de voir leurs proches, comme si c’était normal. Des gens sont morts sans avoir jamais revu leurs enfants. Je me suis projetée et identifiée. Je me demandais : « Si c’était ma mère, est-ce que je pourrais accepter de ne plus la revoir ? »
L’épidémie a été un triste révélateur de tout ce qui n’allait pas. J’ai espéré, peut-être naïvement, que les choses changeraient une fois la première vague passée, qu’il y aurait une forme de revalorisation des métiers en Ehpad, qu’on prendrait conscience que le traitement des patients est indigne. Mais tout est reparti comme avant et je ne peux pas accepter cela. J’ai donné ma démission fin octobre, non sans regret. J’ai l’impression de prendre la fuite, mais je me suis toujours dit que quand je tolérerais l’intolérable, je devrais partir.
Pour vivre, je dépends de mon fils de 20 ans
Marc. 58 ans, maître d’hôtel en « extra » dans les Alpes-Maritimes
J’ai tout perdu avec le Covid : mon boulot, ma femme… Ma dignité, même. Avant l’épidémie, j’étais maître d’hôtel en « extra » dans les grands palaces de la Côte d’Azur. Je faisais du service en salle, de la direction de serveurs, du rangement… Mais quasiment tous les événements sur lesquels je devais travailler en 2020 ont été annulés. Je suis passé de 3 500 euros par mois à quelques centaines d’euros, voire zéro.
Pendant 30 ans, on nous a dit qu’on avait besoin de nous, les « extras », que la flexibilité était un atout pour les entreprises. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait pour nous ? Rien ! Je n’ai pas accumulé assez de jours de travail pour toucher l’allocation de solidarité spécifique, mais je n’ai pu toucher le revenu de solidarité active qu’en septembre, car j’avais trop gagné en début d’année. Pourtant, il n’y a plus un palace, plus un restaurant, plus un snack qui m’emploie. Je postule partout : chauffeur, livreur de pizza, préparateur de commande… Mais j’ai 58 ans, personne ne me rappelle.
Ça fait quatre mois que je n’ai pas payé mon loyer, je suis constamment à 3 000 euros de découvert. Pour vivre, je dépends de mon fils de 20 ans, qui est mécano. Et puis je fais des petites magouilles à droite à gauche. C’est pas toujours légal, mais qu’est-ce que j’ai à perdre ? Ils n’ont qu’à m’envoyer en prison ! Au moins, j’aurais le gîte et le couvert.
Pendant le confinement, ma femme m’a quitté. Elle en avait marre de cette vie de merde. Tout n’était pas rose avant le Covid, mais avec une situation financière pareille… Pour la première fois de ma vie, je mange grâce aux Restos du cœur. Vous imaginez ? J’ai servi dans les plus grands restaurants… C’est tellement humiliant.
Ce serait bien que le gouvernement nous entende : on a manifesté gentiment dans la rue, envoyé des dizaines de lettres aux députés, etc. Mais quand on a faim, on finit par mordre la main qu’on nous tend.
J’ai fait une bouffée délirante
Cannelle. 20 ans, étudiante en Seine-Saint-Denis
C’était fin mars. Il y avait comme une ambiance de fin du monde. Je n’avais jamais eu de problèmes psychiatriques jusque-là. Le manque de sommeil et le contexte anxiogène du confinement ont joué. J’ai fait une bouffée délirante.
Ça a commencé après une dispute avec mon compagnon. L’enfermement a été l’autre déclencheur. J’étais confinée avec une amie dans mon studio. On s’amusait, j’étais survoltée, je criais. C’était comme un mécanisme de défense.
Je n’avais pas dormi depuis une semaine quand cette bouffée délirante est arrivée. Après minuit, je suis sortie pour rejoindre mon compagnon. Je hurlais sur les gens qui croisaient mon chemin. Quand il m’a ramenée chez moi, je n’ai pas dormi. Mes cris devenaient insupportables pour mon amie, qui est partie. Un voisin a tenté de me calmer le lendemain matin et je l’ai repoussé, un peu violemment. D’autres voisins ont tenté de m’apaiser sans y arriver. J’ai tenu un discours à la fenêtre, comme si j’étais « l’élue », celle qui allait réconcilier les chrétiens et les musulmans. Le concierge a appelé les pompiers. En partant avec eux, je pensais être en route vers le paradis.
Aux urgences, ce jour-là, on m’a diagnostiqué « un trouble de l’humeur ». J’ai été hospitalisée 24 jours. Comme nous étions en pleine épidémie, j’ai été placée à l’isolement pendant deux semaines. Entre quatre murs, coupée du monde. La période la plus horrible de ma vie. On m’a parlé de bipolarité, avant même de m’avoir vraiment écoutée. Pourquoi ne s’est-on pas davantage penché sur mon cas avant de m’enfermer ?
C’est devenu plus vivable quand j’ai pu sortir fumer, parler avec d’autres patients et les soignants, qui étaient rassurants. Pourtant, je ne comprenais pas ce que je faisais là. Je me sentais en danger, et j’avais peur d’y rester toute ma vie.
Avant ma crise, j’avais cette joie de vivre, cette ambition. En sortant de l’hôpital, j’étais comme une morte-vivante. Aujourd’hui, j’arrive à fonctionner, à parler. Mais j’essaie de ne plus jamais rester seule.
Papa est mort seul dans son lit
Julie. 37 ans, directrice de mission dans les Hauts-de-Seine
Papa est mort seul, à 67 ans, dans son lit. Fin mars, alors qu’il était malade depuis plusieurs jours, il a appelé le Samu et le 112, mais on l’a renvoyé vers son médecin traitant. Le docteur a considéré que son état n’était pas critique et ne lui a proposé qu’une téléconsultation trois jours plus tard. Papa est parti le lendemain.
Il a été mis sous une bâche, sans toilette funéraire. Il a été incinéré le jour de son décès, sans notre consentement, à mon frère et moi, qui sommes ses ayants-droits. C’est comme si on nous l’avait volé une seconde fois. Nous avons dû attendre 87 longs jours avant de pouvoir lui rendre hommage en organisant des obsèques.
Depuis son décès, je perds pied : je fais des cauchemars, je rêve que j’appelle au secours, qu’on m’aide, qu’on l’aide… Je ne me souviens pas de la dernière fois où on a parlé. J’oublie son visage, sa voix. J’ai pris contact avec l’association Empreintes, qui accompagne les personnes en deuil, et je suis suivie par un psychiatre. J’ai finalement repris le travail à temps plein le 31 août, après trois mois d’arrêt maladie puis un mois de temps partiel thérapeutique. J’admire mon frère qui est soignant comme l’était mon père : il n’a jamais cessé le travail.
J’ai porté plainte contre le gouvernement, non pas pour l’argent ou pour couper des têtes, mais pour essayer de comprendre. Je ne peux pas accepter qu’on ait laissé crever des milliers de personnes chez elles, en France, en 2020, dans l’indifférence la plus totale. Mon père ne méritait pas de partir comme ça. J’ai besoin de réponses pour avancer, mais je sais qu’il ne faut pas que je fonde tout mon processus de reconstruction sur la justice, car elle prend trop de temps. Aujourd’hui, tout le monde a besoin de reprendre une vie normale, mais je ne suis plus sûre de pouvoir vivre comme avant. Je suis comme en suspension, spectatrice de ma vie.
Pour moi, trois jours s’étaient écoulés. En fait, j’avais passé deux mois en réanimation
Nassira. 51 ans, en recherche d’emploi à Montreuil
Je suis montée dans une ambulance en mars. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé après. Quand j’ai ouvert les yeux, mon frère et mon mari m’ont demandé si je me souvenais d’eux. Ma voix ne sortait pas. Je ne bougeais pas, je ne sentais rien. Pour moi, trois jours venaient de s’écouler. En réalité, nous étions en juin et j’avais passé deux mois en réanimation et subi une trachéotomie à cause du Covid-19.
Il m’a fallu plusieurs semaines avant de pouvoir parler à nouveau. La première fois que j’ai tenu debout, j’avais comme des poids de 200 kilos sur chaque pied. En réadaptation, j’entendais « essayez de faire un pas », mais je répondais « non, non ». Je me sentais comme invalide : je faisais un pas et je voulais m’asseoir. Tout le monde me disait « tu vas marcher, tu vas rentrer chez toi », mais il m’était impossible d’y croire. Mes pieds étaient morts et je ne me sentais pas vivante.
Je suis sortie le 10 août, après plus de quatre mois à l’hôpital. Désormais, je suis là, je vis et c’est l’important. J’ai progressé, mais je me sens mal. Avant la maladie, j’adorais le trekking. Moi qui aime tant marcher, aujourd’hui cela peut me faire pleurer de douleur. La première fois que j’ai voulu monter sur un trottoir, après la réanimation, ça a été un enfer. J’ai tenté une fois de plier mes jambes pour me baisser, je suis tombée.
Et ma voix… Une ou deux fois par semaine, elle ne sort pas, il n’y a pas de son. Je dois écrire un message à mon mari, utiliser une cloche pour appeler mes filles dans le salon. Quand je dois faire des démarches, je suis forcée d’écrire ce que je voudrais pouvoir dire. J’ai la sensation qu’on ne m’écoute pas.
Sans pouvoir crier ni courir, je me sens vulnérable. Pourquoi je suis encore affaiblie, pourquoi je ne suis pas encore guérie ? C’est comme un arrêt de ma santé. Ce n’est pas mon corps, ce n’est pas moi.
Quand j’ai remis les pieds aux urgences, ça m’a fait un choc
Fabien. 47 ans, infirmier hospitalier à Marseille
Retrouver la folie des urgences en pleine pandémie a créé une prise de conscience très forte chez moi : ça m’a aidé à faire mon deuil et à tourner la page. J’y avais travaillé onze ans, jusqu’en 2019, au CHU de la Timone, à Marseille. C’est comme une famille pour moi. Les urgences, tous mes amis y travaillent. Juste avant la crise, j’avais pris la décision de changer pour un service plus tranquille, avec une charge de travail plus contrôlable. A 47 ans, c’était le moment pour moi d’accorder plus de temps à mes filles, dont je m’occupe en garde partagée.
Le problème, c’est qu’une fois arrivé dans ce nouveau service, je n’ai pas pu décélérer : j’en faisais trop, je faisais des heures supp’, je donnais de mauvaises habitudes à mon service. J’étais accro au rythme des urgences, à l’adrénaline que ça procure. Alors à la mi-mars, lorsque l’épidémie a commencé à prendre de l’ampleur, qu’il manquait du personnel, ça a été une évidence. J’y suis retourné.
Quand j’ai remis les pieds aux urgences, ça m’a fait un choc : les conditions de travail difficiles, le manque de matériel, le stress permanent… Ça m’a sauté au visage au bout de quelques heures. Je voyais les collègues cavaler et je me suis dit : « En fait, on est complètement fous. » Ils allaient vite, trop vite, sans prendre le temps de se protéger correctement. Je trouvais qu’ils prenaient trop de risques. On voyait des gens mourir tous les jours. C’était dur.
Je n’y suis pas retourné pour la seconde vague : le coût physique et psychique est trop lourd.
J’ai compris qu’il ne me restait plus beaucoup de temps à vivre
Joëlle. 65 ans, retraitée à Grenoble
Les premières semaines du confinement ont été terribles. Je me suis sentie vulnérable. Ma belle-mère a 89 ans et tout d’un coup, moi, à 65 ans, je me retrouvais dans le même sac qu’elle. Pour la première fois, j’ai compris que j’avais franchi un palier : je faisais partie des seniors. Franchement, au début du confinement, j’ai eu l’impression que je vivais dans un monde parallèle, comme dans les bouquins de Stephen King. J’avais mal partout, d’angoisse. Je suis une grande anxieuse. J’ai vraiment cru que j’allais mourir.
Et puis je me suis forcée à faire un gros travail psychologique et j’ai relativisé : je sortais tous les jours durant l’heure accordée. C’était beau, c’était calme. Je pense que cela m’a apaisée. Surtout : j’ai eu l’impression que le monde se mettait enfin à notre rythme, à mon mari et moi. On vit avec 1 000 euros par mois. On a un petit appartement, donc on ne reçoit jamais personne. On fait très peu de sorties : on ne va jamais au cinéma, jamais au théâtre. J’ai lu énormément, j’ai réécouté tout Pink Floyd. Je suivais l’actu, je me reposais. Mon beau-frère me disait : « Qu’est-ce qu’on s’emmerde ! » Et là, j’ai compris que j’avais un « plus » par rapport à beaucoup d’autres, que j’ai découvert grâce au confinement : je ne sais pas ce que c’est que s’ennuyer.
J’ai aussi compris qu’il ne me restait plus beaucoup de temps à vivre, que la vie est courte. Alors je ne m’embête plus à faire ce qui ne me plaît pas. Je ne vais plus aux réunions de familles qui m’ennuient terriblement. Je dis ce que je pense, je fais ce dont j’ai envie. Je vais à l’essentiel. Je n’ai plus de temps à perdre.
A la rentrée, tout le monde s’est remis en mouvement, sauf moi
Laëtitia. 39 ans, professeure à Créteil
Début mai, l’hôpital dans lequel je devais être hospitalisée trois semaines plus tard pour des tests relatifs à ma myopathie m’a annoncé que les examens seraient repoussés de « quelques mois » à cause du Covid-19. De façon très froide, très factuelle, par quelqu’un qui avait probablement passé 12 autres coups de fil semblables dans la journée. J’étais abasourdie. Combien de temps ça dure, « quelques mois » ?
Mon hospitalisation a été reportée de cinq mois. Cinq mois d’inconnu et de questionnements supplémentaires sur une maladie découverte en janvier mais qui n’a pas de diagnostic définitif. Je suis prof d’anglais, en arrêt maladie depuis octobre 2019. Est-ce que je pourrai recommencer à enseigner ? Cela signifiait aussi cinq mois sans traitement ni suivi médical autre que celui de ma généraliste, avec des doses accrues de morphine deux fois par jour pour estomper des courbatures de plus en plus violentes, la fatigue musculaire qui m’empêche de rester debout, l’envie d’être amputée au niveau des mollets pour avoir marché 25 minutes à pied…
Sans nouvelles de l’hôpital à la fin de l’été, j’ai fini par les harceler par téléphone pour avoir un rendez-vous. Je m’en veux. De quel droit je râle ? Il y a des gens qui sont en train de mourir du Covid-19 ! C’est violent de devoir mettre ma myopathie en avant, ça me rappelle tout le temps que je suis malade.
A la rentrée, tout le monde s’est remis en mouvement, sauf moi, toujours en arrêt maladie. Entre le Covid et l’assassinat de Samuel Paty, j’étais frustrée de ne pas pouvoir aider mes collègues. C’était très dur de savoir que la cohorte d’élèves que je connais depuis des années allait peut-être quitter le collège sans que je puisse les revoir.
J’ai été hospitalisée fin octobre. Les médecins ne savent toujours pas ce que j’ai exactement, mais j’ai des séances de kiné pour rééduquer mes muscles. On me dit qu’à terme, je pourrai de nouveau enseigner. C’est un immense soulagement.
Un médecin a dit qu’il ne savait pas si je passerais la nuit
Hugues. 22 ans, étudiant à Paris
Les premiers symptômes sont apparus en mars, avant de disparaître en deux semaines. J’ai recommencé à me sentir mal un jeudi après-midi, fin avril. Un mal de ventre comme je n’en avais jamais connu m’a conduit aux urgences. J’avais du mal à respirer, je ne pouvais plus bouger. Un second test m’a déclaré positif au Covid-19. Le soir où je suis entré en réanimation, ma fièvre était à 42 °C, ma tension à 4, mon pouls à 160.
J’étais l’un des rares patients encore conscients. Depuis mon lit, je voyais une personne très âgée. Un soir, toutes ses machines se sont mises à sonner. Médecins et infirmiers se sont empressés d’arriver pour l’emmener. Elle n’est jamais revenue. Je me suis rendu compte que c’était peut-être la fin quand un médecin a dit qu’il ne savait pas si je passerais la nuit. J’étais terrorisé à l’idée de m’éteindre, seul, dans cette chambre.
En sortant début mai, après huit jours en réanimation, j’ai tenté de reprendre une vie normale. Il ne fallait plus y penser. C’est là que sont arrivés les cauchemars, presque toutes les nuits. J’avais peur de m’endormir. Quelques semaines avant, on m’avait dit que je n’allais peut-être pas me réveiller. Je rêvais de machines sonnant dans tous les sens, de l’infirmière appelant le réanimateur. Un soir, j’ai fondu en larmes devant mes parents. Leur parler m’a aidé.
C’est une forme de stress post-traumatique. Dès que j’entendais parler du Covid-19, ou d’une personne en danger, je me sentais très mal. J’ai eu plusieurs crises d’angoisse, comme ce trajet dans un métro bondé, où la plupart des gens n’avaient pas de masques. J’ai fini en taxi. Le souvenir de la réanimation ne me provoque plus d’insomnies, mais j’angoisse un peu face aux cas qui augmentent. Tout le monde n’en sort pas indemne.
Le virus a semé des petites graines, il est allé partout
Anne. 56 ans, artiste peintre et salariée d’un magasin en Moselle
Ce virus a volé plus de sept mois de ma vie. Au début, mon médecin me répétait que j’allais guérir. Aujourd’hui, il n’en est plus sûr. Chaque soir pendant le premier confinement, nous nous retrouvions devant nos portes avec nos voisins. Tous me disaient que j’avais de la chance : j’avais eu le Covid-19 avec peu de symptômes. Quelques acouphènes, puis un mal de gorge et de la toux. On me voyait immunisée en sortant de ce confinement. En fait, le virus a semé des petites graines. Il est allé partout.
Je sentais mes poumons quand je respirais, comme si quelqu’un était assis sur ma poitrine. Par moments, je ne pouvais rien faire tellement j’étais fatiguée. Ces symptômes apparus en avril sont revenus un jour vers la fin de l’été et ne m’ont plus quittée.
Dans cette nouvelle vie, je ne pouvais plus faire qu’une chose : me reposer. Je me levais le matin sans aucune énergie. En faisant le ménage ou du bricolage, je me sentais normale, mais je tenais deux, trois heures, jamais plus. Un jour, déplacer un gros pot de fleur dans mon jardin m’a fait mal de l’estomac à la gorge. Et quand je gardais ma petite fille, j’avais l’impression d’être une « Nanou » de 80 ans, plus sa « Nanou » de 56 ans. Moi qui faisais du sport quatre ou cinq fois par semaine, je me demandais si j’arriverais à faire le moindre petit geste du quotidien.
Je commence à sortir la tête de l’eau, à retrouver des gestes simples. La kinésithérapie me fait beaucoup de bien. Mais je n’ai aucune réponse. Devant chaque médecin, je suis comme face à un mur. J’ai eu les larmes aux yeux quand un pneumologue m’a lancé : « Le mal aux poumons, ça n’existe pas ! Arrêtez d’y penser. Reprenez une vie normale. »
Une vie normale… J’en rêve. J’ai demandé à mon médecin l’autorisation de retourner travailler après le deuxième confinement. Il a refusé. Le jour où je reviendrai à mon poste, cela voudra enfin dire que je ne suis plus malade.