FPI: L’aile radicale, extrémiste et même xénophobe, s’est détachée de nous

 

Le président du Front populaire ivoirien, Pascal Affi N’Guessan, dans cet entretien, décline sa vision pour le pays à la tête de son parti. Il charge son ex-mentor pour sa vision autocratique, dénonce ses hésitations aux moments cruciaux et laisse la porte entre ouverte à l’éventualité d’un front uni avec l’ex-Première dame Simone Gbagbo.

 

<div>Quelles sont, aujourd’hui, les ambitions et la vision de Pascal Affi N’Guessan à la tête du Fpi que Laurent Gbagbo lui a laissé ?

Notre ambition est de ra­mener le Fpi au pouvoir. Et dans le contexte actuel, nous pensons que la vi­sion. l’idéologie de notre parti, l’expérience de tous ses cadres peuvent être utiles à la nation. Revenir aux affaires pour reprendre le développement poli­tique, institutionnel, cultu­rel, éducatif, économique et social du pays.

Y a-t-il des chances pour que le Fpi que vous présidez revienne aux affaires, surtout qu’on le taxe d’enveloppe vide ?

L’affirmation selon la­quelle le Fpi avec Pascal Affi N’Guessan est une enveloppe vide n’engage que ceux qui le disent. Je considère même cette affirmation comme une insulte à tous ces milliers de militants, ces dizaines de cadres qui sont autour de moi et qui, malgré la dissidence de­puis 10 ans, sont restés fidèles. A l’heure actuelle, nous avons une direction composée de plusieurs centaines de personnes. Sur le terrain, nous avons plus de 600 fédérations avec plus de 7000 sec­tions. J’ai vu que le camp Gbagbo revendique 180 fédérations. Vous avez suivi le comité central qui a eu lieu la semaine dernière, je ne pense pas que ces centaines de personnes qui étaient réunies ce jour soient né­gligeables. Pour nous et les militants, c’est même un défi qui nous est lan­cé de prouver que nous ne sommes pas une enveloppe vide. Il faut, par ailleurs, relever que la conquête du pouvoir n’est pas seulement une affaire de militants, mais plutôt une question na­tionale, de tous les ci­toyens et les électeurs. Ce sont eux qui vont aux urnes pour voter, qui choisissent un homme avec une vision, un programme de gou­vernement. Nous avons l’expérience nécessaire, les hommes qu’il faut, un programme clair. Il ne faut donc pas se laisser distraire par cette affirma­tion. Il faut être convaincu que le Fpi avec Pascal Affi N’Guessan a toutes les chances de revenir au pouvoir en 2025. Et nous entendons jouer à fond notre carte, en étant proche de nos com­patriotes, en développant notre vision, celle de la Côte d’ivoire de demain. Maintenant que l’aile radicale, extrémiste, par­ fois même xénophobe et tribaliste s’est déta­chée, nous devons nous ouvrir à d’autres forces politiques, élargir notre base électorale, faire appel à tous ceux qui partagent notre vision et qui se distinguent du camp de Gbagbo ou rien (Gor) pour vendre notre programme et notre rêve pour la Côte d’ivoire.

Dans vos propos liminaires qui ont précédé la conférence de presse ayant sanctionné le comité central organisé par le Fpi, le 14 août, vous avez déclaré que Laurent Gbagbo est bien parti « pour créer un parti taillé à sa mesure pour servir l’idolâtrie et le culte de la personnalité ». Vous avez même dit que lors de la crise post-électorale de 2010, Il s’est accroché au pouvoir. Ce sont des mots très durs pour celui qui aura été votre mentor.

Nous ne devons pas être complaisant vis-à-vis de certaines façons de voir les choses, de certains principes qui ne sont pas démocratiques. C’est pour cela que nous nous bat­tons. Ce sont les idées que nous attaquons et non pas l’individu. Quand nous constatons que ces idées ne vont pas dans le sens de l’intérêt de la nation, de la démocratie, de l’unité nationale, il faut les atta­quer sans ménagement. Notre responsabilité en tant que leader politique, c’est de combattre justement toutes les idées rétrogrades. Or la posture que l’ancien Chef d’État, Laurent Gbagbo, a adoptée, je dirais même depuis plusieurs années, est celle de l’autocratie, du culte de la personnalité. Et nous savons ce qu’a été le bi­lan de cette posture : c’est la catastrophe du 11 avril 2011. S’il avait accepté que la gestion de la crise soit inclusive et démocra­tique, permettant à tous les cadres du parti d’ap­porter leur contribution à la réflexion, à la définition de stratégies de résolution de la crise, je suis persuadé que le Fpi serait encore au pouvoir à l’heure actuelle C’est pourquoi nous combattons durement le pouvoir personnel car nous en avons fait la douloureuse expérience.

Est-ce à dire que Gbagbo avait perdu l’élection présidentielle de 2010 mais s’était quand même accroché au pouvoir ?

Pas forcément. Mais en toute chose, il faut s’arrêter, savoir arbitrer entre les avantages et les inconvénients d’une pos­ture. Quand vous avez tout tenté et que vous vous ren­dez compte que la cause est perdue, continuer n’a pas de sens, sinon c’est causer des pertes inutiles, conduire au suicide collectif. Il faut savoir limiter les dégâts. Le repli tactique fait partie des décisions, en politique comme à la guerre. Dans la crise post-électorale, nous n’avons pas su limiter les dégâts, préserver la possibilité de rebondir rapidement, en acceptant, par exemple, la résolution de l’Union africaine qui nous aurait évité la guerre, les morts, l’exil et toutes les souffrances endurées par les militants et les popula­tions civiles. Pourtant, tous nos amis nous conseil­laient le repli tactique.

La sagesse a donc manqué à Laurent Gbagbo.

Peut-être une tendance à l’indécision, à compter sur le temps pour offrir une so­lution.

 

A vous écouter, le point de non-retour est atteint entre M. Gbagbo et vous. Est-ce le cas ?

Pour le moment, entre nous, c’est la rupture. Laurent Gbagbo va fonder un autre parti. Et nous restons au Fpi, à la tête de cette formation politique. Il veut tenter une autre aven­ture à 76 ans. Nous, nous continuons le combat que nous avons toujours mené avec le Fpi.

Que répondez-vous aux militants qui disent que vous êtes au soir de votre carrière politique en osant vous attaquer à Laurent Gbagbo ?

C’est une déclaration qui n’engage qu’eux En Côte d’ivoire, ce n’est pas la première fois qu’on dit d’un homme politique qu’il ne sera rien. Le Président Alassane Ouattara en est un exemple. Qu’est-ce qu’on n’a pas dit sur lui ? Laurent Gbagbo aussi. De nombreuses personnes n’imaginaient même pas le voir accéder à la ma­gistrature suprême. Il ne faut pas faire preuve de prétention Personne n’a une boule de cristal pour lire l’avenir. Nous, nous avons un combat à mener. Nous avons des atouts, mais des handicaps aus­si. Nous allons jouer à fond notre carte. L’avenir nous situera. Les Ivoiriens ne sont pas la propriété privée d’un homme. Leur conscience, leur décision n’appartiennent pas à un individu. Le moment venu, ils sauront faire leur choix. Je voudrais même rappeler à ceux-là, que Laurent Gbagbo a soutenu pen­dant les élections législatives, plusieurs candidats qui se sont cassé la figure. C’est tout dire.

Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’en créant un nouveau parti politique, Laurent Gbagbo se débarrasse de vous et de Simone Gbagbo, son épouse légale ?

Il ne se débarrasse de per­sonne. C’est lui qui part. </div> C’est la démocratie que Laurent Gbag­bo contourne, enjambe, parce qu’il sait que, le Fpi, tel que nous l’avons struc­turé, ne peut plus tolérer le culte de la personnalité, les dérives autocratiques. Vos relations avec l’ex-Première dame se­raient exécrables. Au point que celle-ci refuse d’entre­voir l’éventualité d’un front uni Affi-Simone au sein du Fpi pour remobiliser les militants en vue de reconquérir le pouvoir d’État. Jusqu’à preuve du contraire, Simone Gba­gbo est encore militante du Fpi. Tant qu’elle reste militante, une possibili­té de travailler ensemble est toujours ouverte. Ce sont les nécessités de la vie politique qui créent les alliances. Aujourd’hui, la nécessité pour le Fpi de revenir au pouvoir, cette ambition que nous portons tous deux de ne laisser notre parti dans la décadence, peut nous amener à surpasser ce que l’on peut considérer comme des contradictions secondaires pour aller à l’essentiel. C’est-à-dire l’unité de toute la famille du Fpi.

Y a-t-il eu des démarches en direction de Simone Gbagbo dans ce sens ?

Nous avons des contacts par des militants, des per­sonnes interposées. Ce n’est pas une rupture ra­dicale, une inimitié fon­damentale entre nous, étant donné le nouveau contexte. Si elle décide de rester au Fpi, nous nous rejoindrons pour continuer le combat ensemble.

Lors de votre conférence de presse, vous avez dit que vous n’avez pas peur de marcher seul et que vous êtes même habitué à la solitude. Si tous les cadres qui vous sou­tiennent dans votre com­bat vous abandonnent, à l’Image de Konaté Na­vigué, Jean Kouadio Bo­nin, Michel N’Guessan, Agnès Monnet…, arrive­rez-vous à atteindre vos objectifs ?

Des cadres partent, mais le Fpi reste debout et vit. 100 personnes qui vous abandonnent dans une population de 20 millions d’habitants, c’est une goutte d’eau dans la mer. Il y a des départs, mais il y a aussi des arrivées. Il y a des départs qui créent des opportunités pour des arrivées. La décision de Laurent Gbagbo de créer un nouveau parti a ouvert des perspectives. Pour le moment, nous n’assistons pas au tsu­nami, à l’explosion que certains ont souhai­té. Ces défections au compte-gouttes signifient que les 20 ans que j’ai passés à la tête du Parti n’ont pas été vains. Ils ont consolidé l’ancrage l’Union pour la démocratie démocratique du parti et la maturité politique des militants.

Le Fpi, aux dernières législatives, n’a réussi à obtenir que deux postes de député : celui de M. Sia André et le vôtre. Mais II se raconte que relativement au duel fratricide qui vous oppose désormais à Laurent Gbagbo, ce dernier vous a lâché pour rejoindre le bloc dissident. Qu’en est-il réellement ?

Ce sont juste des rumeurs. Je dirai même de l’intoxi­cation. Sia André fait partie des derniers qui quitteront le Fpi. Il est bien député de mon parti à l’Assemblée nationale. Mais pour des raisons tactiques, nous l’avons positionné dans la tête du parlementaire de l’Union pour la démocratie pour la paix en Côte d’Ivoire (Udpci). C’est ce que nous avions fait lors de la législative passée. Moi, à l’hémicycle, je suis sans affiliation pour être libre de m’exprimer au nom du Fpi.  Certains disent que Affi N’Guessan n’a eu que deux députés. Ces der­niers doivent savoir que quand je sortais de prison en 2013, le Fpi n’avait aucun député. Il ne faut pas faire l’impasse sur le drame de 2011 et faire comme si de 96 députés, on en est à 2 députés, non. De 96 députés, nous en étions à zéro député. Aujourd’hui, on en a 2, nous sommes dans une phase ascendante. La pente de cette phase est fondamentalement liée, d’une part, à l’héritage sur le plan humain de nos dix ans de gestion du pouvoir d’État ; d’autre part, aux séquelles de la crise post-électorale de 2010.

Nous n’avons pas suffi­samment fait la promo­tion des cadres du parti. Aujourd’hui, ils sont sans moyens dans des compé­titions électorales de plus en plus capitalistiques. Nous n’avons pas su sortir de la crise post-électorale. Elle a fait exploser le parti. Aujourd’hui, nous payons au prix fort ces deux er­reurs politiques. C’est à partir de cet héritage que nous avons engagé la re­naissance du Parti.

Pourquoi avez-vous été éjecté de l’alliance Fpi -Pdci-Rda – Eds, alors vous étiez le porte-parole du Conseil national de transition (Cnt) ?

J’ai été exclu, et avec moi Gbagbo et les dissidents ne voulaient pas de nous. Nous étions les hommes à abattre depuis 2014-2015. Il s’agissait de mettre tout en œuvre pour empêcher la victoire de nos candi­dats, ne pas nous per­mettre de bénéficier de l’alliance.

Quels sont aujourd’hui vos rapports avec le président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié ?

Sur le plan politique, nous n’avons aucun rap­port. Sur le plan person­nel, nous sommes de la même région. C’est notre doyen dans le N’Zi-Comoé. J’essaie toujours de faire la part des choses C’est-à-dire de ne pas mé­langer la politique et les relations fraternelles, ami­cales. Dernièrement, j’ai été le saluer quand j’étais dans la région avec mes enfants qui étaient venus en vacances. Mais je me suis gardé d’évoquer les questions politiques avec lui. Il nous a d’ailleurs bien reçus.

Quelles sont vos relations avec Charles Blé Goudé ?

De temps en temps, on se parle. Nous avons mainte­nu le contact On échange sur nos visions et nos ana­lyses de l’évolution de l’actualité politique.

On vous a vu dans un avion officiel en train d’aller au Ghana avec des responsables du parti au pouvoir, le Rhdp. Cela a suscité des commentaires. Pourquoi avoir posé un tel acte ?

Il y a eu beaucoup de réactions “négatives de la part des Ivoiriens, d’autant qu’on sortait do la déso­béissance civile. J’ai com­pris leur réaction parce que psychologiquement, ils n’ont pas été préparés pour comprendre les mo­tivations de cette posture. Mais comme j’ai eu à l’ex­pliquer dans une interview par la suite, ma libération, le 30 décembre 2020, était un geste d’apaisement, après la rencontre entre les Présidents Ouattara et Bédié. Feu le Premier mi­nistre Hamed Bakayoko avait estimé que ce serait un acte fort de décrispation si le Fpi et la délégation gouvernementale faisaient ensemble le voyage à Accra. Malheureusement, le temps n’a pas permis de communiquer et d’expliquer. Il faut savoir dépasser les antagonismes et les frustrations personnelles. Accepter de poser des actes de rapprochements et d’ouverture pour sortir des crises et instaurer la paix et la concorde.

 

 

Interview réalisée par ETIENNE ABOUA et KANATE MAMADOU

Fraternité Matin du Lundi 23 août 2021, Page 3-4