Ce que Ouattara veut faire de son troisième mandat (Première partie)

 

Réélu le 31 octobre à l’issue d’un scrutin contesté par ses opposants, le président semble décidé à ouvrir le jeu. Cela suffira-t-il à réconcilier un pays de nouveau divisé?

Le cortège d’Alassane Ouattara file dans la nuit abidjanaise. Nous sommes le 31 octobre, et la capitale économique de la Côte d’ivoire, si souvent étouffante et saturée, ressemble à une ville morte. Le chef de l’État quitte sa résidence du quartier de la Riviera pour le siège du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), situé non loin, aux Deux-Plateaux. Le Premier ministre, Hamed Bakayoko, et le directeur exécutif du parti, Adama Bictogo, l’y attendent. Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan n’ayant pas pris part à l’élection présidentielle qui s’est déroulée le même jour, la victoire est déjà acquise à Alassane Ouattara. Pourtant, l’ambiance n’est pas à la fête. Si le vote s’est bien déroulé dans le nord du pays ou à Abidjan, cela n’a pas été le cas dans de nombreuses localités du Centre et du Sud-Est. Les opérations de vote y ont été perturbées ou n’ont tout simplement pas pu s’y tenir. Même la capitale, Yamoussoukro, que l’on ne surnomme pas pour rien « la belle endormie », n’a pas été épargnée. Le président ne s’y attendait pas. Il est en colère.

Une dizaine de jours plus tard, dans l’après-midi du 12 novembre, lorsqu’il convoque à la présidence les membres de son gouvernement et les personnalités du RHDP issues des seize régions touchées par des violences, le chef de l’État n’a toujours pas digéré la manière dont s’est passée l’élection. Entretemps, sa victoire (avec 94,27 % des suffrages) a pourtant été confirmée par le Conseil constitutionnel. Elle a été reconnue par l’Union africaine (UA), par la Cedeao et par la France, dont le président, Emmanuel Macron, qui lui a même fait parvenir un courrier de félicitations.

Mais voilà: les violences qui ont éclaté à l’annonce de sa candidature, le 6 août, n’ont pas cessé. Des cortèges ministériels ont été pris pour cible. Selon le dernier bilan donné par les autorités, au moins 87 personnes ont perdu la vie. Alors, ce 12 novembre, Ouattara demande des comptes à ses troupes. De même qu’il n’avait pas vu venir les troubles sociaux qui avaient marqué le début de son deuxième mandat, en 2016, il ne comprend pas comment de tels incidents ont pu se produire dans des zones où il estime s’être impliqué plus qu’ailleurs. Il se dit déçu du peu de progrès réalisés malgré « les investissements » consentis, ainsi que du manque d’implication de certains cadres présents dans la salle. Face aux personnes réunies ce jour-là, il va jusqu’à parler de « trahison », comme si son amour-propre avait été atteint.

« Derrière les discours de façade, Alassane Ouattara sait dans quelles conditions il a été élu », résume une source diplomatique sous régionale. Sous le couvert de l’anonymat, un ministre ivoirien confirme : « C’est une victoire en demi-teinte. D’un côté, le président est parvenu à organiser l’élection malgré les menaces de l’opposition. De l’autre, son image a été écornée. Secrètement, il espérait être plébiscité. Il estime que depuis Félix Houphouët-Boigny nul n’a fait autant que lui pour ce pays. »

Pas d’autre option

Lors du décès brutal, le 8 juillet, d’Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et candidat désigné du RHDP, Alassane Ouattara s’était décidé en moins de quarante-huit heures à reprendre le flambeau. « Ne t’inquiète pas, j’ai tout prévu, avait-il confié à un vieil ami cou­rant 2017. Si Amadou n’est pas en état, je serai candidat. »

Malgré les critiques, les réticences de certains amis et les accusations de tripatouillage de la Constitution, il n’aura ensuite jamais dévié de sa trajectoire, convaincu d’être dans son droit, de ne pas avoir d’autre option pour éviter à son parti d’imploser, pour lui permettre de ne pas perdre le pouvoir. Fort et déterminé, selon ses partisans, intransigeant et fermé aux yeux de ses adversaires.

Bon vivant, curieux et affable en privé, il offre parfois un autre visage dans les couloirs du palais présidentiel. Comme beaucoup de « chefs », il campe souvent sur ses positions et déteste qu’on lui force la main. « C’est un dur ! Dans le cas contraire, il ne serait plus président », concède l’un de ses vieux amis.

Tous ceux qui ont tenté d’infléchir sa position l’ont appris à leurs dépens. Le 4 septembre, quand Emmanuel Macron l’accueille sur le perron de l’Élysée, il ne désespère pas de le convaincre de changer d’avis. Mais lorsqu’il évoque – aussi diplomatiquement que possible – l’idée d’un report du scrutin, il se heurte à un mur.

Même début octobre, alors que l’ouverture officielle de la campagne approche et que les initiatives diplomatiques pour arriver à un compromis s’intensifient, le chef de l’État ivoirien reste sur sa ligne. À ses homologues qui s’inquiètent, il tient un discours rassurant. Il se dit prêt à ouvrir le jeu, évoque la formation d’un gouvernement inclusif, la possibilité d’une amnistie et d’une réforme de la Commission électorale indépendante (CEI). Mais après la présidentielle, et non avant, comme le réclamaient certains.

Pour le président ivoirien et ses proches, la date du 31 octobre représentait un cap à passer à tout prix. Reporter les élections serait revenu à ouvrir la porte à cette transition dont rêvait tant l’opposition. Il fallait donc tenir et étouffer dans l’œuf la moindre contestation. Les manifestations sont interdites, les arrestations se mul­tiplient – peu importe si l’on donne l’impression de glisser vers un régime autoritaire et si l’on s’attire les foudres des organisations de défense des droits de l’homme.

A suivre…

Par VINCENT DUHEM, À ABIDJAN

Source : Jeune Afrique n°3095 – DECEMBRE 2020 Page 54-57