Al-Qandusi, le calligraphe au miroir du Prophète

rancesco Chiabotti profite du mois du Mawlid pour sortir de l’ombre une grande figure de maître soufi méconnu, calligraphe, herboriste et médecin à Fès au XIXe siècle. Pour Muhammad Ibn Qasim al-Qandusi, personnage hors du commun, la calligraphie est une voie initiatique qui émane directement du Prophète et reflète la Réalité muhammadienne. Un public averti a découvert, à l’occasion du Festival Soufi de Paris, l’art étonnant et subtil de ce maître majdoub et malamati qui a consacré sa vie à voir le Prophète et à le faire voir.

Francesco Chiabotti est maître de conférences en islamologie à l’INALCO. Il est actuellement membre du projet international ANR-DFG « PROPHET – Muhammad au miroir de sa communauté » qui essaie de saisir la relation que les musulmans ont développé avec leur Prophète dans l’islam moderne et contemporain

Saphirnews : Qui était al-Qandusi et qu’est-ce qui a éveillé votre intérêt pour ce calligraphe ?

Francesco Chiabotti : Dans le cadre du projet « Prophet », on essaie d’étudier la place du Prophète Muhammad dans tous les domaines, religieux, artistique, littéraire, anthropologique. Je me suis penché sur le volet art et j’ai découvert chez al-Qandûsî toute une doctrine sur la haqiqa Ahmadiyya, un aspect ésotérique du Prophète.

J’ai été attiré par certaines de ses calligraphies, très connues au Maroc, bien que l’auteur soit ignoré. Il y a un immense tableau dans la zaouia de Moulay Idris, une calligraphie monumentale du nom de majesté (ism al jalâl) : Allah.

Muhammad Ibn Qasim al-Qandûsî (m. 1861) est un calligraphe et un grand maître soufi. Il est né à Kenadsa près de Béchar, dans le désert, où il a été éduqué dans la grande zaouia Shadhili qadiri. Au cours de sa hijra, il s’arrête à Fès, et après la permission de « son Maître le Prophète », il se marie et travaille comme herboriste et calligraphe dans le souk. Il enseigne dans la zaouia de Moulay Idriss. Maître soufi Shadhili qadiri nasiri, al-Qandusi est au-delà des voies, au centre de plusieurs cercles d’initiés des milieux savants et des corps de métiers.


Quelle est son originalité en tant que calligraphe ?

Francesco Chiabotti : Son style, issu du maghribi est tout à fait original : le tracé des lettres, l’emploi des couleurs, la composition, ne ressemblent en rien à la calligraphie traditionnelle. Tout lui vient par inspiration (kashf) et expérience directe : « Le calame, l’encre et la transmission de chaque lettre, tout vient de mon Maître sans intermédiaire. »

Chaque lettre est vivante ; c’est une fontaine (ou une source). Le graphème « Muhammad » est particulièrement mis en valeur. Pour lui, tous les êtres dérivent de ce nom du Prophète. Son art est particulièrement mis en valeur dans une copie du Coran en douze volumes. Ce mushaf en khatt maghribisublimé lui a été commandé par un diplomate du Palais. Chaque lettre est vivante, animée, tracé par inspiration directe : « Le Maître fait jaillir les sources de chaque lettre. » Pour al-Qandusi, qui était herboriste et médecin traditionnel, ce Coran, ainsi calligraphié, a des vertus protectrices : « Celui qui le regarde est protégé du mal et des maladies. »

Ses contemporains sont éblouis par ce travail inspiré, unique en son genre, dont chaque couleur, chaque trait, lui ont été dictés par le Prophète à l’état de veille.

Il a également exécuté une copie remarquable du Dalal al-Kheyrât de l’imam Jazûlî (m. 1465), un célèbre recueil de louanges au Prophète.


En quoi consistait son enseignement ? L’a-t-il transmis par écrit ?

Francesco Chiabotti : Al-Qandusi était malamati ; il ne voulait pas être connu. Son enseignement tourne autour de l’écriture et de la figure du Prophète, omniprésente. C’est toute une doctrine. Pour lui, la calligraphie est une méthode de réalisation spirituelle.

Il a reçu une formation en science des lettres, puis la connaissance ahmadienne « théorie de l’essence du nommé ». Il a laissé quelques ouvrages dont le principal Ta’sis masâwî al-dunya (La Fondation). Je suis en contact avec l’Américain Abdul Aziz Suraqah, traducteur de cette œuvre en anglais.

Il est aussi l’auteur de traités inspirés par Ibn Arabi (m. 1240) et la réalité Muhammadienne où il développe sa doctrine sur la haqiqa Ahmadiyya (dérivée d’Ahmad, son nom dans le ciel). On a quelques petits traités de prières, dont un petit texte édité sharab ahl al safa, une méthode avec des indications précises pour faire des prières sur le Prophète: « La grâce atteint le nom par lequel les cent noms sont complétés : « Muhammad ». » Pour lui, le Nom suprême de Dieu est le nom du Prophète.

C’est l’œuvre encore peu connue d’un ravi en Dieu. La grande originalité de sa calligraphie est due à ses visions du Prophète. Ses métaphores mènent à une voie initiatique et une réalisation spirituelle. Le rôle des maîtres soufis dans la compréhension du message prophétique reste à découvrir. On connaît à peine la pointe de l’iceberg.