Dès le premier instant où l’homme vient à ce monde, il est confronté à toute une série de besoins qui l’assaillent de toutes parts. Certains sont des nécessités primordiales pour sa survie, comme le manger, le vêtement et le logement qui sont des besoins naturels que l’on ne peut pas régler une bonne fois pour toutes. D’autres n’ont pas ce caractère d’urgence et sont en constante transformation. Ce sont des besoins vastes et indéterminables, que personne ne peut satisfaire dans leur intégralité, et qui demeurent pour cette raison utopiques. Chacun s’emploie, selon ses motivations et ses besoins spécifiques, à gagner la richesse, et à confronter selon ses aptitudes, les difficultés et les obstacles.
Et comme le confort et les commodités de la vie dépendent entièrement de la richesse, différentes conditions sociales affectent forcement les hommes. Si la subsistance devient difficile et que la situation matérielle subit les contraintes de la pauvreté, l’homme ressent les affres de l’humiliation et de l’impuissance, et se met à essayer par tous les moyens à s’en sortir. En revanche, s’il est favorisé par la fortune, il s’enfle d’orgueil, comme si l’une n’allait pas sans l’autre. A chaque fois qu’une richesse fabuleuse tombe entre ses mains, l’homme s’enivre, et prête l’oreille aux murmures incessants de la concupiscence. La vie présente différente faces que chacun envisage de façon propre, selon ses capacités et ses dons intellectuels. Beaucoup ne parviennent pas à un niveau leur permettant d’appréhender les réalités, et de distinguer les zones de salut de celles du danger.
Il faut en effet une grande pénétration d’esprit pour s’élever au sommet du bonheur; en particulier une connaissance de soi, impossible hors du cadre de l’intellect et de la logique. Il faut savoir pourquoi l’on est venu à la vie, puis avec cette connaissance, entamer la quête de la félicité, en choisissant la voie du progrès conformément à ses besoins, et en se prémunissant contre les penchants qui nous en détourneraient. Le succès ne consiste pas à devancer les autres en matière de possessions matérielles, ni à œuvrer à maintenir cette supériorité. Les valeurs matérielles ne pourraient jamais devenir l’axe principal de la vie, et il n’est pas juste que l’on outrepasse pour les acquérir, les limites de la vertu et de la piété, ni de reléguer aux oubliettes les principes humanistes. Le Dr. Alexis Carrel, prix Nobel de Médecine en 1940, écrivait: «Dans l’ambiance intellectuelle créée par le libéralisme, la notion de profit a envahi tout le domaine de la conscience; et la richesse est comme le plus grand don. Le succès se mesure par l’unité monétaire. La recherche du profit s’est frayé la voie dans les banques, l’industrie et le commerce et dans toutes les autres activités humaines. Une société qui reconnaît la primauté à l’économie, ne peut pas tendre à la vertu. Car la vertu demande une obéissance aux lois de la vie et quand on se limite aux activités économiques, on cesse totalement de suivre les lois naturelles. Il n’est pas exagéré de dire que la vertu nous conduit à la Vérité, et régit l’ensemble des activités physiques et psychiques conformément à ces lois.
Un homme vertueux est comparable à un moteur fonctionnant normale ment. Les déséquilibres et les agitations de la société contemporaine sont causées par la perte de la vertu.» L’acquisition des valeurs morales et spirituelles est le but premier de l’existence et le plus important, plus précieux des avoirs. Celui dont l’âme déborde de trésors, ressent moins le besoin de recourir au monde matériel; il réalise une sorte d’indépendance qui ne le quittera qu’avec la vie. Une telle personne ne troquera pour rien au monde sa riche personnalité. Le cupide est toujours sur sa faim La cupidité est un état de l’âme qui incite à l’accaparement et à l’accumulation des richesses, au point que celles-ci deviennent l’axe et une préoccupation principale. Cette propension regrettable procède de la concupiscence, et est l’un des facteurs de désarroi et de malheur de l’engeance humaine. Elle entretient – une illusion de bonheur; et un attachement si puissant aux choses de ce monde qu’on lui sacrifie toutes les valeurs. Schopenhauer: «La limite de nos désirs raisonnables se rapportant à la fortune est difficile, sinon impossible à déterminer. Car le contentement de chacun à cet égard ne repose pas sur une quantité absolue, mais relative, savoir sur le rapport entre ses souhaits et sa fortune; aussi cette dernière, considérée en elle- même, est-elle aussi dépourvue de sens que le numérateur d’une fraction sans dénominateur. L’absence des biens auxquels un homme n’a jamais songé à aspirer ne peut nullement le priver, il sera parfaitement satisfait sans ces biens, tandis que tel autre qui possède cent fois plus que le premier se sentira malheureux parcequ’il lui manque un seul objet qu’il convoite.
Chacun a aussi, à l’égard des biens qu’il lui est permis d’atteindre, un horizon propre, et ses prétentions ne vont que jusqu’aux limites de cet horizon. Lorsqu’un objet situé en dedans de ces limites, se présente à lui de telle façon qu’il puisse être certain de l’atteindre, il se sentira heureux; il se sentira malheureux au contraire, si, des obstacles survenant, cette perspective lui est enlevé. Ce qui est placé au-delà n’ a aucune action sur lui. C’est pourquoi la grande fortune du riche ne trouble pas le pauvre, et c’est pour cela aussi, d’autre part, que toutes les richesses qu’il possède déjà ne consolent pas le riche quand il est déçu dans une attente (la richesse est comme l’eau salée: plus on en boit, plus elle altère; il en est de même aussi de la gloire).» Oui, comme dit le poème iranien: «Les richesses des deux mondes, ne suffiraient pas pour combler le cupide. Il brûlera toujours du feu de la possession.» La cupidité peut transformer une communauté en un champ de rivalités et de querelles, et en faire disparaître la paix, la stabilité et la sécurité, en opposant les intérêts des uns à ceux des autres. Plus de place alors au développement de l’éthique. Notons qu’il existe une différence fondamentale entre la passion de l’argent et le progrès, même matériel. Ce sont des choses distinctes. Rien n’empêche le genre humain d’aspirer au progrès et à la promotion, en faisant usage des facultés et aptitudes naturelles des individus. Les actes des cupides et des convoyeurs entraînent toute une série de malheurs et d’échecs pour leur entourage. 11s cherchent à s’assurer leurs besoins sans respecter les principes de la justice, sans se douter qu’ils poussent les autres vers une pauvreté fatale. Ils détiennent sous leur emprise des trésors qu’ils cherchent à faire grossir encore. Ce sont eux qui sont à l’origine des crises économiques et de la paupérisation générale. Certains pensent que la richesse est la plus grande source de l’activité et lui accordent une grande importance. Ce sont les pauvres qui ont accompli les travaux les plus gigantesques dans l’histoire du monde. La plupart des inventeurs, des écrivains sont d’origine modeste. L’accumulation de la richesse est nuisible en général.
Elle pollue les esprits, en raison des vices qui lui sont inhérents. Certains jeunes perdent de leur motivation jusqu’au sens du travail quand ils héritent brusquement d’une fortune colossale. Ils glissent ainsi peu à peu vers l’indiscipline, gaspillent leur vie dans les divertissements et les jeux, et se désintéressent du cours de leurs études. Une personnalité de marque rendit un jour visite à Epictète. Le célèbre philosophe grec avait des doutes sur les intentions de son hôte, il l’accueillit froidement et lui dit: «Vous n’êtes pas venu pour apprendre les règles et fondements de la sagesse, mais pour dénigrer ma façon de vivre.» L’autre dit: «Si j’avais été en quête du savoir comme vous dites, je serais devenu un pauvre comme vous, sans or ni argent, sans maison, sans terre, sans domestique…» Le philosophe répondit: «Je ne me soucie guère de tout cela. Bien qu’en apparence je sois pauvre, vous êtes au fond, bien plus pauvre que moi. La différence est que je n’ai pas besoin de protecteur et de serviteurs. Je suis par conséquent plus riche et plus puissant que vous. Je ne me soucie pas de ce que César pense de moi du bien ou du mal, et je ne cherche nullement pour cela à le flatter ou à me montrer obséquieux à son égard. A la place d’une vaisselle en or et en argent, j’ai l’indépendance d’esprit et je me contente de ce que j’ai, alors que toute ta pensée est concentrée sur ta vaisselle. Mes pensées sont pour moi un vaste territoire a quel je consacre ma vie dans la joie et la gaieté, pendant que vous perdez la votre dans l’agitation et le désœuvrement. Tout ce que vous possédez me semble peu.
Et ce que je possède est plus grand. Car vos besoins, vos espoirs et vos désirs ne sont pas comblés, alors que tous mes besoins sont satisfaits et que je parviens à mes vœux et désirs par mon intelligence.» Il faut se fier à la science, et non à l’or et à l’argent qui sont les soutiens de l’ignorant. Sans doute, la vie est faite à parts égales de joie et de peine. Chaque homme les a en lot dès sa naissance, quelle que soit sa condition sociale. Mais nous pouvons affirmer que les biens dépassant nos besoins ne jouent pas de rôle dans notre bonheur. Socrate dit: «Il y a des gens sans richesses, sans bijoux, sans vêtements de luxe, et sans palais, menant pourtant une vie bien plus heureuse que celle des nantis.» Le cupide est en réalité prisonnier et esclave de l’argent. Il porte à son cou une chaîne invisible, et obéit aveuglement à sa folle passion. Il s’imagine que cette richesse fabuleuse qui pourrait suffire aux besoins d’une génération après lui, n’est qu’une réserve pour ses vieux jours. Il persiste dans cette erreur jusqu’à ce que le glas commence à sonner son heure, et lui annonce que sa vie touche à son terme. Il considérera alors avec mépris et dépit sa fortune entassée, et emportera dans la tombe ses remords et ses peines.
Imam Méité Al Imam