Covid-19: Brevets sur les vaccins assez tergiversé

 

Il y avait quelque chose de profondément déprimant à lire et à entendre les réactions à l’appel du président américain à lever les brevets sur les vaccins anti-Covid-19, le 6 mai dernier. Certes, le patron de l’OMS a jugé l’annonce « historique », et l’union européenne, l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que l’African CDC, le bras armé de l’union africaine pour les affaires sanitaires, ont apporté leur soutien.

Mais derrière cette unanimité de façade, certains cachaient mal leur amertume et expliquaient leurs réticences par un argument de cours d’école qui peut se résumer ainsi : « J’avais eu l’idée avant ! » Il est exact que beaucoup d’autres avaient, dès le printemps 2020, appelé à faire des futurs vaccins un « bien public mondial » et à en garantir la juste répartition. Puis le « nationalisme vaccinal » a vite repris le dessus, et la plupart des pays riches ont réservé au prix fort des centaines de millions de doses Entre-temps, Joe Biden a succédé à Donald Trump, et la politique américaine a changé… Amertume aussi du côté des grands pharmaceutique et de leurs nombreux porte-parole. Les brevets, se répandaient certains, ne sont pas seulement la juste rétribution du travail acharné – et coûteux – des chercheurs. Ils sont aussi « le sang et l’oxygène » de l’industrie. Entre deux appels à laisser les lois du marché s’appliquer sans entraves, quelques-uns glissaient aussi qu’à priver les labos d’une légitime récompense de leur travail on risquait fort de les « démotiver » …D’autres, plus pragmatiques, rappelaient surtout que, pour …

S’abstenir d’adopter une mesure, n’est-ce pas l’exacte définition de la gouvernance à courte vue ?

satisfaisante qu’elle soit sur le plan des principes, la levée des brevets ne permettrait ni d’augmenter ni d’accélérer à court terme la production de vaccins. Il ne suffit pas, expliquaient-ils, de connaître la « formule » : des infrastructures spécialisées sont nécessaires, ainsi que des ingrédients précis dont certains sont eux- même couverts par le secret des affaires, un personnel qualifié… Tout ce dont beaucoup de pays à faible revenu, africain ne disposent pas. Tous ces arguments sont rece­vables… mais réfutables. La levée des brevets est certes insuffisante mais elle est nécessaire afin d’en élargir, à terme, la production. S’abstenir d’adopter une mesure sous prétexte qu’elle ne produira pas d’effets immédiatement mais dans un, deux ou trois ans, n’est-ce pas l’exacte définition de la gouvernance à courte vue ?

Cynisme et contresens

 Pleurer sur les grands laboratoires privés de leurs chers bénéfices, c’est oublier les milliards de recettes déjà annoncés par les Pfizer et consorts, mais aussi les fonds publics déversés en urgence – et c’était parfaitement légitime – depuis un an pour les aider à développer, tester, fabriquer et distribuer à toute vitesse des milliards de doses de vaccins. Reste une dernière critique formulée par les défenseurs de la propriété intellectuelle : l’annonce de la levée des brevets serait en fait symbolique, née de motiva­tions purement « morales ». Au-delà du cynisme, on est surtout dans le contresens. Le Covid-19 est mondial, hautement contagieux, en mutation perma­nente. Les autorités sanitaires le répètent depuis le printemps 2020 : le monde ne sera tiré d’affaire que lorsque l’ensemble de la planète sera immunisé. Laisser de côté un pays, voire un continent, se croire à l’abri parce que les voisins immédiats sont vaccinés et les frontières fermées, c’est laisser se créer dans d’autres régions du monde des incubateurs d où le virus, tôt ou tard, surgira à nouveau. Rien de moral là-dedans, seulement une leçon que chacun, après un an de pandémie qui a fait de chaque téléspectateur un épidé­miologiste en puissance, devrait logiquement avoir apprise.

 

Olivier Marbot

Jeune Afrique- N 3101- juin 2021, Page 30