Plus de trois mois après l’audition du dernier témoin de l’accusation dans le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la Cour pénale internationale (CPI), leurs avocats demandent l’acquittement partiel ou total. Les juges devront d’abord dire s’ils acceptent leurs requêtes avant de se prononcer sur le fond. Une procédure qui pourrait encore prendre plusieurs mois.
De notre correspondante à La Haye
Si les avocats de Laurent Gbagbo estiment que le procureur n’a pas prouvé l’affaire, pas une seule fois ils n’écrivent dans leur requête le mot « acquittement ». Ils s’affirment prêts à en découdre si les juges devaient retenir – au moins partiellement – les charges portées contre l’ancien chef d’Etat. Les avocats de Charles Blé Goudé demandent, eux, clairement « l’acquittement complet ». « L’accusation n’a pas présenté de preuves susceptibles de justifier une condamnation, il n’y a pas lieu de présenter des éléments de preuves supplémentaires », écrivent maîtres Geert Knoops et Claver N’dri. Le Néerlandais et l’Ivoirien veulent que les juges tranchent dès maintenant, car selon eux, Charles Blé Goudé « n’est pas coupable des crimes qui lui sont reprochés ».
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont jugés depuis janvier 2016 par la Cour pénale internationale pour quatre crimes contre l’humanité pour meurtres, viols, actes inhumains et persécutions, commis entre novembre 2010 et avril 2011. Selon les Nations unies, les violences qui avaient suivi la présidentielle de fin 2010 en Côte d’Ivoire ont fait au moins 3 000 morts. Si les juges acceptent de se pencher sur les demandes d’acquittement – une procédure qui n’est pas automatique – ils pourraient ensuite décider de retenir la totalité des charges, ou d’acquitter partiellement ou en totalité les accusés. Si l’une ou la totalité des accusations sont retenues, la défense devra alors appeler ses propres témoins.
Plan commun, commandement parallèle
Ce nouvel acte de l’affaire Gbagbo/Blé Goudé a débuté au terme de la déposition du dernier témoin du procureur, le 19 janvier. Après l’audition, en deux ans, de 82 témoins, dont beaucoup se sont révélés « hostiles » à l’accusation, les juges ont demandé au procureur de préciser sa thèse. Dans un document de quelque 260 pages, le procureur rappelle que les accusés ont participé à un « plan commun », mis sur pied par un cercle restreint, devant permettre à Laurent Gbagbo de conserver le pouvoir au prix de violences dirigées contre des civils, partisans d’Alassane Ouattara, son concurrent à la présidentielle. Pour l’étayer, le procureur évoque notamment les minutes d’une « réunion de concertation » organisée le 3 décembre 2010, dont le compte rendu a été récupéré à la résidence présidentielle à Cocody, dans la chambre de Simone Gbagbo après l’arrestation du couple, le 11 avril 2011.
Pour le procureur, c’est « l’un des moments clés de l’exécution du plan commun ». Le meeting a été organisé au moment où la Commission électorale indépendante (CEI) s’apprêtait à annoncer la victoire d’Alassane Ouattara. Ces minutes « démontrent les efforts coordonnés et concertés, la contribution, l’intention et la sensibilisation de Gbagbo et des membres du cercle rapproché pour garder Gbagbo au pouvoir par tous les moyens », estime le procureur.
Le document tente par ailleurs de décrire la montée en puissance de la répression de l’opposition depuis la tentative de coup d’Etat de septembre 2002 des Forces nouvelles, qui avait durablement scindé le pays. La création, par le pouvoir, de milices de jeunes, puis l’embauche de mercenaires libériens avaient suivi le coup d’Etat manqué. Des groupes qui peu à peu sont intégrés – ou en ont reçu la promesse – aux Forces de défense et de sécurité (FDS) qui incluent aussi la Garde républicaine, deux brigades spécialisées de gendarmerie, le BEA et le BASA, et le CECOS, principaux outils, selon l’accusation, d’un commandement parallèle. Créée après la crise de 2004, cette brigade anticriminalité, CECOS, permet alors au pouvoir de contourner l’embargo sur les armes, décrété par les Nations unies. Lors de la crise de 2010, leur sont acquis des officiers subalternes au sein de l’armée de terre, de l’air et de la marine, qui « en plus de leur salaire régulier (…) reçoivent un paiement mensuel en liquide du palais présidentiel ». Chef de milices et mercenaires reçoivent aussi leur solde en cash à la présidence.
Une enquête « approximative »
Dans leur demande d’acquittement, les avocats des deux accusés ne répondent pas, à ce stade, sur le fond, mais contestent la validité des preuves du procureur. Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, dénonce une enquête « approximative », dont il serait « impossible d’en tirer quoi que ce soit de concluant et de convaincant. » Il reproche au procureur l’absence d’authentification de l’intégralité des pièces présentées au procès et remises à ses services par les autorités ivoiriennes, dont « dépendaient » les enquêteurs, qui n’ont pas comparu au procès. L’avocat parisien, pour les mêmes raisons, remet en cause les résultats d’exhumations. Il conteste aussi le registre d’entrée de la résidence présidentielle, qui n’aurait été authentifié que partiellement. Un document clé de l’accusation, sur lequel le substitut Eric McDonald a notamment bâti la preuve de l’existence alléguée d’un plan commun.
L’avocat souligne encore qu’un seul expert en balistique s’est présenté à la barre. Evoquant les témoins, Emmanuel Altit reproche au procureur d’avoir fait enregistrer des dépositions obtenues de détenus en Côte d’Ivoire, ou d’avoir laissé des témoins déposer par vidéoconférence alors que « le pouvoir politique ivoirien actuel – non démocratique – fait régner la terreur et emprisonne ses opposants ». Selon l’avocat, « plusieurs témoins de l’accusation ont fait l’objet de menaces et de poursuites après avoir témoigné ». Emmanuel Altit ajoute que l’accusation n’a pas appelé d’historien à la barre, préférant se baser sur une source unique, « un militant politique du parti d’Alassane Ouattara ».
Enfin et surtout, il reproche à l’accusation de n’avoir présenté « aucune preuve directe » d’un plan commun qui se serait étendu sur dix ans et concernerait « des centaines de personnes », lui reprochant de demander aux juges « un acte de foi ». Pour conclure, l’avocat aborde le fond, rappelant qu’il « a toujours considéré l’affaire sous l’angle du conflit armé » et précisant que si les juges devaient décider de poursuivre le procès, il s’intéressera notamment « au comportement des FRCI », les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, qui formaient avant la crise la rébellion des Forces nouvelles. Un terrain qu’a consciencieusement évité le procureur tout au long de sa présentation, malgré les demandes des juges, espérant sans doute ainsi mieux appuyer sa thèse selon laquelle des civils pacifiques étaient ciblés par Laurent Gbagbo et son cercle proche.
rfi