Les parents d’Aboubacar Fofana étaient des Malinké (Nafana) originaires du village de Tiékorodougou dans la région d’Odienné, au Nord- Ouest de la Côte d’Ivoire. La mémoire locale retient que le peuple Nafana sortit exsangue du passage de Samory Touré à la fin du XIXe siècle. Le développement économique du Sud de la colonie dans la première moitié du XXe siècle favorisa les migrations, dont celle des parents de Fofana qui vinrent s’installer à Abidjan à la fin des années 1930 pour pratiquer le dioulaya (commerce ambulant). C’est dans le quartier d’Adjamé que naquit Aboubacar (Boicary) Fofana le 21 février 1943. Des cinq grandes familles originaires du Nord qui y résidaient, les Fofana étaient les plus pauvres. Quand, pour désenclaver le quartier, un plan d’urbanisme prévit le percement d’une artère, leur logement fut de ceux qui furent démolis. La famille déménagea alors à Bromakoté (« Je ne peux pas faire autrement » en dioula) dans la grande cour commune d’un oncle.
La famille du cheikh était pieuse, mais sans pedigree maraboutique et, qui plus est, peu instruite en islam. C’est le jeune Fofana lui-même, s’étant très tôt découvert une vocation de prédicateur, qui initia son père et ses proches à la lecture et aux enseignements du Coran. Il avait d’abord été confié à un maître à Abidjan, originaire du Ouorodougou, qui lui apprit l’alphabet arabe. Conscient des talents de son fils, et alors que son aîné était envoyé à l’école française comme la plupart des enfants du quartier, son père inscrivit ensuite Fofana à l’école « par terre » d’El Hadj Sidik Touré, Malien originaire de Ségou. C’était en 1952, et l’école, ou majlis, fonctionnait selon le système coranique traditionnel. Fofana reçut l’éducation d’un talibé ou karamoko den (élève coranique), inculquant une discipline physique autant que religieuse particulièrement rigoureuse. Adjamé n’était encore qu’incomplètement urbanisée ; outre la mémo- risation du Coran, les tâches de l’élève consistaient aussi en travaux de ramassage du bois en brousse pour la femme de son maître et en travaux des champs pour sa mère, qui vendait des feuilles pour envelopper le manioc et les galettes ngomi au marché. Ces années ont fait germer chez Fofana une mentalité de talibé dont il ne s’est jamais départi, prônant la maîtrise de soi, l’abnégation, l’humilité, l’endurance, etc., à même de fortifier le croyant face aux défis et aux aspérités de la vie. De fait, dans le contexte de la crise ivoirienne actuelle, cheikh Fofana en appelle désormais à la réintroduction dans l’éducation islamique de cette dimension spirituelle, dont aurait fait son deuil, de façon dommageable, l’école réformée de type médersa.
Vers 1957, Sidik Touré rallia ce que le vocable de l’époque appela « wahhabisme » et la direction de la section ivoirienne de l’Union culturelle musulmane (UCM, fondée par Cheikh Touré à Dakar). Son institution fut alors transformée en une école franco-arabe, la madrasa sunniyya. Cela ne posa pas de problème particulier à la famille, ni à l’élève Fofana, qui fut influencé par la doctrine et les rites wahhabites mais sans préjuger d’engagement dogmatique exclusif. Cela posa d’autant moins de problème que la médersa n’ayant pas eu accès à des ouvrages de stricte obédience hanbalite – lesquels ne furent introduits sur le marché scolaire ivoirien qu’après le tournant des années 1970 – les livres classiques en sciences religieuses qui s’enseignaient dans toute l’Afrique de l’Ouest continuaient d’y figurer au programme. Fofana termina le cycle primaire en 1958, puis le cycle secondaire en 1963. Il maîtrisait alors le tafsir (exégèse du Coran) en dioula et, entre autres ouvrages de fiqh (droit) malékite, la Risala d’Abdallah ibn Abizayd al- Qayrawani, le Lakhdari d’Abd al-Rahman al-Akhdari al-Qayrawani, le Kitab al-Muwatta de l’imam Malik et le Mukhtasar f-il furu‘ de Khalil ibn Ishaq. Ces détails sont importants. Ils expliquent pourquoi Aboubacar Fofana a toujours su se faire entendre du public musulman dit « traditionaliste », à savoir, schématiquement, des vieux imams et cheikhs dioula, qui se retrouvent dans ses références aux livres malékites, ainsi que d’une majorité de musulmans provinciaux dioulaphones qui partagent sa mentalité de talibé.