Comment optimiser les flux des investissements directs étrangers en Afrique

Mamadou Koulibaly, économiste, ancien président de l’Assemblée nationale et candidat aux élections présidentielles ivoiriennes de 2020 revient dans cette tribune sur l’évolution des investissements indirects étrangers sur le Continent. Il y apporte une analyse qui met en exergue des erreurs conceptuelles portant sur les investissements en Afrique, puis des erreurs de politiques industrielles et enfin celles relatives aux politiques commerciales.

Lorsqu’en février 2002, Simon Djankov, Rafael Laberta, Florencio Lopez-de-Silanes et Audrei Shleifer ont publié dans le Quarterly Journal of Economics (Vol CXVII) leur fameux article sur la réglementation de l’accès aux marchés des économies nationales «Regulation of entry», leur conclusion principale était que «les pays avec de lourdes réglementations à l’entrée des activités économiques et politiques avaient aussi une forte prédisposition à la corruption et au maintien de larges pans de l’économie non officielle, sans être capable de fournir aux populations des biens publics et privés de meilleure qualité. Les pays qui, en revanche, avaient des gouvernements démocratiques et de taille limitée avaient plus souvent aussi des réglementations plutôt favorables au bien-être économique et social des populations».

Ce travail a donné lieu au rapport annuel connu sous le nom de Doing Business qui indique les critères de bonne régulation des économies et les classe, selon les facilités accordées. Depuis, les économies africaines ont procédé, conformément aux exigences du Doing Business, à des réformes pour attirer l’investisseur étranger. Elles ont assoupli le cadre réglementaire pour la création de l’entreprise, réformé plus favorablement leur cadre et ont installé des agences de promotion des investissements. Mais malgré tous ces efforts, les IDE restent encore relativement faibles dans les économies africaines comparées aux autres parties du monde, et relativement aux flux d’aide publique au développement et aux transferts des migrants qui fuient en grand nombre le Continent pour des perspectives meilleures ailleurs.

En 2015, malgré ces importants flux financiers, selon la Banque africaine de développement, seuls 15% des jeunes en Afrique avaient un emploi salarié, 13% étaient inactifs, 35% étaient vulnérables, tandis que 31% étaient tout simplement découragés d’être restés trop longtemps sans emploi. Comme quoi, les flux financiers internationaux ne sont pas encore arrivés à aider à résoudre les problèmes d’emploi sur le Continent.

Malgré ces flux financiers, le taux de croissance annuel moyen de la dette augmente plus vite que le taux de croissance annuel moyen du PIB, signe que les structures qu’elle finance ne sont pas suffisamment productives pour en assurer le service. En plus, le rapport 2018 de la CNUCED nous apprend que les IDE ont baissé de 23% entre 2016 et 2017. Une baisse plus marquée pour l’Afrique (21%), qui reçoit pourtant les flux les plus faibles d’IDE (42 milliards de dollars), comparée à l’Asie où les flux sont stables à 476 milliards de dollars, à l’Amérique latine et les Caraïbes où ils augmentent même pour aller à 151 milliards de dollars. La question se pose alors de savoir comment faire pour mieux attirer les IDE en Afrique ?

Pour répondre à cette question, il nous faut remarquer d’abord une erreur conceptuelle portant sur les investissements en Afrique. Ensuite, il nous faut regarder les erreurs de politiques industrielles et enfin celles relatives aux politiques commerciales.

Qu’est-ce qui attire le plus les IDE ?

Après la Seconde guerre, l’Europe a été reconstruite à l’aide d’investissements massifs en infrastructures. Il ne s’agissait pas alors de pays sous-développés et pauvres avec une population mal formée qu’il fallait aider à se développer, mais de pays développés, riches, industrialisés qu’il fallait reconstruire. Les flux financiers reçus essentiellement des Etats-Unis ont servi, au bout de cinq ans à peine, à reconstruire des infrastructures privées et publiques pour assurer la reprise normale des activités. Les investissements en infrastructures ont facilité la reprise des industries manufacturières, mécaniques.

Partir d’un tel constat et en déduire que le développement économique commence par les infrastructures publiques et espérer qu’un investissement massif dans ce domaine conduira, à moyen terme, à l’industrialisation et au développement des pays est une erreur conceptuelle que l’on a faite quand il s’est agi d’investir en Afrique. Des sommes colossales sont consacrées aux routes, ponts, bâtiments publics, industries extractives, agroalimentaires, etc.

Ainsi, les domaines les plus attractifs pour les IDE, dans le secteur primaire, ont été les mines, les carrières, le pétrole. Dans le secondaire, ce sont les domaines de l’habillement, des produits chimiques et les équipements de transport. Dans le secteur des services, les consultations, le transport, la communication, la construction, l’électricité, le gaz et l’eau.

Aucune valeur ajoutée et des sorties massives de devises

Alors que l’Asie attire des investissements dans les industries de haut niveau de qualification, capables de transformer des produits bruts et les importer pour en accroître la valeur ajoutée, l’Afrique se contente d’exportations brutes et d’importations de matériaux finis à monter et à commercer sur place. Très peu de fusions-acquisitions, très peu de joint-ventures et donc très peu de transferts de technologies et de délocalisation effectués. L’emploi faible et les revenus faibles vont avec cette tendance.

Dans un processus de développement équilibré, c’est l’industrie qui doit précéder l’infrastructure pour éviter que la croissance ne soit appauvrissante. Les investissements immédiatement et directement productifs doivent précéder les infrastructures, qui viennent comme une mesure, une conséquence de l’industrialisation.

Sur l’objet des IDE, les Africains ont fait le choix des infrastructures, là où il fallait faire celui de l’industrie productive. Commencer par des infrastructures est à court terme politiquement rentable, mais cela n’attire pas les investissements créateurs de valeur ajoutée, d’emplois et de transferts de technologies. La réalisation d’infrastructures publiques fera certes baisser les coûts des activités purement productives, mais par ce fait même, elle modifie les calculs économiques d’autant plus que les contribuables qui payent sont dispersés dans l’ensemble du pays. Or, l’activité directement productive a le mérite de s’adresser directement à une demande solvable, même sans effets externes. Elle évite les gaspillages, les détournements, des réalisations coûteuses.

Des politiques industrielles inexistantes

Les principes prônés par le Doing Business reconnaissent aux Etats l’adoption de mesures appropriées, allouées méthodiquement entre les champs souverains de l’Etat et du secteur public et ceux réservés au secteur privé et le marché. Dès lors, la politique industrielle consistera à la construction et au déroulement d’un design des relations entre l’Etat et l’industrie, et entre l’administration publique et le secteur privé. Attirer l’investissement privé international devrait donc avoir lieu dans un environnement de réforme globale du système financier et bancaire, avec la promotion des marchés et de nouveaux produits financiers qui seraient arrimés aux marchés internationaux de capitaux. Ces réformes exigent que l’Etat abandonne ses droits exorbitants sur les ressources foncières rurales pour impulser la propriété privée du sol et du sous-sol et stimuler le marché hypothécaire alimenté par les titres fonciers qui transformeraient une économie de petits paysans métayers sur des terres d’Etat en exploitants agricoles, bancarisés et pouvant bénéficier des services de conseil et de financements pour améliorer leurs systèmes de production, leurs technologies d’exploitation et entrer dans une économie plus formelle qui réveillerait un énorme capital foncier dormant et dont la valeur actuelle, dans la comptabilité nationale, est nulle.

Sans politique industrielle de ce genre, les IDE seront de montants faibles et d’efficacité douteuse, car le rendement obtenu du capital sera moindre que dans l’hypothèse contraire.

Des structures économiques post-coloniales désuètes

Nombre de propositions de libéralisation sont faites sans que l’on ne touche à de nombreux secteurs monopolistiques. Alors que la finalité de la libéralisation est de permettre plus de liberté aux activités et aux opérateurs privés et publics, en Afrique, le processus s’arrête généralement à la privatisation de monopoles publics remplacés par des monopoles privés sans ouverture des marchés à la concurrence et sans liberté des prix. Les flux d’IDE, provenant de pays marqués par des politiques d’assouplissement ou de rétrécissement quantitatifs, donc fonctionnant avec de faux taux d’intérêt, arrivent dans des pays africains eux-mêmes ayant des taux d’intérêt et des taux de change fixes ou administrés, non définis par le marché, et reprennent des entreprises publiques ou des actifs privés sans création de nouveaux projets, de nouvelles valeurs structurantes. Les entreprises publiques, les projets du secteur public, les exploitations du sol et du sous-sol changent de propriétaires et l’on parle de partenariat public-privé (PPP), sans prise de risques effectuée.

Les taux de change des monnaies dans lesquelles les IDE se font n’étant pas des taux de marchés, le taux d’intérêt des pays d’origine comme ceux des pays d’accueil des IDE n’étant pas des taux libres et de marché, le calcul économique sur le coût du capital investi et son rendement fausse les IDE, qui ne vont pas créer de valeur, ni de richesses supplémentaires, mais juste s’accaparer les richesses qui existent déjà. Les IDE, dans ces conditions, au lieu d’entraîner la création d’entreprises capitalistes, se réfugient plutôt dans des niches de rente comme l’hôtellerie, le tourisme, les mines, les banques, etc.

Que faire en définitive ?

Selon le rapport du CNUCED 2018, les IDE ont fortement baissé en Afrique et le taux de rendement du capital investi a lui aussi baissé de 8,1% à 6,7%. Les pays qui ont connu les baisses les plus fortes sont ceux qui sont encore dans l’exploitation et l’exportation sous la forme brute, sans apport industrieux, des produits du sol et du sous-sol.

Pour inverser la tendance et approfondir l’impact des IDE sur l’emploi, les niveaux de vie de la population et la croissance économique inclusive, il est urgent que les réformes soient orientées dans la formation de main-d’œuvre qualifiée et qu’il y ait plus d’ouverture au commerce interne et international, plus de vigueur dans la flexibilité des prix, des taux d’intérêt, des taux de change des monnaies, une plus grande diversification de produits financiers issus de secteurs pouvant accueillir des IDE, une modernisation des vieilles générations des traités et accords multilatéraux, du genre de ceux contractés entre l’UE et les ACP, des APE, de la zone franc CFA et ceux liés à l’intégration régionale en Afrique, qui sont tous, sans exception, de nature anti-économique, car ils déforment les prix des importations et ceux des exportations ; leur imposent des surcoûts et découragent tout investissement créateur de nouvelles valeurs ajoutées dans les pays africains qui reçoivent les IDE sans faciliter la libre circulation des biens et des personnes.

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