Cote d’Ivoire: la mafia FESCI

 

Une occupation illégale des chambres dans les cités universitaires par la FESCI

 Une véritable mafia, qui ne dit pas son nom, règne dans les cités universitaires d’Abidjan. Pour obtenir une chambre dans la zone de Cocody ou de Vridi cité, vous n’avez pas forcément besoin de remplir les conditions d’admission établies par l’administration (être étudiant inscrit régulièrement et validé son année académique) et de passer par le centre régional des œuvres anniversaires (CROU). Il vous suffit d’avoir un portefeuille garni et d’entrer en contact avec un membre influent de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire FESCI) et le tour est joué. En effet, une fois ces deux conditions remplies, un membre de la FESCI vous oriente dans l’une des résidences universitaires et vous remet les clefs, faisant de vous le locataire d’une chambre double ou individuelle. Enquête sur un fléau qui, si l’on prend garde, risque de plomber les efforts du gouvernement pour loger les étudiants les plus méritants.

Université Félix Houphouët- Boigny d’Abidjan-Cocody, C’est l’heure de la pause, cé lundi 16 août 2021. Il est 13h30, des étudiants et quelques personnels administratifs, du côté des résidences universitaires situées près de la nouvelle Poste, s’empressent de trouver les com­merces et restaurants de fortune dans les alentours afin d’avoir de quoi.se mettre sous la dent. Le terrain de bas­ket en face du bâtiment abritant la sous-direction de l’accueil et des loge­ments reçoit son monde habituel. Quelques joueurs vêtus des tenues appropriées s’entraînent Le silence de cimetière qui règne dans le temple du savoir laisse entendre le bruit des oiseaux et le ronflement des moteurs du peu de véhicules qui circulent en cet endroit Mais derrière ce calme plat, se cache une réalité a priori improbable : le véritable marathon entre le CROU et la FESCI pour le contrôle de la gestion des résidences universitaires.

15 juillet 2021, II est 11h quand un attroupement inhabituel vient troubler la quiétude de la direction de la cité universitaire INSET de l’établissement. Un groupe d’étudiants se réclamant de la FESCI, dans un tohubohu tonitruant, tente d’empêcher le patron des lieux d’avoir accès à ses bureaux. C’est le branle-bas parmi les étudi­ants présents qui, apeurés, courent dans tous les sens. En deux temps trois mouvements, Guéï Vincent, directeur du campus-INSET, est encerclé par une horde d’étudiants très excités et proférant des menaces à l’endroit du responsable adminis­tratif. La raison de ce courroux est à peine croyable. Un des leurs, un responsable de la FESCI, aurait été « indigné » par le manque de respect à son égard du directeur. Ce serait donc pour laver cet affront que ses cama­rades du mouvement étudiant ont organisé cette expédition punitive. Ce qui a Indigné l’étudiant en question, c’est le directeur du campus-INSET lui-même qui l’explique : « Une étudi­ante qui occupait légalement une chambre a décidé de libérer son lit un dimanche, parce qu’elle disait avoir une ardoise due à des soucis de santé. Dans ce cas-là, la chambre revient automatiquement au CROU Elle est donc venue tout naturelle­ment me remettre les clefs, le ven­dredi qui a suivi. Tout de suite, j’ai essayé d’ouvrir la porte, mais sans succès. J’ai été par la suite Informé par sa voisine que la serrure avait été changée par des individus qu’elle savait tous de la Fesci ». Pour rentrer en possession de la chambre, Guéï Vincent entreprend donc de changer à nouveau la serrure. Qu’à cela ne tienne, les fescistes remettent le cou­vert en changeant une fois encore la pièce métallique. Cette fois, pour bien marquer le coup, ils s’empressent d’installer d’autres locataires, sans en aviser qui que ce soit. De guerre lasse, le directeur s’en remet à sa hiérarchie. Celle-ci ordonne l’enlève­ment pur et simple de la porte. Ce que M. Guéï fait sans hésitation. Colère noire du chef syndicaliste et sa bande, qui réinstallent la porte. Dès lors, dans ce qui ressemble à un jeu de ping- Pong, les autorités installent, la FESCI désinstallent, et vice-versa. Dans cette épreuve de nerf entre autorités et étudiants, c’est la FESCI qui finit par craquer dans ce qu’elle considère comme un manque de respect et un affront vis-à-vis d’un syndicat qui a pourtant montré qu’il pouvait être autrement plus coriace lorsque ses intérêts étaient menacés. Or, les intérêts menacés ici étaient ceux, directs et Intimes, de leur responsable syndical. « L’objectif des membres de la FESCI était d’installer la copine de leur chef », révèle notre interlocuteur. La descente musclée sur les bureaux du directeur était donc le résultat de l’obstination dont a fait preuve les autorités universitaires face à l’incroy­able hérésie d’apprenants, qui veulent en imposer à ceux qui sont chargés de leur inculquer le savoir. « Ils sont arrivés en bande, les mines patibu­laires et le couteau entre les dents pour tenter de nous intimider en blo­quant l’administration, mais nous n’avons pas cédé », se satisfait M. Guéï, avant d’indiquer fièrement que la chambre en question n’a pu être occupée jusqu’à preuve du contraire. « Je les ai pris de court Car, lorsqu’il y a une chambre ou un lit inoccupé, ils observent un temps mort avant de loger une personne. S’il n’y a pas de réaction, ils passent à l’offensive. Mais dans ce cas d’espèce, ils n’ont pas eu le temps », se réjouit-il.

A la vérité, cette guerre entre (admin­istration et la FESCI pour l’occupation des chambres est monnaie courante sur le campus, mais peut parfois pren­dre des tournures hallucinantes. Ainsi, au cours de nos investigations, un fait, pour le moins ahurissant, a attiré notre attention. Celui d’une chambre pour femmes occupées par des hommes, dans un bâtiment pour filles ! Qu’est- ce qui peut expliquer ce « mélange de genre » attentatoire aux règlements du campus ? Eh bien, renseigne­ments pris, les indélicats intrus seraient des membres influents de la FESCI ! Comment se sont-ils retrouvés à cet endroit ? La réponse nous sera donnée par un étudiant, sous le couvert de l’anonymat « La chambre est fermée depuis quelques jours. Ils (FESCI) sont arrivés dans la nuit vers 1 heure du matin pour défoncer la porte et ils y ont installé leurs cama­rades », relate-t-il d’une voix à peine audible. « Dans la chambre du bâti­ment C2 porte 22, il y a un lit occupé par la FESCI et l’autre est occupé légalement par un étudiant. Ce dernier étant rentré en famille, aus­sitôt, sa place a été récupérée par la FESCI qui a chassé celui que nous avons installé », avance encore le directeur du campus-INSET. Les nombreuses inconséquences de la FESCI, Mlle A.D.L n’y échappera pas. Étudiante en Master 2 Pharmacie, cette jeune fille a été grandement surprise à son retour d’un séjour en famille après les compositions. « Revenue le jeudi 5 août dernier, je constate avec effarement que le canon de ma porte a été changé », se souvient- elle. Sans attendre, elle alerte le directeur de cité du campus 2000 A où elle réside régulièrement. La nuit déjà tombée, la victime est obligée de squatter le lit d’une de ses condisci­ples en attendant le lever du jour. Le lendemain vendredi, M. Souleymane Diaby, directeur du campus 2000 A, informé la veille de la situation, arrive à faire changer le cylindre de la porte. Mais c’était mal connaître les « seigneurs des lieux », qui ne sont pas avoués vaincus. Ils vont alors utiliser la manière forte en intimant l’ordre à la jeune dame d’accepter de cohabiter avec une autre personne dans sa chambre. « Ils m’ont demandé de vider la chambre si je refusais de me pilier à cette exigence. J’en ai informé le directeur de cité, qui n’a pu me conseiller que de résister », relate-elle. Non sans souligner qu’il a eu une seconde tentative pour défaire la serrure, sans résultat probant. A son tour, M. Diaby Souleymane, directeur de la cité du campus 2000 A, a pris le soin d’informer sa hiérarchie. « Il s’est avéré que celui qui demande de chambre nous a conseillé de nous rendre au siège de la FESCI Ce que nous faisons ce lundi 16 août 2021 aux environs de 15h. Vêtu d’un tee-shirt noir à l’effigie de la FESCI, un membre de cette organi­sation, avec qui j’engage la conversation, va se montrer très bavard. Je sus à la recherche d’une chambre pour mon petit frère pour lui éviter un long trajet chaque jour. Je veux surtout une chambre sur le campus. Est-ce que c’est possible ? ». Sa réponse est instantanée : « c’est pos­sible ». Et d’ajouter aussitôt : « Il y a deux modes d’obtention de chambres dans les résidences universitaires. Il y a la voie du CROU et la nôtre en tirait les ficelles n’était autre qu’un responsable de la FESCI nationale. Mais quand mon patron a été informe, il a certainement pris attache avec le concerné. Depuis lors, la jeune étudiante ne s’est pas plainte, raconte-t-il. _E.Y.R., étudiant dans une autre UFR, a eu moins de chance. Il a été, lui, contraint de partager sa chambre double avec un “client” de la FESCI au campus 2000 A. En effet, son colo­cataire, affecté légalement, a regagné une autre résidence hors de l’univer­sité. Mais, ce dernier a autorisé ses amis à occuper son lit Contre toute attente, ceux-ci ont été interpellés par la FESCI, qui les en ont dissuadé net. Ils ont alors changé de serrure et exigé que notre jeune étudiant cohab­ite désormais avec « leur client » en lui remettant un double des clés qu’ils ont eux-mêmes fait installer. Et ce, au détriment de l’administration. Les manœuvres illégales de la FESCI ne s’arrêtent pas là. « Ils font de la surenchère. Si par exemple, une per­sonne, qu’ils ont installée, a fait six mois dans une chambre, ils en cherchent une autre qui peut payer plus cher et remercient « l’indigent ». Parce qu’ils ont constamment besoin d’argent, ils ne traitent qu’avec ceux qui peuvent leur en proposer plus. Tant pis pour les autres. A en croire M. Diaby, avant l’arrivée de Blé Guirao, 16 lits étaient occupés illégalement par la FESCI au campus 2000 A. Le nombre est passé à 45 après le départ de ce dernier. Aujourd’hui, il y a plus de lits occupés par la FESCI. Pour nous faire une idée de ce qui se passe, nous nous sommes mis dans la peau d’un parent d’étudiant. Au siège de La FESCI campus 2 où nous sommes rendus, nous avons mesuré l’ampleur de ce busines juteux autour des cités universitaires. En effet, un jeune frère que nous avons joint au téléphone relativement à une clef de la FESCI) ». Non sans préciser qu’avec la FESCI le processus est plus rapide qu’avec l’administration du CROU. Mais pour cela, il vous faut mettre la main à la poche. « Vous devez verser une caution comprise entre 150 et 200 mille FCFA pour les chambres doubles en fonction de la taille et 350.000 CFCA pour les cham­bres individuelles. Le loyer mensuel est de 10 000 FCFA ou 15.000 FCFA, selon que vous êtes en cham­bre double ou individuelle », nous informe notre interlocuteur. Qui ajoute : « Comme le CROU, nous logons aussi des étudiants aussi bien dans les chambres individuelles que dans les chambres doubles ». Avant de révéler que plusieurs étudiants sont logés par leurs soins, mais bien entendu moyennant de l’argent. Je pose alors la question dont je connais d’avance la réponse : « Etes-vous surs que mon petit frère ne sera délogé après vérification par l’administration ?». Notre interlocuteur est formel : » Il n’y a pas de problème avec l’administration. Puisque ce sont les chambres qui nous reviennent de droit en tant qu’association. N’ayez crainte, personne ne sera délogé », nous assure-t-il, – Mais mieux, ajoute- t-il, votre petit frère peut à son tour loger une autre personne, à condition toujours de payer le droit d’habitation mensuel. « S’il veut, il peut loger quelqu’un à sa place durant l’année de son contrat. La seule condition, c’est de payer le mois. Parce que le contrat est déjà établi », lance-t-il. En définitive, ce qui se joue dans les campus en Côte d’ivoire, se situe par­fois à mille lieues de la vocation même de l’université, en tant que temple du savoir, où se forme l’élite d’un pays. Or ici, au regard de ce qui précède dans ce reportage, les étudi­ants se réclamant de la FESCI, ne sont rien moins que des mercan­tilistes, voire des mafieux, prêts à tout, même à bafouer l’autorité, ou à atten­ter à l’intégrité physique de leurs con­génères, pour s’en mettre plein les poches.

 

 Enquête réalisée par Fousseny Touré

Le patriote – N° 6488 du Lundi 23 août 2021, Page 6-7-8