La thérapie de couple, épreuve de la dernière chance

Les couples en crise attendent souvent longtemps pour aller voir un spécialiste. Se lancer tôt peut se révéler salvateur.

« Je connais trop de jeunes couples qui rencontrent des problèmes et qui pensent qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez eux. Et je veux qu’ils sachent que Michelle et Barack Obama, qui ont un mariage phénoménal et qui s’aiment, travaillent sur leur mariage. Et nous obtenons de l’aide quand nous en avons besoin. »

L’honnêteté dont fait preuve l’ancienne Première Dame des États-Unis dans l’émission Good Morning America diffusée en novembre dernier a de quoi rassurer le commun des mortels : même les couples solides connaissent des passages à vide.

Une quête d’absolu amoureux

La méthode peine à faire des émules. Pour beaucoup, « travailler » sa relation est une lubie bonne pour les stars et les puissants. Dédaignant cette vision rationaliste de l’amour, ils restent attachés à un idéal romantique affiné par des millénaires d’Histoire. Dans l’Antiquité grecque, le mythe de la « moitié d’orange » a posé les bases de la quête d’absolu amoureux. Pour être heureux, il faudrait retrouver son âme sœur. « Deux êtres n’en faisant qu’un, rétablit en quelque sort la nature humaine dans son ancienne perfection », écrit Platon dans Le Banquet.

Cette certitude a longtemps empêché Agnès et son mari, Pierre, de se rendre chez un spécialiste malgré leurs difficultés. « J’avais une vision étriquée des choses, reconnaît la quadragénaire. Je me disais que si Pierre était la ‘bonne personne’, tout devait couler de source. Je voyais nos difficultés comme une épreuve à surmonter. J’étais persuadée que nous en sortirions forcément vainqueurs puisque nous nous aimions. »

Une démarche à entreprendre à deux

Agnès a alors décidé de pardonner l’adultère de Pierre et de gérer seule sa déception. Malgré sa bonne volonté et son optimisme, le couple s’est enfoncé dans les disputes et les bouderies à répétition, le bref répit de week-end en amoureux succédant aux semaines tendues.

Épuisée par ces montagnes russes émotionnelles, Agnès a abordé la question avec son psy. « Il a évoqué très sérieusement l’idée d’une thérapie de couple. Je lui ai d’abord ri au nez avant de me raviser. Je n’avais rien de mieux à proposer », admet-elle.

Persuadée d’entamer la démarche de la dernière chance, elle a tenté de convaincre Pierre du bien-fondé de la démarche. « Je me suis mis en colère, confie Pierre. Je ne me voyais pas faire mon mea culpa devant un tiers. Exposer nos problèmes intimes, et notamment sexuels, me semblait être une démarche voyeuriste et inutile. »

Dépasser cette défiance est essentiel pour que la thérapie puisse fonctionner. Traîner un conjoint réfractaire dans le cabinet d’un thérapeute est même contre-productif. « La démarche doit être consensuelle, se faire à deux », résume Martine Gercault, psychologue clinicienne, psychanalyste et psycho-thérapeute de couple.

Le thérapeute, médiateur et miroir

La spécialiste insiste sur un autre prérequis essentiel : choisir un professionnel neutre, qu’aucun des deux conjoints ne consulte de son côté. La certitude de l’objectivité de ce dernier permet aux partenaires de s’ouvrir avec franchise. Dans son autobiographie Devenir (éd. Fayard), Michelle Obama écrit, à propos de Mr.Woodchurch, leur thérapeute de couple : « Voici la grande découverte que j’ai faite en matière de conseil conjugal : il n’y a pas eu de validation. Mr.Woodchurch n’a pas pris parti. »

« Le tiers va jouer le rôle de médiateur et de miroir, reprend Martine Gercault. Il peut demander au couple de raconter sa dernière dispute et de la jouer. Les deux protagonistes vont alors la revivre émotionnellement, en alternant les rôles. Cela permet de faire comprendre au couple que ce qui se réactualise est une histoire du passé et non pas une histoire actuelle. Au fond, on rejoue dans le couple des problématiques de notre propre histoire en la projetant dans la relation conjugale. »

S’impliquer en parallèle dans une analyse personnelle permet de plonger aux racines du problème et de renforcer alors les effets positifs du travail amorcé à deux. « Mener ce double travail m’a permis d’analyser une jalousie qui me gâchait insidieusement la vie, explique Éléonore, 36 ans, qui a fait une thérapie avec son ancien compagnon, Thibault, il y a deux ans.  » Malgré le lourd investissement de temps et d’énergie, la jeune femme ne regrette pas d’avoir mené cette démarche.

« Créer des rituels pacificateurs »

Cette lucidité n’empêche pas le ressentiment et la colère. Pour Éléonore et Thibault, l’heure passée dans le cabinet du thérapeute a rarement été une partie de plaisir. « J’ai beaucoup pleuré, je me suis mise à nu, en parlant de mon manque de confiance en moi. Se livrer aussi intimement devant un partenaire avec lequel cela se passe mal est douloureux. On peut avoir l’impression de lui livrer des armes ‘contre’ soi. »

Agnès, elle, a dû prendre sur elle. Écouter son mari confier la baisse de son désir et raconter les détails de son adultère a été éprouvant. L’autopsie des travers de sa relation a pourtant été le prix à payer pour repartir sur des bases plus saines. « Il faut parfois être au bord de la rupture pour régler des conflits profonds. C’est du chaos qu’un ordre nouveau peut se créer, estime Martine Gercault. Pour qu’un couple se restaure, il faut le vivre différemment, lui insuffler une respiration nouvelle, le réinventer. La thérapie peut aider à créer des rituels pacificateurs, pour devenir cocréateurs d’un nouveau couple en devenir. »

Petit à petit, Agnès et Pierre se sont apprivoisés de nouveau. Ils ont appris à désamorcer les conflits larvés en communiquant davantage. « Nous faisons bien plus attention qu’avant au ressenti de l’autre, explique Pierre. Désormais, je tâche de me mettre à la place d’Agnès quand je sens poindre l’agacement. »

« Faire le deuil de mon histoire »

La meilleure volonté du monde ne suffit pas toujours à sauver le couple. Semaine après semaine, la thérapie met en lumière l’incapacité des deux partenaires à fonctionner ensemble. La rupture apparaît comme la seule solution possible. C’est ce qui est finalement arrivé à Éléonore et Thibault.

À force de discussions, ils ont compris leurs erreurs passées et se sont pardonné l’un l’autre. Les sentiments, eux, n’étaient déjà plus au rendez-vous. Une prise de conscience douloureuse mais nécessaire pour la jeune femme. Décider de se séparer s’est imposé comme un saut dans le vide à la fois triste et libérateur. « Je ne regrette pas la thérapie, tient à souligner la jeune femme. Elle m’a permis de faire le deuil de mon histoire et de comprendre ce qui nous avait manqué. J’espère tirer de ces erreurs des leçons pour une future histoire. » Avec le temps, Éléonore a pu considérer sa thérapie de couple comme une épreuve nécessaire. Loin d’être le symbole d’un échec, elle a été la première pierre d’une reconstruction d’elle-même.

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