« L’esprit d’équipe … C’est des mecs qui sont une équipe , ils ont un esprit ! Alors , ils partagent ! »
Coluche
Dans l’euphorie de la coupe du monde 2018, il serait injuste de ne pas reconnaître l’organisation parfaite de cette coupe du monde que les médias avaient diabolisée sur commande faisant même des rapprochements avec l’instrumentalisation du football par Staline.
On ne parle en fait que du vainqueur en passant sous silence les héroïsmes de différentes équipes notamment celle de l’Uruguay, dirigée par un professeur qui a fait “ses humanités”, mais surtout celle de la Croatie qui s’est battue dans tous les matchs qu’elle a disputés en arrachant littéralement la victoire au prix d’un épuisement physique ( 3 matchs avec prolongation, c’est comme si elle avait joué un match de plus que toutes les autres équipes). Ne gâchons cependant pas le plaisir mérité d’une équipe de France dont nous avons perdu la trace depuis vingt ans et pour cause. Il n’y a pas que René Camus à se battre pour “le blanc”. Souvenons nous de la logorrhée d’Alain Finkielkraut qui n’a eu de cesse de démolir le consensus d’une France réconciliée en martelant d’une façon hystérique: ” black black black !”
Là où je peux être dubitatif, c’est ce que j’appelle la footballisation des esprits. Pendant un mois, en effet la planète a été sommée de vibrer au rythme du roi football. Comment le football opère ? Cet engouement planétaire fait partie de la stratégie du néolibéralisme qui crée des besoins chez l’individu qui devient de ce fait esclave du divin marché, pour reprendre l’expression du philosophe Dany Robert Dufour. Cependant, les dégâts du néolibéralisme ne sont pas les mêmes selon que l’on soit au Nord comme au Sud. Examinons pour commencer le phénomène de société dans les pays du Sud. Le philosophe Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grande messe planétaire orchestrée par « la toute-puissante multinationale privée de la Fifa ». « Il suffit, écrit-il, de se plonger dans l’histoire des Coupes du Monde pour en extraire la longue infamie politique et la stratégie d’aliénation planétaire.(…) » (1)
« L’expression du capital le plus prédateur est à l’œuvre : les multinationales partenaires de la Fifa et diverses organisations mafieuses se sont déjà abattues sur l’Afrique du Sud pour en tirer les plus gros bénéfices possibles. (…) Tout cela relève d’une diversion politique évidente, d’un contrôle idéologique d’une population. En temps de crise économique, le seul sujet qui devrait nous concerner est la santé de nos petits footballeurs. C’est pitoyable. Il existe en réalité une propension du plus grand nombre à réclamer sa part d’opium sportif. (…). le football est organisé en logique de compétition et d’affrontement. Jouer ce spectacle par des acteurs surpayés devant des smicards et des chômeurs est aussi une forme de violence. (…)La symbolisation de la guerre n’existe pas dans les stades, la guerre est présente. Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d’un vulgaire et d’une absurdité éclatants. (…) » (1)
Hypnose collective
La même analyse, sans concession, nous est donnée par Samuel Metairie. Il parlait de la coupe 2010 mais les arguments n’ont pas pris une ride « Trente-deux équipes, dont une vingtaine issues de pays occidentaux, vont pouvoir fouler les pelouses de leurs crampons, et servir les bas instincts pulsatiles de milliers d’hommes et de femmes peuplant les stades en jouant aux gladiateurs des temps modernes. Sauf que ces gladiateurs sont devenus des hommes d’affaires intouchables, dont le salaire mensuel (disons honoraires ou dividendes) correspond, à plusieurs années de travail d’un salarié français moyen ». (2)
« Juste pour pousser une balle avec ses potes jusqu’à 30 ans, pendant que de plus en plus de Français vont être obligés de travailler jusqu’à 65-70 ans. (…) Une question vient à l’esprit : si le football était vraiment un sport, ne pourrait-on pas payer ces gens raisonnablement, à hauteur du salaire minimum ? Ne pourraient-ils pas reverser ce capital vers ceux qui en ont besoin, aux pauvres oubliés par l’Occident, aux peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, au lieu de prendre l’Afrique pour une cour de récréation ? (…) Aux quatre coins du monde, surtout dans les pays plus pauvres, c’est partout la même logique du capitalisme : l’appareil économique occidental s’implante, génère des marges commerciales et des bénéfices. Il fait de l’argent sur place en exploitant la main-d’oeuvre locale, et rapatrie ses capitaux dans les grandes banques européennes. (…) » (2)
Echelle des valeurs inexistante et scandale des salaires.
Justement, pour parler de l’indécence des sommes colossales perçues, il faut savoir par exemple, que dix joueurs parmi les mieux payés dont David Beckam, Ronaldinho Gaucho, Whyne Rooney ont reçu en une année 135 millions d’euros en salaires, primes, droits de sponsoring… soit en moyenne 20 millions de dollars par individu (55.000 $/jour, contre 2$/jour en moyenne pour un Africain), ou encore le salaire journalier du joueur est équivalent à ce que reçoivent deux Africains sur une carrière de 32 ans). C’est cela le scandale du marché du néolibéralisme, de la mondialisation laminoir qui font que ce que la société a accumulé pendant des siècles risque de disparaître sous les coups de boutoir du « Divin marché » où la valeur d’un individu, c’est de plus en plus ce qu’il peut rapporter, et ce qu’il peut consommer et non ce qu’il recèle comme culture et savoir.
On est loin de l’aspect noble du sport. On peut penser valablement que cette dimension du sport pour le sport avec les « magiciens » du ballon comme Di Stefano, Kopa, Pélé, Garrincha, et tant d’autres, s’est arrêtée avec, il y a une vingtaine d’années, pour laisser place au vedettariat et aux salaires démentiels. Quand on pense aux héros de l’équipe du FLN qui “ont tout laissé tomber” entre 1958-1962, alors qu’ils étaient joueurs professionnels dans les clubs français, tout ceci pour porter haut et fort la voix du combat pour l’indépendance de l’Algérie .
Danse cette coupe 2018, on remarquera au passage que chaque joueur de l’équipe de France recevra 350.000 euros, indépendamment de ce qu’ils touchent avec les sponsors et de leurs cachets dans les clubs. Un seul footballeur, en l’occurrence Kylian Mbappé a décidé de verser ses indemnités à des œuvres charitables.
A quoi cela sert d’étudier ?
D’après la Voix de la Russie, le mathématicien russe Grigori Perelman a ignoré le prix d’un million de dollars qui lui était attribué par l’Institut mathématique de Clay pour avoir prouvé l’hypothèse de Poincaré. Le lauréat n’est pas venu à la cérémonie de la remise du prix qui a eu lieu le mardi 8 juin dans le cadre d’un symposium mathématique à Paris. Le Russe s’était déjà vu décerner en 2006 la médaille Fields, considérée comme le « Nobel en mathématiques », qu’il avait refusée. Le mathématicien et directeur de l’Institut Henri-Poincaré, Michel Broué, s’est réjoui de l’attitude de Grigori Perelman en déclarant que « l’activité des mathématiques était jusqu’à maintenant, par nature, protégée de la pourriture financière et commerciale, j’emploie ce terme volontairement. Mais je pense que c’est sans doute une des raisons qui font que Perelman dit et veut dire qu’il ne veut pas travailler pour le fric ni pour les récompenses. C’est une chose, il travaille pour l’honneur de l’esprit humain. » (3)
Qu’en est-il de l’opium du football en Algérie ? Pour le sociologue Zoubir Arrous, le foot n’est plus un jeu sportif, mais plutôt un enjeu politique et financier. (..) Ainsi, nous pouvons dire qu’il y a, dans le cas de l’Algérie, un véritable conflit entre le stade et la mosquée. (…) La paix sociale grâce au foot ne dure pas dans le temps. L’après-match ou l’après-foot est la période la plus dangereuse sur le plan social. Le citoyen revient à son état normal et parfois critique. (…) Le foot peut faire l’objet d’un contrat social dans les sociétés qui n’ont pas de crise et qui ne cherchent pas de changement. Le foot est aujourd’hui devenu la nouvelle religion. (3)
Quand on pense dans le même ordre à l’épopée des joueurs algériens vainqueurs de l’équipe d’Allemagne lors de la Coupe du monde 1982. Les joueurs algériens revenus au pays se virent offrir un téléviseur ou un réfrigérateur … Quand je pense aux joueurs algériens actuels qui sont systématiquement éliminés des compétitions (malgré l’apport de joueurs off-shore), et qui réclament des dizaines de milliers d’euros, alors qu’un professeur d’université touche moins de 800 euros ! C’est tout ceci qui nous fait dire que le football mis au service d’une idéologie d’un système de gouvernants est une imposture. Il rappelle sans excuse “le panem et circenses” “du pain des jeux de cirque de l’empire romain” décadent qui achetait ainsi la paix sociale ! On comprend alors, l’illusion de l’éducation, notamment dans les pays du Sud où l’éducation est la dernière roue de la charrette.
Plus globalement, l’école ne fait plus rêver. L’exemple le plus criard nous est donné par Ranitea Gobrait, jeune lauréate du bac de Polynésie avec 20,33 de moyenne et qui n’arrive même pas à s’inscrire à l’université. En supposant qu’elle arrive finalement à s’inscrire, elle “brûlera ses neurones” pour un salaire infime par rapport aux cachets de ces footballeurs dont la plupart ,il faut le dire n’ont pas fait d’études supérieures voire n’ont même pas le bac ! Et pourtant il a suffit de jouer au ballon pour garantir des dizaines de fois le salaire d’une vie “d’un besogneux”
On le voit, l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social et ne discrimine plus entre « ceux qui jaillissent du néant » et les laborieux et les sans-grade qui cumulent en une carrière ce que perçoit un joueur en une saison. De ce fait, en Algérie, par exemple certains parents l’ont bien compris. Ils cherchent pour leurs enfants la rampe de lancement la plus juteuse en termes de fortune rapide. Ils ne cherchent pas la meilleure école pour leurs progénitures, mais le meilleur club pour inscrire leurs enfants.
Un seul coupable une mondialisation laminoir
Après avoir laminé le « collectif » au profit de l’individualisme, le néo-libéralisme s’attaque sans résistance majeure, aux derniers bastions du vivre-ensemble. Après avoir laminé les Jeux olympiques qui sont devenus des jeux marchands où l’effort passe en arrière- plan de ce qu’il peut rapporter en terme d’image, après avoir créer des ersatz de divertissements , le néolibéralisme investit l’industrie du plaisir fugace et ne s’installe pas dans la durée, il vole d’opium en opium en « extrayant de la valeur » au passage, laissant l’individu sujet consommateur sous influence en pleine errance avec des réveils amers, où il retrouve la précarité, la malvie en attendant un autre hypothétique soporifique devenant définitivement l’esclave du divin marché” selon le juste mot du philosophe Dany Robert Dufour. (4)
Il est incontestable qu’une victoire au football pour le citoyen lambda est un opium qui lui permet d’oublier les problèmes qui le rattraperont assez vite après la dissipation de cet extazy prozack de l’éphémère .
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