LEURS ESPOIRS ET DÉBOIRES AU PAYS DES HOMMES INTÈGRES
Plusieurs milliers d’Ivoiriens, selon l’ambassadeur de Côte d’ivoire près le Burkina Faso, Sem Kapiélétien Soro et plus de 35.000, du côté de l’Union
des ressortissants de Côte d’ivoire au Burkina Faso (Urecib), ont choisi le pays des hommes intègres comme terre d’aventure. Répartis dans différentes localités du Faso, avec une prédominance dans la capitale, Ouagadougou, ils y sont pour des études, des affaires … quand d’autres exercent dans l’informel avec des fortunes diverses…
Pays enclavé avec un taux de croissance oscillant entre 6,7% et 8,05% depuis 2015, le Burkina Faso attire de plus en plus d’Ivoiriens. Mieux, le voisin sahélo-sahélien, troisième économie de l’UEMOA régulièrement cité en exemple par les bailleurs de fonds derrière la Côte d’ivoire et le Sénégal est en passe d’être la destination prisée des Ivoiriens chercheurs de fortune, dans la sous-région. En effet, plusieurs milliers d’Ivoiriens, si l’on en croit Sem Kapiélétien Soro, y ont élu domicile. Outre ceux qui y sont pour les affaires, dont des
cadres de banque à la tête de la Biciab ou encore d’Ecobank Burkina et des patrons d’écoles de formation, dont Richard Nassa Dagbo, fondateur d’une
école d’hôtellerie à Ouaga, d’autres y séjournent pour des études. Madina Touré est de ceux-là. Son Bac C session 2017 en poche, elle opte pour des études supérieures en Génie civil à l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2le) au Burkina Faso. Précisément dans l’arrondissement (commune, modèle administratif ivoirien ; Ndlr) de Kamboinsé. C’est d’ailleurs sur ce campus, à 67 km de la capitale, que nous la retrouvons ce jeudi 05 avril 2018. Elle assiste, comme ses autres camarades, à une réunion de l’association des étudiants ivoiriens de cette école, résultat de la fusion et de la restructuration de deux ex-écoles inter-États. Il s’agit de l’École d’ingénieurs de l’équipement rural (Eier) et de l’École des techniciens de l’hydraulique et de l’équipement rural (Esther) créées respectivement en 1968 et 1970 par 16 États d’Afrique de l’Ouest. Dans ces écoles, les formations sont accréditées par la Commission des Titres d’ingénieur. Ce qui donne à 2le Kamboinsé une reconnaissance européenne à travers le label Euro-Ace. La rencontre du jour portant sur la bourse de l’Etat se fait houleuse entre les participants. Deux camps « s’affrontent ». Çà et là, des éclats de voix fusent. On s’accuse ici et on riposte de l’autre côté. Pas donc question de se laisser faire. De ce brouhaha improvisé, les uns reprochent aux autres de n’avoir pas joué la carte de la solidarité.
En effet, ceux qui ont reçu leurs bourses par virement bancaire s’étaient rendus, une semaine avant, pour un sit-in à l’ambassade.
Lors de ce mouvement, le personnel diplomatique était parvenu à tes calmer en leur demandant de laisser leurs Rib (Rélévés d’identité bancaire ;
Ndlr) et d’informer leurs camarades non-grévistes de déposer les leurs. Cette information n’est jamais arrivée au campus de Kamboinsé.
Aussi ceux dont les
Rib ont été déposés ont-ils vu leurs bourses virées. «Kous n ‘avez pas été solidaires et il faut qu’on vous le dise», tance le président Lamine Sanogo. « On
en est arrivé là parce que vous autres, en route, vous vous êtes désolidarisés du sit-in Si nous étions tous à l’ambassade, on n’aurait pas connu cette situation
», se défend Jean-Marie Konan, l’un des meneurs de la grogne à l’ambassade. Il faudra attendre une dizaine de minutes après pour que les esprits se calment. Passée la tempête, tes 67 boursiers de l’Etat, au titre de l’année académique 2017-2018. Sur 200 Ivoiriens pensionnaires de cette école qui compte en son sein des étudiants en Génie civil, Génie électrique et Eau et assainissement issus de 15 pays dont le Maroc, le Gabon, le Sénégal et le Ghana, s’engagent à l’avenir à mener une action commune. Après le Cassius betli, cap est mis sur les dortoirs, répartis sur bâtiments de type R+2. Chaque étudiant dispose d’une chambre équipée d’un lit d’une place, de douche et de sanitaires. « Au début, ils refusaient qu’on ait une bouteille de gaz et un frigo. Ils ont levé ce veto. Ainsi, chacun fait sa cuisine et arrive à manger ce qu’il veut », fait savoir Madina Touré, inscrite en Licence de Génie civil. « Actuellement, notre véritable souci, c’est la bourse. On attend tous notre argent », ajoute, de son côté, le leader des étudiants ivoiriens admis au concours très sélect d’entrée à 2le-Kamboinsé, qui confie ne point être dépaysé. « Ici, on se sent quelque peu au pays, qui n’est d’ailleurs pas loin. Nous avons, en matière culinaire, tout ce que nous aimons manger en Côte d’ivoire. On a des vendeuses d’attiéké, d’alloco, de placali et même de foutou, ici on ne s’ennuie pas. On fait nos études sereinement comme si on était au pays », soutient Lamine Sanogo.
Ceux qui ont imposé la bouffe…
Les vendeuses de mets ivoiriens auxquels le président des étudiants ivoiriens de Kamboinsé fait allusion, on en trouve un peu partout à Ouaga. A notre retour de ce campus universitaire, nous échangeons avec une d’entre elles. Il s’agit de Rosine Djoro. Native de Dabou, elle gère un restaurant au quartier 1200, où elle propose divers mets dont le foutou banane, l’alloco au poisson frit, le traditionnel foufou ivoirien ainsi que l’attiéké au poisson thon. Son
commerce ne désemplit pas, au point où elle vient de recruter 3 nouvelles servantes pour l’aider dans son business. « Ça va. On ne se plaint pas », confie-t-elle, toute souriante. « Aujourd’hui, ça va. Mais ce ne fut pas facile », souligne-t-elle relativement à ses débuts difficiles à Ouaga. « Je suis arrivée ici en 2012. J’ai décidé moi-même de venir me chercher ici. J’ai commencé en tant que servante dans des bars », se remémore-t-elle d’un passé dont elle a du mal à chasser les images de son esprit. « Le travail de serveuse, c’est « chap-chap » (vite vite) ici. J’ai fait 7 mois et j’ai claqué ta porte. Je ne pouvais plus supporter ce monde où, pour une bière achetée, tout client veut te sauter dessus. Quand je disais que je n’étais pas là pour ça. Je m’entendais dire que nous. Ivoiriennes, aimons faire trop le malin.
Garçon m’a blessé à Abidjan et m’a fait quitter mon pays, ce n ‘est pas ici que je vais me laisser être le jouet d’un homme », nous relate la compatriote, mère de 2 enfants. Ces derniers vivent avec elle à Ouaga. L’aîné, de 16 ans, est en classe de 1 ère et la cadette est en 6ème. « C’est pour eux que je suis venue me chercher ici. Je dois être un exemple pour eux. Je me débrouille ici et ça me sourit. Mais nos sœurs ivoiriennes, qui viennent maintenant nombreuses, ont fini par gâter le nom de la femme ivoirienne, avec cette affaire de « gérer bizi » (commerce du sexe) dans les boîtes de nuit ici », se désole la déçue de l’amour. Sur le terrain de la bouffe ivoirienne qui lui réussit bien en terre du Faso, la native de Dabou (sud ivoirien), à 27 km de ta capitale économique, Abidjan, n’est pas la seule à se frotter les mains. Certaines qui l’ont devancée sur ce terrain, dont Agathe Attoungbré, patronne du restaurant Aboussouan, s’en tirent à bon compte. Basé au quartier Goughuin, ce restaurant, en dépit du coût pas à la portée de toutes les bourses – pain de foutou à 2500 F cfa. Là où le plat chez Rosine Djoro s’arrache à 1000 F et 1200 F -, est l’un des plus prisés de la capitale du Faso. Sur place, 24h après, soit le vendredi 06 avril, l’horloge affiche 12h09 à notre arrivée devant ce commerce au menu bien ivoirien.
Il s’agit notamment du foutou à la sauce aubergine ou graine ; de l’attiéké au poulet « kédjénou » ou encore de l’alloco au poulet braisé. Le confrère qui nous y
conduit à bien du mal à se trouver un espace pour stationner son véhicule. Les deux côtés de la voie sont occupés par de grosses cylindrées des clients du jour. Il faudra attendre une dizaine de minutes pourvoir sortir un couple et stationner à leur place. C’est d’ailleurs à la table de ces clients que nous prenons place. Avant le service, le député Maxime Koné, actuel président de la Commission des affaires institutionnelles, générales et des droits denl’Homme du Faso (Caigdh), que nous avions interviewé la veille dans le cadre du procès du putsch, fait son entrée. Il se dirige vers une autre table bien gardée pour sa délégation. Preuve que cet endroit est fréquenté par une IPh : T.T.)
Certaine classe. « Quand j’ai des partenaires en affaires ou en politique, c’est ici que je viens pour déjeuner. Vous savez, les Ivoiriens ont la culture de ta bonne bouffe. Nous ici, tu vas trouver un millionnaire, c’est haricot ou encore gari et gonrè (mets mossi à base de feuilles de haricot ; Ndlr) il mange. Quand tu fais découvrir les bons mets ivoiriens, ça te donne un bon point. Et en la matière, Aboussouan, c’est le meilleur », commente le parlementaire, qui apprend que le second restaurant ivoirien prisé, à savoir Hamanieh, se trouve sur l’avenue Kwamé Nkrumah. « La patronne de ce maquis a ses enfants qui étudient en France. C’est d’ailleurs là-bas que j’ai fait sa connaissance et celle de ses enfants en question. Hamanieh et Aboussouan sont les deux restaurants ivoiriens qui marchent le plus ici à Ouaga », renseigne-t-il. La renommée de son business, Agathe Attoumgbré l’a forgée pendant deux décennies de durs labeurs. « Je suis ici depuis avant les années 2000.
J’ai dû cravacher dur. C’est de passage pour des achats dans un pays de sous-région que j’ai découvert ici.
Et j’ai constaté qu’il y avait une niche et j’ai décidé de m’installer pour l’exploiter. Voilà le résultat », fait valoir celle dont le commerce emploie plus d’une vingtaine d’Ivoiriennes. « Il faut donner la chance à nos filles ici à vivre de la sueur de leurs fronts. C’est ce que je fais pour ne pas qu’elles fassent de bêtises ici ». clarifie-t- elle.
… et les chaudes nuits à l’Ivoirienne au Faso
Un de ses compatriotes, à savoir Marius Zadi. Plus connu sous le pseudonyme Marxelt Diez, est, lui, un « monstre » des nuits chaudes ouagalaises. Propriétaire de nigth club et organisateur de spectacles, les noceurs de la capitale lui doivent les prestations de plusieurs artistes ivoiriens en vogue dans les 2 grandes villes du pays. Notamment Bobo-dioulasso et Ouaga. Il s’agit d’Arafat Dj, Bebi Philip, Petit Dénis, Espoir 2000 ou encore Eudoxie Yao et Yodé et Siro. Parvenu à s’imposer sur la scène du show-biz au Faso, l’Ivoirien emploie dans sa boîte de nuit 32 compatriotes recrutés sur place et 2 autres Ivoiriens dans son entreprise d’événementiels, Diez Production, sur les 7 employés. « Je suis venu ici pour la première fois en 2011 à la faveur du mariage du commandant Morou. C’est là que j’ai découvert ce terrain, et j’ai décidé de bosser dessus. L’intégration n’a pas été tout à fait facile. Mais, comme tout bon Ivoirien guerrier, j’ai réussi à imposer mon nom », relate l’initiateur des nuits du Zouglou et du Couper-décaler au Faso, lors des échanges dans son business samedi 07 avril 2018. « Il faut que nos frères qui viennent ici acceptent de se battre et comptent sur le travail et Dieu, et non le maraboutage », lance le patron de la boite de nuit, située en face du Siao de Ouaga. Ce message semble bien compris par un de ses employés, à savoir Like Franck Didier, qui est actuellement l’un des meilleurs DJ au Faso. Ce même soir, nous le trouvons au four et au moulin. Entre te comptoir et les tables des clients, dans son business plein à craquer, il ne cesse de faire les allers et venues. Soit pour prendre des commandes, soit pour en livrer. « Je suis certes le gérant, mais je suis aussi DJ, chanteur, compositeur et serveur. Pour moi, le grand boss qui laisse les employés tout faire, ce sont des conneries », déclare-t-il. Avant de
revenir sur sa vie au Faso. « Je suis arrivé ici en 2011 pour l’ouverture du bar « le petro dollar ». C’est un Ivoirien qui m’avait fait venir.
C’est en 2013 que j’ai décidé de venir m’installer. Après, j’ai connu des moments durs. J’ai fait, par exemple, 6 mois sans bosser, et quand je réussis à avoir un poste au bar « Roland Garros », où j’étais l’un des DJ les mieux payés de Ouaga, je fais un accident grave. J’ai fait 3 jours dans le coma. Sans le soutien de mon frère Marxwell, jetais un homme perdu et mort », estime le DJ de- venu aujourd’hui gérant de boîte de nuit grâce à l’appui de Marwell Diez. Un soutien que beaucoup d’autres Ivoiriens disent n’avoir jamais eu. « Les Ivoiriens au
Burkina sont des « makindé » (des aigris, des envieux ; Ndlrj. Il y a trop d’hypocrisie entre nous. Quand je fais mes concerts, ce sont des camarades du Faso qui viennent m’aider, au moment où mes propres frères travaillent
pour faire capoter mes spectacles. On ne s’aime pas », déplore- t-il. « Nous travaillons à resserrer les liens entre Ivoiriens au Faso.
Il faut penser ivoirien et s’en- traider pour réussir, surtout que nous sommes plus de 35.000 ici », lance Charles Téhi, président de l’Urecib. Qui fait de la solidarité son credo. Mais cela passe déjà par relever le pari de l’adhésion
des 35.000 Ivoiriens à cette faitière unique reconnue par l’ambassade et les consulats de Bobo, Koudougou et Ouaga.
TRAORE Tié, Envoyé spécial
Extrait de l’Inter du Mercredi 25 Avril 2018