Sujet tabou au sein de la police, les violences pondères sont aussi le résultat du manque de formation, voire d’un recrutement trop peu exigeant. Le contrôle externe de la police est aussi en débat. Les violences policières ont- elles augmenté ces dernières années ? Difficile de le dire. Pour l’historien Jean- Marc Berlière Intervenant à l’école de police de Saint-Cyr-au-Mont d’Or, près de Lyon, elles « ont toujours existé ». À la différence près, selon lui, qu’avant, cela faisait l’objet d’un article dans un journal militant, maintenant c’est diffusé sur Internet et cela peut atteindre 15 millions de vues.
En 2019, la justice a confié à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) 868 enquêtes pour des violences volontaires » commises par des policiers. Un chiffre en hausse de 41 % par rapport à 2018. « Attention à ne pas en faire des coupables avant que ce soit jugé, commente un commissaire parisien. Et puis l’enjeu avec ces violences, ce n’est pas seulement de taper sur ceux qui déconnent comme l’a fait le ministre de l’intérieur. L’enjeu, c’est de se demander : « Qu’est-ce qui décorne en interne ? »
Un sujet tabou
« Les violences policières, c’est le tabou absolu », confie une source au sein d’une des directions centrales de la police nationale, qui remarque que le livre blanc de la sécurité intérieure, publié le 16 novembre, n’en parle pas. Dans ce document de 332 pages, dont l’objectif était de permettre une réforme importante de la police nationale, le terme « violences » apparaît 87 fois, mais jamais pour évoquer les dérapages de certains policiers. « Il y a parfois des sujets, comme les violences, qui ne sont pas dicibles, reprend cette source. Parce qu’il y a trop de charge émotionnelle. Parce qu’aborder ces violences, c’est requestionner le sens de notre engagement. Pourquoi on est policier ? C’est peut-être ça le vrai tabou ». Quelle est l’utilité sociale de la police ? Quelles sont les valeurs qui la fondent ? Est-elle au service du pouvoir ou de la population ? « Il faut se reposer ces questions se demander : c’est quoi mon boulot ? », poursuit un commissaire parisien, qui regrette que « depuis Pierre Joxe (ministre de l’intérieur entre 1988 à 1991 ; NDLR), il n’y ait plus aucune réflexion dans la maison. Ou des reformes très « idéologique » déplore t’il comme la police de proximité, mise en place en 1998 et supprimée en 2003, avant qu’une « police de sécurité du quotidien » soit décidée en 2017. « Le résultat, c’est une perte de repères totale. Chez les agents les moins structurés mentalement, on voit ce que ça donne. »
Une exigence de recrutement en baisse
Pour comprendre les dérives, certains observateurs remontent à la source : le recrutement « Le niveau est devenu bien trop bas pour avoir des candidats exemplaires et motivés. Certaines recrues ont des résultats scolaires médiocres et un comportement qui n’est pas à la hauteur du code de déontologie -, décrit Carmen (1), gardien de la paix stagiaire dans un commissariat de Seine-Saint-Denis, qui y voit « la cause des violences ». L’un des policiers mis en examen dans l’affaire Michel Zecler a 23 ans.
Le nombre d’incorporations d’élèves gardiens de la paix en école de police a plus que doublé entre 2010 et 2019, passant de 1 500 à près de 3 500, alors même que les candidats ne sont pas plus nombreux. Fin 2019, un rapport de la commission des lois du Sénat s’inquiétait de la baisse de la sélectivité à l’entrée du concours, craignant une diminution « trop importante (de) la qualité de recrutement ». Plusieurs policiers contactés par La Croix confirment que les notes d’admission au concours ont baissé ces dernières années.
Une fois recrutés, les jeunes reçoivent désormais une formation à l’école plus courte, réduite de douze à huit mois depuis juin dernier. Mécaniquement, « le nombre d’heures de techniques de défense en interpellation a diminué de plus d’un tiers », regrette Denis Hurth, délégué national formation pour le syndicat Unsa-police, qui dénonce également un « manque de formateurs ».
Peu de formation continue
La formation à revoir, c’est aussi celle’ des cadres. « Ceux qui sortent de l’ENSP (l’école nationale supérieure de la police) deviennent immédiatement commissaires adjoints, sans passer par 1e terrain, regrette un psychologue, formateur en école de police depuis le milieu des années 1980. Comme ils méconnaissent le métier de gardien de la paix, certains vont rester cloîtrés dans leur bureau, tandis que d’autres vont surjouer le “policier de base’ pour être reconnus par leurs troupes. C’est peut-être ce qui s’est passé à République. » Le 23 novembre, un commissaire divisionnaire a été filmé projetant au sol par un croche-pied un migrant qui courait. Plusieurs policiers interrogés se plaignent aussi du manque de formation continue, qui laisse s’installer des mauvaises pratiques. « Dans des commissariats, c’est toujours les mêmes équipes qui ramènent des affaires pourries, commente un enquêteur du centre de la France. Ça m’est arrivé d’avoir des procureurs qui me demandent : l’affaire de tes collègues, tu la sens comment ? » et je leur ai parfois répondu : « Bancale ». Après, ils classent souvent sans suite. » Quant aux violences sur représentants de l’autorité publique, les outrages, les rébellions, « il y a des spécialistes dans la maison », confirme une source au ministère de l’intérieur.
Vers un contrôle externe ?
C’est te travail de l’IGPN, la police des polices, d’enquêter sur tes violences. Cet organe interne est souvent jugé partial car il est composé en très grande partie de policiers et est placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, « Forcément, Il peut y avoir de l’empathie, mais cela n’empêche pas de travailler en toute indépendance pour établir la vérité des faits, rien que les faits », balaie un ex- « bœuf carottes », Pour faire taire les critiques, certains y compris au sein de la police plaident pour un contrôle externe. Des députés LREM ont ainsi proposé la « suppression de l’IGPN » et la « création d’un corps d’inspection auprès du défenseur des droits », annonce Hugues Renson, le vice-président LREM de l’Assemblée. Cet organe serait « composé de policiers, magistrats spécialistes de la déontologie et juristes ».
En bout de chaîne se pose aussi la question des suites judiciaires. « Outre la faillite de l’IGPN, il y a une faillite de la justice, dénonce Laurent Bigot, ancien’ sous-préfet, engagé dans plusieurs mouvements sociaux. Il y a très peu de poursuites engagées, et beaucoup de classements sans suite. » Un constat partagé par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) dans son rapport sur le maintien de l’ordre, paru en mars.
la-croix.com
Le patriote n°6280 du Mardi 1er décembre 2020, page 6